DEUXIÈME MOTIF DE CONTRITION
LA JUSTICE DE DIEU
Ô Justice terrible d'un Dieu pur et saint, je vous contemple avec un saint effroi. Il est donc vrai que l'homme coupable d'un seul péché mortel sera privé de tous les biens, et accablé de tous les maux ! Ô mon âme, entre dans une profonde méditation de ces terribles effets de la justice d'un Dieu, irrité par le péché.
1. Le pécheur privé de tous les biens !... Des millions d'Anges rebelles, précipités, du haut du ciel, dans le fond des abîmes, pour un seul péché d'orgueil, sans avoir trouvé le temps de s'en repentir ! Quel exemple !
1° Par le péché, je suis privé de tous les droits à la gloire ; privé de la possession du Ciel, de la vue des Saints, de la sainte Vierge et de l'humanité sainte de Notre-Seigneur ; privé de la vue de Dieu !... Ô beau ciel ! tu n'es donc pas fait pour moi !... Jour unique de l'éternité ! tu ne luiras pas pour moi !... Joie immuable des cieux, tu n'existeras pas pour moi !... Ô règne qui n'auras pas de fin ! Ô céleste patrie, où Dieu sera tout en tous ! je serai donc toujours exilé, loin de toi ! Ô saints, heureux dans le sein de Dieu ! je ne serai donc pas admis dans votre société, je ne serai point associé à votre bonheur !... Ô Vierge pure ! ô reine des cieux ! ô Marie ! ô ma mère ! je ne verrai donc pas votre céleste beauté ! je ne jouirai donc pas des doux charmes de votre présence ! Ô humanité sacrée de Jésus-Christ, plus brillante que sur le Thabor ! je ne pourrai donc contempler, ni votre divine clarté, ni vos attraits ravissants !... Ô Dieu, objet de mon amour, terme de mon espérance ! Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle ! je ne vous verrai donc pas face à face dans la magnificence de votre gloire ? Je ne serai point l'image de vos perfections, ni votre ressemblance auguste !... Le juste seul jouira de tous ces biens... Ô biens que j'ai perdus, qu'est-ce qui pourra me dédommager, ou me consoler ici bas de votre perte ? Ô péché ! ô affreux péché ! que tes effets sont terribles ! que tes suites sont amères et funestes !
2° Par le péché je suis privé des dons de la grâce... Qu'est devenu le premier homme, formé dans la justice et l'innocence, cet ami de son Dieu, ce chef-d'œuvre de ses mains ? Dieu l'a chassé du paradis terrestre, il lui a ôté tous les privilèges de l'état d'innocence, il l'a condamné à la mort, lui et toute sa postérité ! Quel châtiment ! quelle vengeance ! Par le péché je suis privé des dons de la grâce, privé de la vie de la grâce, de l'amitié de Dieu, et de tous les mérites acquis dans l'état de la grâce.
Je suis privé de la vie de la grâce.... Ô grâce sanctifiante, principe d'une vie surnaturelle pour le juste, vous n'êtes donc plus en moi, depuis que je suis pécheur ; du moment que je vous ai perdue, je suis mort devant Dieu ! Ô vie de la grâce, vie la plus précieuse, vous ai-je perdue sans retour ! Ô mort de l'âme, mort la plus funeste, serai-je longtemps enveloppé de tes ombres ?
Je suis déchu de l'amitié de Dieu. Les liens qui m'attachaient à Dieu sont rompus ; devenu l'esclave du démon, un enfant de colère et de malédiction, je ne suis plus aux yeux de Dieu cet enfant de prédilection, l'heureux objet de ses complaisances, l'héritier de ses promesses ; je ne suis plus son temple, son sanctuaire ! Ô Dieu ! m'avez-vous rejeté pour toujours ? m'avez-vous exclu du sein de votre clémence ? Et comment puis-je espérer de toucher votre cœur ? Le péché m'a ravi tous les dons, dont vous aviez embelli mon âme, et il a anéanti tous les droits que j'avais quelquefois achetés par de pénibles efforts.
Oui, je suis dépouillé de tous les mérites que je pouvais avoir acquis, lorsque j'étais en état de grâce. Quand j'aurais amassé des trésors immenses de mérites pour le Ciel, quand je serais aussi saint que les Apôtres, le péché d'un moment, s'il a été mortel, m'a tout ravi, tout enlevé. Ô divine miséricorde ! je sais que vous pouvez faire revivre un jour ces mérites en faveur de ma pénitence, si elle est sincère ; mais jusque-là, ils sont perdus pour moi ; si je meurs dans cet état, Dieu ne m'en tiendra pas compte. Je suis son ennemi, pourra-t-il rien agréer de la part d'un ennemi ?.... Encore, si je pouvais amasser de nouveaux mérites ! Mais non, tant que le péché habitera dans mon cœur, les plus beaux actes de vertu ne seront d'aucun prix devant Dieu, ni d'aucune valeur pour l'éternité bienheureuse. Quand je passerais toutes les journées en prières ; quand je ferais toutes les austérités des anachorètes ; quand je pratiquerais toutes les œuvres de la piété et de la charité chrétienne, ce seront autant d'œuvres mortes ; parce que je suis moi-même dans un état de mort ; ce seront autant d'œuvres stériles, dont je ne dois attendre aucune récompense. Quelque miséricorde que Dieu puisse ensuite me faire, jamais ces œuvres mortes ne seront du nombre de celles qu'il couronnera dans la gloire. Seront-elles néanmoins des œuvres tout-à-fait inutiles ? Oh ! non ; dans l'état du péché, elles me seront très-utiles, pour sortir de cet état, pour me disposer à retourner à Dieu, et pour disposer Dieu à m'accorder la grâce de ma conversion. Ô mon Dieu, si j'ai multiplié mes offenses, je vais multiplier mes bonnes œuvres. Je ne redoute plus rien, sinon votre disgrâce et le péché qui en est la cause.
2. Le pécheur accablé de tous les maux. Le péché accumule sur lui tous les maux temporels et éternels.
1° Le péché accumule sur le pécheur tous les maux temporels. L'ignorance, la concupiscence, le désordre de l'imagination et des sens, les misères de la vie, les maladies et la nécessité de mourir ; autant de maux, suites du péché : tremblements de terre, pestes, guerres, famines ; autant de maux, suites du péché : tristesses, jalousies, craintes, chagrins, afflictions ; autant de maux, suites du péché : meurtres, incendies, carnage, ruines, tempêtes ; autant de maux, suites du péché. Oh ! s'ils pouvaient du moins le réparer ? Mais non ; pour l'expier, il a fallu que le Fils de Dieu s'humiliât et s'anéantît, parce qu'il n'y avait que les humiliations d'un Dieu qui pussent réparer la gloire de Dieu. M'étonnerai-je, après cela, si Dieu ne s'est pas contenté de punir le péché, dès cette vie, par des peines temporelles et par la soustraction de ses grâces ? m'étonnerai-je s'il punit le péché d'un moment par une éternité de peines ?...
2° Le péché accumule sur le pécheur tous les maux éternels, en ouvrant sous ses pas l'abîme de l'enfer. Me voici donc à l'entrée de l'empire éternel. Ô surprise ! ô effroi ! Je veux pénétrer pas à pas dans ces sombres régions de l'éternité, dans ces lieux ténébreux que la justice divine a préparés dès le commencement des siècles ; mes sens se glacent !... Quel spectacle se présente d'abord à mon imagination effrayée ? Que vois-je, Dieu juste ! un feu que le souffle de l'Éternel a allumé dans sa colère !... des victimes, semblables à l'airain fondu dans la fournaise, embrasées par ce feu vengeur, sans être consumées ! le péché, dont la honte et la difformité les poursuivent comme autant de spectres horribles ! les démons qui ajoutent des tourments sans relâche à des souffrances déjà si cruelles ! Partout une nuit éternelle des étangs de feu... des gouffres sans fonds des démons rugissants... des pleurs, des gémissements et des sanglots... Et qu'entends-je autour de moi ? des grincements de dents... des cris de rage et de désespoir... toutes les imprécations du blasphème, de la haine et de la vengeance ! Ô mon âme, frémis d'horreur !!! Quelles sont ces voix lugubres et lamentables qui sortent du fond de l'abîme ? Quels sont ceux qui poussent ces affreux rugissements ? Je crois les distinguer, à travers les éclairs pâles et sombres qui éclairent de temps en temps la région des réprouvés. Ce sont les corrupteurs de mon âme, les approbateurs de mes vices, les flatteurs de mes passions ; ce sont les compagnons de mes plaisirs, les complices de mes égarements, qui m'étaient unis par le sang et l'amitié : hélas ! aussi par de trop tendres attachements ; et ils étaient moins coupables que moi. Avec quelle fureur ils accusent la lenteur de la justice de Dieu, qui les a frappés tandis qu'il m'épargnait ! avec quelles imprécations ils appellent toutes les vengeances divines !... Ce sont surtout ces malheureuses victimes de mes désordres, séduites par mes leçons, perverties par mes exemples, qui invoquent sur moi la justice du Dieu vengeur de l'innocence ; ma place doit être à leurs côtés brûlants Je suis sur le bord de cet épouvantable abîme.... Un trépas imprévu peut à chaque instant m'y précipiter ; et je repose avec sécurité dans le sein du péché ! je m'endors au milieu des plaisirs ! Ô songe funeste ! ô épouvantable réveil ! Se réveiller au milieu des flammes dévorantes ! Habiter au milieu des feux éternels ! Pour un moment, et un moment si rapide de plaisir, subir une continuité de supplices, une éternité de peines ! Grand Dieu ! que vos jugements sont terribles ! Mais ils sont équitables et l'équité même ; car ces peines quelque excessives qu'elles soient, ont une juste proportion avec le péché. Ô péché ! monstre affreux ! qui ne sera pas saisi d'horreur à ta vue ? qui ne fuira pas jusqu'à ton ombre ? Appas trompeurs de la volupté ! Plaisirs perfides ! Hé ! que revient-il à celui qui est assez malheureux pour se livrer à vous, sinon d'éternelles douleurs !
Quoi ! toujours souffrir et jamais de relâche !... Ô mon Dieu, si votre divine clémence ne m'avait soutenu sur le bord de l'abîme, mon âme y habiterait maintenant ! Mais aujourd'hui, tremblant, saisi de crainte, effrayé de la profondeur de l'abîme, j'ose lever les yeux vers vous : un rayon d'espérance luit encore. Non, vous ne me laisserez pas périr. Grâce à votre bonté, je ne suis pas dans cet affreux séjour d'où les prières sont bannies ; je puis donc encore vous faire entendre les gémissements et les cris de mon cœur. Vous appellerai-je mon Dieu ? Mais je me suis révolté contre votre loi ; j'ai violé vos commandements. Dirai-je mon Juge ? mais je ne mérite que votre indignation. Dirai-je mon Père ? mais j'ai offensé votre image, vous ne reconnaîtriez pas en moi votre enfant. Comment donc vous nommer, pour vous intéresser en ma faveur ? Ah ! si vous consultez votre justice, je suis indigne de pardon ; mais si vous écoutez votre miséricorde, voyez qui en a plus besoin que moi. Malheur ! malheur à moi ! parce que j'ai péché ; mais pardon ! pardon, Seigneur ! grâce, miséricorde !... Moi, vous maudire ! moi, vous blasphémer éternellement ! Ô pensée abominable ! elle serait seule, pour moi, un enfer dès cette vie. Mon Dieu, vous avez tout ce qu'il faut pour me sauver, et vous seul le pouvez. Parlez ; que faut-il que je fasse ? Détester mes iniquités ? Je les abhorre. Les confesser à vos ministres? J'irai me jeter à leurs pieds, pour leur en faire l'aveu humiliant et sincère. Éviter les occasions dangereuses ? Dès ce moment je leur dis un éternel adieu. Renoncer à mes passions ? Je les sacrifie pour toujours. Me soumettre à la pénitence, et porter votre croix ? Je l'embrasse avec courage ; fallût-il sacrifier ma vie, je l'immole avec joie : trop heureux de pouvoir, à ce prix, contenter votre justice et racheter mon âme de l'enfer.
(Extrait de Manuel du Pénitent ou conduite pour la Contrition)
Reportez-vous à Troisième Motif de Contrition : La Bonté de Dieu (1/6), Conduite pour la Contrition, Premier Motif de Contrition : La Majesté de Dieu, Instruction sur la Contrition, Prière pour obtenir de Dieu miséricorde, Première Méditation sur le petit nombre des Élus : Le nombre de ceux qui seront sauvés est très-petit, selon ce que la Foi nous enseigne, Instruction sur la Grâce, De l'examen de conscience, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Cinq points dans l'examen général de la conscience, Trois temps pour l'examen particulier, Prière à Saint Louis de Gonzague pour demander la contrition, Bien choisir le sujet sur lequel on doit faire l’examen particulier, Combien l'examen de notre conscience est important, Méditation pour la Fête de Sainte Marie-Madeleine, Prière pour obtenir la persévérance dans le jeûne et la pénitence, Méditation sur la promptitude et la vivacité de la vraie pénitence, Méditation sur le souvenir des jours que l'on a passé dans l'oubli de Dieu et de ses devoirs, Méditation sur la miséricorde de Dieu, Méditation sur la pénitence du cœur, Psaumes de la Pénitence, Méditation sur la mort dans le péché, Méditation sur la confiance qu'un Chrétien doit avoir en la miséricorde de Dieu, Hymne du Carême, Méditation sur la réparation du péché, Méditation sur l'expiation du péché, Méditation sur la miséricorde de Dieu, Exercice pour la confession, Litanies de Sainte Marie-Madeleine, Méditation sur la promptitude et la vivacité de la vraie pénitence, Méditation sur la vraie pénitence, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la confession, Réponse à quelques doutes touchant la Pénitence, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Qu'il est très-utile d'ajouter quelques pénitences à l'examen particulier, Les peines du Purgatoire conformes aux fautes commises La conversion renvoyée au soir de la vie conduit l'âme à la cruelle faim du Purgatoire, Troisième méditation de préparation à la mort : Que me présenteront le passé, le présent et l'avenir ?, Instruction sur la Prière, Explication du premier commandement de Dieu, Explication du deuxième commandement de Dieu, Explication du quatrième commandement de Dieu, et Explication du cinquième commandement de Dieu.