Méditation pour le 17 novembre
Piété envers les morts, toute chrétienne et cependant inutile
Continuons à méditer les défauts qui empêchent que notre piété envers les morts leur soit d'aucun profit. Celui qui va nous occuper aujourd'hui est le plus commun et le plus déplorable : car quoi de plus triste que d'employer inutilement les moyens qu'indique la religion, de faire sans fruit des œuvres saintes ? Piété chrétienne dans le fond, et néanmoins inutile devant Dieu ; ce sont deux caractères difficiles en apparence à accorder, et qui se trouvent cependant dans tous ceux qui, en priant pour les morts, sont eux-mêmes dans un état de mort, c'est-à-dire dans la disgrâce et dans la haine de Dieu. Car, dans ce funeste et malheureux état de péché mortel, en vain le pécheur rend aux âmes du purgatoire des devoirs chrétiens, en vain prie-t-il et intercède t-il pour elles, en vain fait-il des largesses aux pauvres, en vain pratique-t-il tout ce que le zèle d'une dévotion particulière peut lui suggérer : ces âmes souffrantes ne tireront jamais de lui aucun secours. Tandis que Dieu vous regarde, à cause de votre état de péché, comme son ennemi, vous êtes incapable de les soulager : toutes vos prières sont réprouvées, toutes vos aumônes perdues, tous vos jeûnes, toutes vos pénitences de nul effet : le péché, dont votre conscience est chargée, anéantit la vertu de toutes vos œuvres ; et comment serait-il possible que ce que vous faites fût de quel que valeur pour ces saintes âmes, puisqu'il n'est de nul prix pour vous-même ? Le moyen que vous fussiez en état d'acquitter leurs dettes auprès de la justice divine, puisqu'il est certain que pour vous-même, Dieu, sans déroger à sa miséricorde, ne reçoit rien alors de vous en payement ? Secourir une âme dans le purgatoire, c'est lui transporter le fruit des bonnes œuvres qu'on pratique, et le lui céder : ainsi pour pouvoir, dans l'état de péché mortel, la soulager, il faudrait que, dans cet état, les bonnes œuvres eussent quelque mérite devant Dieu. Or, il est de foi qu'elles n'en ont aucun, parce que, sans la grâce et la charité, ce sont des œuvres mortes, et qui n'ont pas le principe de la vie, et si elles sont mortes pour le pécheur qui les pratique, faut-il s'étonner qu'elles le soient encore plus pour ceux auxquels il prétend les appliquer ?
Il faut toutefois excepter le sacrifice de la messe, dont le mérite ne dépend point de la sainteté de celui qui l'offre, beaucoup moins de celui qui le fait offrir, mais qui est uniquement attaché à la personne de Jésus-Christ et au prix de son sang : il s'ensuit qu'un pécheur, dans l'état même de son désordre, peut contribuer au repos des âmes du purgatoire en faisant offrir pour elles ce sacrifice, dont une des principales qualités est d'être souverainement propitiatoire pour les vivants et pour les morts. Il le peut, et il le doit avec d'autant plus de raison que ce sacrifice est le seul moyen que Dieu lui laisse de suppléer à l'impuissance où il se trouve de secourir autrement ces âmes prédestinées : car Dieu alors regarde l'hostie qu'on lui présente, qui est J.-C., et non point celui par le ministère ou les soins duquel on la lui présente, qui est le pécheur. Mais, du reste, il est toujours vrai que le pécheur, en agissant par lui-même, ne peut rien faire qui soit profitable aux morts.
Si nous avons un vrai désir de soulager les âmes du purgatoire, nous devons, avant tout, commencer par nous mettre en état de grâce : c'est là l'essentiel, puisqu'autrement, malgré la meilleure volonté, malgré nos prières et nos bonnes œuvres, nous ne leur serons d'aucun secours. C'est aussi là le fondement de cette dévotion, si solennelle dans l'Église, qui consiste à se purifier par le sacrement de Pénitence et par la participation du corps de Jésus-Christ, pour se disposer à secourir utilement et infailliblement les âmes du purgatoire, le jour de la commémoration des morts. De tout temps dans le christianisme on a prié pour les morts, mais Dieu réservait à ces derniers temps cette excellente pratique de se sanctifier pour les morts. Autrefois dans l'ancienne loi l'on observait quelque chose de semblable ; et saint Paul, en écrivant aux Corinthiens, fait mention d'une espèce de baptême dont les Juifs avaient coutume d'user pour le soulagement des morts. Mais ce que pratiquaient les Juifs, n'étaient que la figure, et la vérité devait s'accomplir en nous. Lavez-vous, nous dit le prophète Isaïe, purifiez-vous ; cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ; venez ensuite, et soutenez devant moi la cause de ces âmes pour qui vous vous intéressez : c'est alors que je vous écouterai, que j'accepterai vos oblations, que je me laisserai fléchir par vos prières. — Saint François-Xavier nous dit la même chose dans une de ses lettres : « Vous pensez à vos frères qui souffrent dans un autre monde, vous avez la religieuse ambition de les soulager ; mais pensez d'abord à vous-mêmes : Dieu n'écoute point celui qui se présente à lui avec une conscience souillée ; avant d'entreprendre de soustraire des âmes aux peines du purgatoire, commencez par délivrer les vôtres de l'enfer. »
Cet avertissement nous regarde tous, et pour peu que tout ce que nous avons médité jusqu'à ce jour, sur l'état des âmes de l'église souffrante et sur les motifs de les secourir, ait laissé en nous quelqu'impression, nous nous ferons un devoir de rentrer en grâce avec Dieu et d'éviter les souillures du péché, pour pouvoir agir efficacement en leur faveur. Car par là nous glorifierons Dieu, par là nous ne perdrons pas le fruit de nos bonnes œuvres et nous consolerons nos frères dans leur affliction ; par là aussi nous attirerons sur nous les grâces du salut les plus abondantes.
CONSIDÉRATION
Tout se lie dans notre divine Religion. Pour travailler efficacement au soulagement des âmes du purgatoire, notre premier devoir est de nous purifier. Cette obligation doit nous rendre encore plus chère cette dévotion, puisque, indirectement, elle nous procure un si grand avantage. N'oublions jamais les principes médités en ce jour. Examinons-nous soigneusement, lavons-nous, si c'est nécessaire, dans les eaux salutaires de la pénitence, avant de songer à satisfaire pour ces âmes souffrantes et à les délivrer.
PRIÈRE
Ô mon saint Ange gardien ! c'est à vous que je m'adresse aujourd'hui pour vous demander de me rappeler souvent à l'esprit que, si je veux satisfaire mon vif désir de secourir les âmes du purgatoire, je dois être en état de grâce, puisqu'autrement tout ce que je ferais pour elles serait sans effet : ajoutez ce motif à tous ceux que vous m'inspirez, afin que je sois de plus en plus attentif et empressé à rentrer dans cet état, si, ce qu'à Dieu ne plaise, le péché m'en avait fait sortir. Ainsi soit-il.
Indulgence applicable aux morts. — On gagne une indulgence plénière, toutes les fois qu'après s'être confessé et avoir fait la communion, on récite avec dévotion et un cœur contrit cette prière devant un crucifix, en s'occupant de la passion de J.-C et en priant selon les intentions de l'Église :
Me voici, ô Jésus ! aimable Sauveur, prosterné en votre présence : je vous prie, et je vous supplie, avec toute l'ardeur dont je suis capable, de daigner imprimer au fond de mon cœur les plus vifs sentiments de foi, d'espérance et de charité, une vraie douleur de mes péchés, avec un ferme propos de ne plus vous offenser ; tandis que je vais, ô divin Jésus ! contempler vos cinq plaies, avec la plus tendre compassion, et le plus sincère amour, en ayant présentes à mon esprit ces paroles prophétiques de David : Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os (Ps. 21. v. 17 et 18).
(Recrits du 10 avril 1821. — 17 septembre 1823)
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