dimanche 3 mai 2020

Des épreuves et contradictions que la Bergère du Laus eut à soutenir de la part des Hommes et des Démons : sa constance à continuer la bonne œuvre qu'elle avait commencée



Apparition de la Sainte Vierge à Benoîte Rencurel
La Bergère sachant que J. C. l'auteur de tout bien avait été sur la terre en butte et en contradiction au monde, que c'était le propre des bonnes œuvres d'être contredites, et que souvent ceux qui les entreprennent et les conduisent sont persécutés, elle devait s'attendre à de grandes épreuves ; aussi se prépare-t-elle à les souffrir par le renoncement à elle-même, par une parfaite soumission à la volonté de Dieu, et par l'assiduité à l'Oraison.
Un homme de distinction et d'autorité dans la Province, croyant que les apparitions dont on parlait beaucoup étaient fausses, et s'imaginant de rendre service au public, résolut de la faire enfermer : il fut au Laus dans ce dessein avec des gens apostés pour l'enlever et la faire traduire ; il la cherche, il s'informe, il entre dans la Chapelle où elle était en prières, Dieu permit qu'il ne pût jamais l'apercevoir : il y retourne une seconde, et une troisième fois, mais le Seigneur la rendit toujours invisible à son égard ; la très-Sainte Vierge qui garde tous les siens apparut à la Bergère, et lui dit que cet Homme n'aurait aucun pouvoir sur elle, qu'il serait attaqué d'une maladie qui le ferait beaucoup souffrir, et le conduirait au tombeau, mais qu'avant que de mourir il viendrait au Laus pour y faire une neuvaine ; tout cela arriva de point en point.
Elle fut souvent traitée de visionnaire par des Mondains qui mirent tout en œuvre pour la décréditer dans l'esprit des peuples qui avaient de la vénération pour elle ; mais leur estime étant fondée sur une solide vertu, accompagnée du zèle qu'elle a toujours eu de faire honorer la Sainte Vierge, leurs calomnies tombèrent d'elles-mêmes à leur confusion. Quelques personnes vertueuses en apparence, mais peu charitables, firent tous leurs efforts auprès des Supérieurs Ecclésiastiques pour la faire éloigner du Laus, où elle faisait de si grands biens ; des envieux qui ne pouvaient souffrir une vertu si pure, non plus qu'un établissement si saint, qui faisait tant de progrès, se joignirent à ces personnes pour arrêter le cours de la dévotion qui s'établissait de plus en plus dans ce saint lieu ; mais l'envie eut beau lancer tous ses traits contre la Bergère, et les méchants déployer leur malice ; elle s'accréditait toujours plus, parce qu'elle était toujours plus sainte, et la dévotion à la très-Sainte Vierge, que rien ne peut arracher du cœur des Fidèles, prenait de jour en jour de nouveaux accroissements.
Le Démon, cet esprit de révolte qui s'éleva contre le Saint des Saints, et qui s'élève encore tous les jours contre tous ceux qui font l'œuvre de Dieu, pour rendre suspectes les apparitions dont la très-Sainte Vierge avait honoré la Bergère, commença par en contrefaire de sa part, se transformant en Ange de lumière : il se servit d'une jeune fille du voisinage, vaine, inquiète, jalouse à l'excès du bonheur de la Bergère ; il se fit voir à elle sous la figure d'une Dame superbement vêtue, feignant d'être la Reine du Ciel, et en même temps qu'il lui fascinait les yeux, il remplit son esprit de mille pensées de vanité, lui faisant entendre qu'on la regarderait comme une fille d'une haute sainteté, qu'elle surpasserait de beaucoup celle qu'elle regardait avec envie, que sa renommée s'étendrait bien plus loin, qu'elle serait et plus favorisée du Ciel, et plus respectée du monde, et qu'enfin douée d'un génie supérieur elle effacerait l'éclat de ses vertus.
Elle donna ainsi grossièrement dans les pièges de l'Esprit séducteur, qui ne peut suggérer que l'orgueil, l'amour-propre, le mépris des autres, et conduire au précipice ; car il y a cette différence entre les apparitions célestes, et celles qui viennent de l'ennemi, que celles-là éclairent l'esprit d'une lumière Divine qui découvre le néant de la créature, et les grandeurs du Tout-Puissant, inspirent des sentiments d'une humilité profonde, remplissent l'âme d'une joie pure, et font goûter une paix intérieure que le monde ne connaît point ; au lieu que celles-ci aveuglent l'esprit, jettent le trouble dans l'âme, et la plongent dans une sombre tristesse mêlée de frayeur, que rien ne peut dissiper, et conduit enfin au désespoir.
C'est ce qu'éprouva cette présomptueuse fille, qui pour s'accréditer auprès du peuple employa tous ses soins et toute son adresse pour gagner les bonnes grâces de la Bergère ; celle-ci éclairée de l'esprit de Dieu, connut d'abord qu'elle était dans l'illusion, et que le Démon la trompait : elle l'avertit charitablement, la supplia, la conjura de se défier de ces apparitions, qui ne produisant rien de bon en elle, ne pouvaient venir que de l'esprit de mensonge ; elle fit en vain tout ce qu'elle put pour la ramener ; il est rare que les orgueilleux et les superbes reviennent de leurs égarements, parce que Dieu qui leur résiste, et qui donne sa grâce aux humbles, s'éloigne d'eux, et les livre à eux-mêmes. La Bergère ne pouvant ramener cet esprit vain, lui prédit que pour l'humilier Dieu permettrait qu'elle ferait une chute qui la rendrait la risée et le scandale de son pays ; c'est ce qui arriva bientôt après ; l'orgueil et la chasteté se trouvent rarement ensemble.
Le Démon ne laissa pas de revenir à la charge, et d'employer encore ses stratagèmes pour traverser les desseins du Ciel sur le lieu saint, et obliger la Bergère d'abandonner l'œuvre de Dieu ; mais comme elle découvrait toujours ses ruses, et qu'elle renversait ses projets, cet esprit infernal déchargeant toute sa rage sur elle , la maltraitait jusques à la laisser à demi morte pour se venger des maux qu'elle lui faisait.
Un jour ces esprits de rage l'ayant transportée sur un rocher, la laissèrent tomber si rudement qu'elle en eut une épaule démise ; ce fut avec une peine extrême qu'elle se rendit chez elle, où s'étant jetée aussitôt sur son lit, les Prêtres du Laus firent venir un Chirurgien, qui avant que d'entrer dans la chambre lui entendit dire ces paroles : Pauvre homme, voici la dernière opération que vous ferez ; ce qu'il regarda comme une rêverie : il entra, et lui remit l'épaule : cependant la prédiction se trouva véritable, car il mourut peu de jours après.
On a vu plusieurs fois au Laus les prestiges du Démon dissipés, les sorts et les maléfices rendus inutiles, et les possédés (comme nous le dirons en son lieu) remis en liberté par l'intercession de la très-Sainte Vierge.
La Bergère, comme un rocher battu des vagues de la mer, n'a pu être ébranlée ni par les vents de la contradiction, ni par les flots que la jalousie a soulevés : affermie par la grâce de Jésus-Christ, et soutenue par la très-Sainte Vierge qui la consolait et l'encourageait dans ses peines, elle a toujours résisté à la malignité des hommes et à la fureur des Démons.
Ce fut dans ce temps-là que parut au Laus un des premiers Officiers de la Cour de Savoye que la curiosité avait conduit en ce lieu. Cet homme fier et emporté, esclave de sa volupté, entra dans la Chapelle la tête levée, et les yeux égarés, fléchissant à peine un genou : mais tout à coup il se sentit saisi d'une sainte horreur de lui-même, il resta plus d'une heure immobile, et pensif dans le lieu Saint, où se rappelant les désordres et les iniquités de sa vie, qui passèrent comme en revue sous ses yeux, il en connut la grandeur, il en sentit le poids, il en gémit, il en pleura, et l'humble aveu qu'il en fit aux pieds d'un des Ministres du Seigneur, remplie son âme d'une douce consolation.
Satisfait de son voyage au-delà de son attente, il reprit le chemin de Turin, pendant lequel il ne dit pas un seul mot qui sentit l'émotion, lui qui auparavant était d'une violence extrême ; sa piété qui fut solide, le rendit encore plus recommandable et plus attaché qu'auparavant à ses devoirs et à son Prince. Les Courtisans ne feraient que mieux leur cour aux Princes qu'ils servent, s'ils la faisaient régulièrement au Roi des Rois. Il persévéra dans des grands sentiments de religion, et mourut quelque temps après d'une mort chrétienne, ayant ordonné à ses gens d'aller faire dire un certain nombre de Messes au Laus.


(Extrait de Recueil Historique des Merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus)



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