lundi 7 octobre 2019

Sermon du Saint Curé d'Ars pour la Fête de Notre-Dame du Saint Rosaire : Mon Fils, voilà votre Mère




 
Dicit discipulo : Ecce mater tua.
Jésus dit au disciple qu'il aimait : Mon Fils, voilà votre Mère. (S. Jean, XIX, 27)
 

Que ces paroles, M.F., sont douces et consolantes, pour un chrétien qui peut comprendre toute l'étendue de l'amour qu'elles renferment ! Oui, Jésus-Christ, après nous avoir donné tout ce qu'il pouvait nous donner, c'est-à-dire, les mérites de tous ses travaux, de ses souffrances, de sa mort douloureuse, ah ! vous le dirais-je, son Corps adorable et son Sang précieux pour servir de nourriture à nos âmes, il veut encore nous faire héritiers de ce qu'il a de plus précieux, c'est-à-dire sa sainte Mère. Ne semble-t-il pas lui dire : « Ma Mère, il faut que je retourne à mon Père et que je quitte mes enfants ; le démon va faire tout ce qu'il pourra pour les perdre ; mais, ce qui me console, c'est que vous en prendrez soin, que vous les défendrez et que vous les soutiendrez dans leurs peines. » Et la sainte Vierge ne lui dit-elle pas de son côté : « Non, mon Fils, je ne cesserai jamais d'en avoir soin, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés dans votre royaume, dans ce royaume que vous leur avez acquis par vos souffrances ? » Oh ! Quel bonheur pour nous, M.F. ! quelle ressource ! et quelle espérance nous trouvons dans Marie pour vaincre le démon, nos passions et le monde ! « Avec un tel guide, nous dit saint Bernard, l'on ne peut pas s'égarer ; avec une telle protection, il est impossible de périr. » Oh ! M.F., comme il est en sûreté, celui qui a une vraie confiance en la sainte Vierge ! Toutes les fêtes de la sainte Vierge nous annoncent quelque nouveau bienfait du ciel. Sa Conception, sa Naissance, sa Présentation au temple, sa Visitation à sainte Élisabeth, la fête de sa Compassion, et enfin son Assomption  ; mais nous pouvons dire que la fête du saint Rosaire est comme un résumé de toutes les grâces que le bon Dieu lui a accordées pendant sa vie, et elle nous rappelle que son divin Fils lui a mis entre les mains tous ses trésors. En conséquence, M.F., voulons-nous devenir riches des biens du ciel ? Allons à Marie, nous trouverons auprès d'elle toutes les grâces que nous pouvons désirer : grâces d'humilité, de pureté, de chasteté, d'amour de Dieu et du prochain, de mépris de la terre et de désir du ciel. Mais, pour mieux vous en convaincre, je vais vous montrer 1° que toutes les grâces nous viennent par elle ; et 2° que toutes les confréries qui sont établies en son honneur, et en particulier celle du saint Rosaire, nous attirent les faveurs les plus abondantes.
 
I. – Nous avons besoin d'un puissant secours dans trois différents états. Le premier est celui où nous nous trouvons pendant que nous sommes sur la terre, où le démon ne cesse de nous tendre mille pièges pour nous tromper et nous perdre. Le deuxième état, c'est celui où nous serons quand nous paraîtrons devant le juge, et que nous rendrons compte d'une vie qui peut-être ne sera qu'un tissu de péchés. Enfin, le troisième état est celui où nous nous trouverons quand, après avoir été jugés, nous irons passer peut-être un nombre infini d'années dans les flammes du purgatoire. Ah ! malheur à nous, si dans tous ces états nous n'avions pas la sainte Vierge pour venir à notre secours, pour solliciter la miséricorde de son Fils en notre faveur ! Mais nous sommes sûrs qu'elle sera avec nous si, pendant notre vie, nous avons eu une grande confiance en elle, si nous avons tâché d'imiter ses vertus aussi fidèlement que possible.
1° Je dis que notre vie est une chaîne de misères, de maladies, de chagrins et de mille autres peines, ainsi que le Saint-Esprit nous le dépeint si bien par la bouche du saint homme Job : « L'homme... souffre beaucoup (JOB, XIV, 1). » Mais sans remonter si loin, rentrons dans notre propre cœur, et nous verrons des familles de péchés qui en naissent sans cesse. En effet, combien, pendant notre vie, n'éprouvons-nous pas de mauvaises pensées, et de ces mauvais désirs que bien souvent nous ne voudrions pas avoir ; combien de pensées de haine, de vengeance, d'orgueil, de vanité ; combien de murmures dans les petites peines que le bon Dieu nous envoie ; combien de dégoûts pour le service de Dieu, même pendant la Messe, temps si précieux où Jésus-Christ s'immole pour nous à la justice de son Père ? Combien de fois ne nous sentons-nous pas comme entraînés par les mauvais exemples de ceux qui nous environnent, et surtout par leur conduite toute impie, toute mondaine ? Mais, sans sortir de nous-même, tous nos sens ne sont-ils pas comme autant de cordes qui nous traînent au mal, presque malgré nous ? De ceci je conclus que, si nous sommes seuls pour combattre, il nous est très difficile d'échapper au danger. Voici un exemple qui va bien nous le démontrer. Saint Philippe de Néri méditait un jour sur le danger continuel où nous sommes de nous perdre ; il s'étonnait de ce que déjà si portés au mal de nous-mêmes, nous fussions encore environnés de si nombreux et si mauvais exemples. Une fois, il sortit dans un lieu retiré pour mieux pleurer à son aise ; se croyant seul, il s'écria : « Hélas ! mon Dieu, je suis perdu ! je suis damné ! » Une personne l'ayant entendu, courut à lui. « Mon père, est-ce que vous vous laissez aller au désespoir ? Vous savez bien que la miséricorde de Dieu est infinie ! » Oh ! non, mon ami, je ne désespère pas, au contraire, j'espère beaucoup ; mais la pensée que je suis seul pour combattre m'effraye, à la vue de tant de dangers qui m'environnent. »
Dites-moi, M.F., comment pouvoir échapper à tous les pièges que nous tendent le démon, le monde et nos penchants ! Hélas ! si nous sommes seuls pour combattre, si nous n'avons pas quelqu'un de puissant pour nous aider, il est bien à craindre que jamais nous n'allions jusqu'au bout ! Et pour cela, que pouvons-nous trouver de plus puissant pour vaincre nos ennemis, sinon la sainte Vierge ? Si malheureux que nous soyons, M.F., nous avons cependant de grandes ressources. Écoutez saint Bernard (Homil. 2 super Missus est, 17) : « Mes enfants, êtes-vous tentés ? Appelez Marie à votre secours, et le tentateur disparaîtra. Elle est cette Vierge sans pareille qui a enfanté Celui qui a enchaîné le démon. Êtes-vous dans la peine ? Regardez Marie, elle est la consolatrice des affligés, elle est aussi mère de douleur, puisque sa vie n'a été qu'un abîme d'amertume. Êtes-vous attaqués par le démon d'impureté ? Jetez-vous aux pieds de Marie ; elle a trop à cœur de vous conserver cette belle vertu si agréable à son Fils. » Disons plus, M.F., avec l'aide de Marie, nous n'avons qu'à vouloir vaincre pour être sûrs d'être victorieux. Oh ! M.F., que nous sommes heureux d'avoir tant de moyens de faire notre salut, si nous savons en profiter. Hélas ! que d'âmes brûleraient maintenant en enfer, sans la protection de Marie !
2° Nous venons de voir, M.F., que pendant notre vie, mille dangers nous environnent pour nous perdre ; mais, en revanche, nous avons de grandes ressources pour nous aider à vaincre. Lorsque nous sortons de ce monde, nous allons rendre compte à Dieu de toutes nos œuvres. Ce moment est effrayant, puisqu'il décide de notre sort ou pour le ciel ou pour l'enfer, sans appel, sans espérance de jamais changer notre arrêt. Le démon, qui en connaît bien mieux que nous les dangers, redouble ses efforts pour nous tromper ; car, s'il peut nous gagner, il nous traîne aussitôt en enfer. C'est la pensée de ce terrible moment qui a porté tant de grands du monde à tout quitter, pour aller passer le reste de leur vie dans les larmes et les pénitences, et avoir ainsi quelque espérance à ce moment si redoutable au pécheur. Voyez un saint Hilarion (Citer sa vie), un saint Arsène (Citer...). Ah ! M.F., que sera-t-il de nous qui serons tout couverts de péchés, et qui n'aurons rien fait de bon ?...
Ce qui pourra cependant nous rassurer, c'est que, pendant que nous serons devant le tribunal de Jésus-Christ, un grand nombre d'âmes seront en prières, demandant grâce pour nous ; je dis plus, c'est la sainte Vierge elle-même qui présentera nos âmes à son Fils, notre juge. Oh ! M.F., quelle espérance pour nous dans ce moment terrible ! (Citer le trait de saint Jérôme devant le tribunal de Jésus-Christ).
3° Après que ce moment redoutable sera passé, quoique jugés dignes pour le ciel, combien d'années n'aurons-nous pas à souffrir en purgatoire, où la justice de Dieu se fait sentir avec tant de rigueur ? (Citer l'exemple de sainte Hildegarde). Mais, dites-moi, quelle plus grande consolation pour un chrétien dans les flammes, que de savoir et de sentir que de si puissantes prières sont dites pour lui, et lorsqu'il voit le temps de sa peine s'écouler avec rapidité ?...
 
II. – Nous pouvons dire, M.F., que toutes les confréries établies par l'Église, sont des moyens que le bon Dieu nous fournit pour nous aider à faire notre salut, et des moyens d'autant plus puissants, que les membres, qu'ils soient sur la terre, qu'ils soient dans le ciel, réunissent ensemble toutes leurs prières. Chaque confrérie a un but particulier. Ceux qui font partie de la confrérie du Saint-Sacrement ont pour but de dédommager Jésus-Christ des outrages qu'il reçoit dans la réception des sacrements, et surtout dans le sacrement adorable de l'Eucharistie. Ils se réunissent pour faire amende honorable à Jésus-Christ de tant de communions et de confessions sacrilèges ; ils doivent aussi faire des pénitences, des aumônes... Ceux qui sont de la sainte confrérie du Cœur de Jésus-Christ, veulent dédommager le divin Maître du mépris que l'on fait de son amour pour les hommes. Ils doivent souvent faire des actes d'amour de Dieu, et se plaindre auprès de lui de ce que les hommes ont si peu d'amour pour celui qui nous a tant aimés. Ceux qui sont de la confrérie du saint Esclavage, déposent entre les mains de la sainte Vierge toutes leurs actions, afin qu'elle les présente elle-même à son divin Fils ; ils se regardent comme ne s'appartenant plus à eux-mêmes, mais tout à la sainte Vierge. Dans la confrérie du Saint-Scapulaire, nous nous faisons un honneur de porter sur nous un signe, par lequel nous reconnaissons que Marie est notre souveraine, et que nous lui appartenons d'une manière toute particulière. De son côté, elle s'engage à ne jamais nous refuser sa protection, pendant notre vie et à l'heure de notre mort. Quant à la confrérie du Saint-Rosaire, c'est une des plus étendues. Elle est, pour ainsi dire, établie dans tout le monde catholique, et se compose de tout ce qu'il y a de plus fervents chrétiens. Nous pouvons dire que si quelqu'un a le bonheur d'être de cette sainte confrérie, dans tous les coins du monde chrétien il y a des âmes qui prient pour sa conversion, s'il est assez malheureux d'être dans le péché ; pour sa persévérance, s'il a le bonheur d'être dans la grâce du bon Dieu, et pour sa délivrance, s'il est dans les flammes du purgatoire. Cela seul devrait nous faire sentir combien nous en recevons de secours, pour nous aider à opérer notre salut.
Le Rosaire est composé de trois parties, qui sont consacrées à honorer les trois différents états de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La première est pour honorer son Incarnation, sa Naissance, sa Circoncision, sa fuite en Égypte, sa Présentation, sa perte dans le temple. Il faut alors demander à Dieu la conversion des pécheurs et la persévérance des justes. La seconde est pour honorer sa vie souffrante et sa mort douloureuse sur la croix, en demandant les grâces nécessaires pour les affligés, pour les agonisants et pour ceux qui vont paraître devant le tribunal de Dieu et y rendre compte de leur vie. La troisième est consacrée à honorer sa vie glorieuse, en priant pour la délivrance des âmes du purgatoire. Oui, M.F., tous ces mystères bien médités seraient capables de toucher les cœurs les plus endurcis, et d'en arracher les habitudes les plus invétérées.
Je dis d'abord que, dans la première partie, nous demandons à Dieu la conversion des pécheurs et la persévérance des justes. En effet, dès que nous sommes dans le péché, nous n'avons plus que l'enfer à attendre: la foi s'éteint en nous peu à peu, l'horreur du péché diminue et la pensée du bonheur du ciel s'affaiblit ; de sorte que nous tombons dans le péché sans presque nous en apercevoir ; et, ce qui est bien plus malheureux encore, un grand nombre prennent plaisir à y rester. Voyez-en un exemple dans la personne de David, qui demeura dans son péché jusqu'à ce que le prophète vint le faire rentrer en lui-même (II Reg. XII). (Citer le trait.) Eh bien ! M.F., qui nous aidera à sortir de cet abîme ? Ce n'est pas nous, puisque nous ne connaissons pas même notre état ; or, qu'arrive-t-il ? Pendant que nous sommes dans un état si malheureux, un grand nombre d'âmes, dans tous les lieux du monde, sont en prières pour demander à Dieu d'avoir pitié de nous. II est impossible qu'il ne se laisse pas toucher par cette union de prières. Que de remords de conscience, que de bonnes pensées, que de bons désirs, que de moyens se présentent à nous pour nous faire sortir du péché ! Ne sommes-nous pas étonnés de voir comment nous avons pu rester dans un état si malheureux et qui nous exposait à nous perdre à tout moment ? Si nous nous damnons étant de cette confrérie, il faudra autant nous faire violence que pour nous sauver, tant les grâces et les secours y sont grands et abondants. Ce qu'il y a encore de consolant, c'est qu'il n'y a pas une minute dans le jour et la nuit où l'on ne prie pour nous ; comment donc pourrait-on rester dans le péché et se damner ?
Nous disons que cette partie est encore offerte pour demander au bon Dieu la persévérance de ceux qui ont le bonheur d'être dans sa grâce. Mais, M.F., quand nous aurions ce bonheur, nous ne sommes pas tout à fait délivrés pour cela ; le démon ne laisse pas que de revenir pour nous porter au mal s'il le peut. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvés dans de si grands dangers, que nous sommes étonnés de n'y avoir pas succombé ! Ah ! la véritable cause de notre résistance c'est que, dans le temps où nous étions tentés, il y avait un nombre presque infini d'âmes, qui, par leurs prières, leurs pénitences et toutes leurs saintes communions, ont opposé aux efforts du démon un rempart impénétrable !
Une autre raison qui nous prouve combien cette confrérie est agréable à Dieu et à sa sainte Mère, et si terrible au démon, c'est le mépris qu'en font les méchants. Voyez ces plaisanteries, ces railleries sur une pratique de piété, qui nous met devant les yeux les mystères de notre sainte religion les plus frappants, les plus capables de nous éloigner du mal et de nous porter vers Dieu. En voulez-vous la preuve ? Écoutez le démon lui-même. Il dit un jour, par la bouche d'un possédé, que la sainte Vierge est sa plus cruelle ennemie, que, sans elle, il aurait depuis longtemps renversé l'Église, et que grand nombre d'âmes qu'il se flattait d'avoir, lui étaient arrachées, dès qu'elles avaient recours à elle. Convenez avec moi, M.F., que grand est le bonheur de ceux qui sont de cette sainte confrérie, puisque le bon Dieu a promis à la sainte Vierge de ne jamais rien lui refuser. Si Moïse obtint le pardon de trois cent mille personnes (EXOD. XXXII, 31), que ne fera pas la sainte Vierge qui est bien plus agréable à Dieu que Moïse ? Ce n'est pas seulement la sainte Vierge qui prie pour nous, mais une infinité d'âmes aussi agréables à Dieu que Moïse. Si nous voyons tant de pécheur n'avoir vécu que pour outrager Dieu, et cependant, être encore sauvés, n'en cherchons point d'autre cause que la protection de la sainte Vierge. Ah ! M.F., que celui qui a recours à Marie trouve son salut facile !... Mais afin de vous mieux faire comprendre combien ces mystères, médités attentivement, sont consolants pour un chrétien, je vais vous les expliquer, et vous ne pourrez pas vous empêcher de remercier le bon Dieu, qui vous a inspiré la pensée d'entrer dans cette sainte confrérie.
Le saint Rosaire est composé de tout ce qu'il y a de plus touchant. C'est une pratique de piété qui a rapport à Jésus-Christ aussi bien qu'à sa Mère. De plus, il est impossible de rester dans le péché en méditant sincèrement ces mystères ; de quelque côté que nous prenions cette pratique, tout nous en démontre l'excellence et l'utilité. Quand nous prions la sainte Vierge, nous ne faisons rien autre chose que de la charger de présenter elle-même nos prières à son divin Fils ; afin qu'elles soient mieux reçues, et que nous en recevions plus de grâces. Marie est le canal par lequel nous faisons monter au ciel le mérite de nos bonnes œuvres, et qui nous transmet ensuite les grâces célestes. Ce qui doit nous engager à nous adresser à elle avec une grande confiance, c'est qu'elle est toujours attentive à écouter nos demandes. En voici une preuve : Un jour saint Dominique gémissait sur les progrès que faisait l'impiété dans le monde, et sur la foi qui se perdait de plus en plus. Prosterné devant une image de la sainte Vierge, il lui demanda, dans sa simplicité, quel remède l'on pourrait employer pour empêcher la perte de tant d'âmes. La sainte Vierge lui apparut, lui disant que s'il voulait ramener des âmes à son Fils, la seule ressource était d'inspirer une grande dévotion pour le saint Rosaire, et que bientôt il verrait le fruit de cette dévotion. Saint Dominique se mit donc à prêcher la dévotion du saint Rosaire, et commença d'abord à la pratiquer lui-même. Cette dévotion se répandit en peu de temps, et si bien, qu'il y eut un grand nombre de conversions ; ce qui fit dire au saint, qu'il avait plus converti d'âmes par la récitation d'un Ave Maria, que par tous ses sermons (RIBADENERIA, au 4 août). Il est vrai que la récitation du saint Rosaire est simple, mais c'est ce qu'il y a de plus touchant. On se met en la présence de Dieu par un acte de foi ; on récite le Je crois en, Dieu, qui nous met devant les yeux ce que Jésus-Christ a souffert pour nous... (explication du Credo). Peut-on bien réciter ces paroles sans se sentir pénétré de respect et de reconnaissance envers le bon Dieu, qui nous donne tant de moyens de revenir à lui, quand nous avons eu le malheur de nous en écarter par le péché !
Dans le Rosaire, les premiers mystères que nous appelons joyeux, et que nous méditons pour la conversion des pécheurs, nous représentent les humiliations, l'anéantissement de Jésus-Christ, sa Naissance, sa Circoncision, sa Présentation au temple, sa fuite en Égypte, sa perte dans le temple. (Expliquer tout cela...) Pouvons-nous trouver, M.F., quelque chose de plus capable de nous toucher, de nous détacher de nous-même et du monde, de nous faire supporter nos peines en esprit de pénitence, que de contempler le modèle divin, dans la méditation de ces mystères ? Les saints en faisaient toute leur occupation. Deux jeunes étudiants, rapporte l'histoire, étaient toujours ensemble à méditer sur la vie cachée de Jésus-Christ. L'un d'eux, après sa mort, apparut à l'autre, selon la promesse qu'il avait faite, et lui dit qu'il était au ciel pour avoir communié avec beaucoup de ferveur et avec une conscience bien pure ; pour avoir eu une grande dévotion à la sainte Vierge, chose qui est très agréable à Dieu ; pour avoir souvent médité la vie cachée de Jésus-Christ et l'avoir imité autant qu'il avait pu. Il est raconté dans la vie de saint Bernard, que la sainte Vierge le protégea toujours d'une manière si particulière, que le démon perdit sur lui tout son empire. Ayant perdu sa mère encore tout jeune, il pria Marie de l'adopter pour son enfant : plus tard, sa dévotion augmentant toujours, Bernard pria la sainte Vierge de lui montrer ce qu'il fallait faire pour lui être plus agréable, et il entendit une voix qui lui dit : « Bernard, mon fils, fuis le monde et cherche une retraite dans quelque solitude : là tu te sanctifieras. » Il y passa toute sa vie dans la pénitence et les larmes, et, de là, il monta au ciel. Voyez-vous ce que lui valut sa confiance en la sainte Vierge ? Nous lisons dans la vie de la bienheureuse Marguerite de Cortone, qu'elle faisait consister toute sa dévotion à imiter la vie pauvre et inconnue de la sainte Famille ; elle ne voulut jamais rien posséder, pas même pour le lendemain ; elle fut abandonnée de tous ses parents, de ses amis, mais le bon Dieu en prit soin lui-même. Elle faisait toutes ses pratiques de piété pour honorer la sainte Famille dans l'étable de Bethléem, elle arrosait le pavé de ses larmes, quand elle pensait à ces mystères de pauvreté et d'abandon. Quand elle fut morte, on ouvrit son cœur, l'on y trouva trois petites pierres où étaient écrits les noms de Jésus, de Marie et de Joseph. Voyez-vous combien la méditation de ces mystères est agréable à Dieu ?... Il est encore rapporté qu'un grand pécheur avait passé sa vie dans toutes sortes de désordres. À l'heure de la mort, comme nous voyons les choses bien autrement que quand nous sommes en santé ! Voyant qu'il avait fait tant de mal, il se laissa aller au désespoir. L'on eut beau faire pour lui inspirer confiance en la miséricorde de Dieu, rien ne put le gagner. On lui parla de saint Augustin. « Mais, disait-il, saint Augustin n'avait pas encore été… » On lui dit d'avoir recours à la sainte Vierge, mais il répondit qu'il l'avait méprisée toute sa vie ; on lui représenta Jésus-Christ qui a tant souffert pour nous sauver. – « C'est vrai, dit-il, mais je l'ai persécuté et fait mourir tous les jours. » On lui dit encore : « Mon ami, croyez-vous qu'un enfant bien jeune se rappelle, quand il est grand, des petites peines qu'on lui a faites dans son enfance ? » – « Non, dit-il. » – « Eh bien ! mon ami, allons à la crèche, et nous y trouverons ce jeune Enfant que vous avez offensé, il est vrai, mais il vous dira qu'il ne s'en rappelle plus maintenant. » Il entra dans une si grande confiance et une si grande douleur de ses péchés, qu'il mourut avec des marques visibles que le bon Dieu l'avait pardonné. Voyez-vous, M.F., combien ces méditations sont agréables à Dieu, et combien elles sont capables d'attirer sur nous ses miséricordes ?
Il n'y a point de prières qui nous rapprochent mieux de la vie de Jésus-Christ que cette pieuse pratique. Cependant, il faut que notre dévotion soit éclairée et sincère, et non une dévotion d'habitude et de routine. Saint Césaire nous rapporte un exemple, pour nous faire voir que la sainte Vierge ne reçoit guère bien ces dévotions qui ne sont pas sincères. « II y avait, dans l'ordre de Cîteaux, un religieux qui, faisant le médecin, sortait contre la volonté de son supérieur et de son confesseur. Mais, par une certaine dévotion qu'il avait en Marie, il rentrait dans le monastère à toutes les fêtes de la sainte Vierge. Un jour de la Présentation, comme il était au chœur avec les autres religieux pour chanter les saints offices, il vit la sainte Vierge se promener dans le chœur, et donner à tous les religieux une certaine liqueur qui les enflammait d'un tel amour, qu'ils ne se croyaient plus sur la terre, tant ils éprouvaient de douceur. Quand la sainte Vierge vint à côté de lui, elle passa sans lui en donner, en lui disant « que ceux qui voulaient chercher les douceurs de la terre ne méritaient pas de goûter celles du ciel, et, quoiqu'il se rendît au monastère le jour de sa fête, cela ne lui était pas agréable. » Ce reproche lui fut si sensible, qu'il se mit à pleurer et promit de ne plus sortir. Une autre fois que la sainte Vierge reparut, elle lui accorda, comme aux autres, la même grâce, parce qu'il avait tenu sa promesse (On peut voir dans la Patrologie latine, t. CLXXXV, 1077, une histoire semblable, peut-être la même arrivée à Cîteaux). Il passa sa vie dans une grande dévotion à la sainte Vierge, et en reçut de grandes grâces ; il ne pouvait se contenter de dire combien celui qui aimait la Mère de Dieu recevait de grands secours pour faire son salut et pour vaincre le démon. Saint Stanislas avait une si grande dévotion envers la sainte Vierge, qu'il la consultait en tout ce qu'il faisait. Ce jeune homme se figurait souvent le bonheur qu'avait eu le saint vieillard Siméon de prendre le saint Enfant Jésus entre ses bras. Un jour qu'il était en prières, tout occupé de cette pensée, la sainte Vierge lui apparut tenant le saint Enfant Jésus, elle le lui donna pour lui procurer le même avantage. Saint Stanislas le prit comme saint Siméon, et il en eut tant de bonheur, qu'il ne pouvait en parler sans verser des larmes abondantes, tant son cœur était rempli de joie (RIBADENERIA, au 15 août). Voyez-vous, M.F., combien la sainte Vierge est attentive à nous obtenir les grâces dès que nous les lui demandons ? Ah ! M.F., que nous assurerions notre salut, si nous avions une grande confiance en la sainte Vierge ! Que de péchés nous éviterions, si nous avions recours à elle dans toutes nos actions, si tous les matins, nous nous unissions à elle, en la priant de nous présenter à son divin Fils !
Si nous passons aux deuxièmes mystères que nous appelons douloureux, que de motifs puissants et capables de nous toucher, de nous faire comprendre l'amour infini d'un Dieu pour nous ! En effet, M.F., qui ne serait pas touché en voyant un Dieu qui tombe en agonie, qui couvre la terre de son sang adorable ? Un Dieu lié, garrotté, jeté à terre par ses ennemis, et cela pour nous délivrer de l'esclavage du démon ! Qui ne sera pas ému de voir un Dieu couronné d'épines qui lui traversent le front, un roseau à la main, au milieu d'un peuple qui l'insulte et le méprise ! Oh ! qui pourra comprendre toutes les horreurs qu'il endura pendant cette nuit affreuse qu'il passa avec des scélérats ? On l'attache à une colonne, où il fut frappé avec tant de cruauté que son pauvre corps n'était plus que comme un morceau de chair découpée ! Ô mon Dieu, que de cruautés vous avez endurées pour nous mériter le pardon de tous nos péchés ! Oh ! M.F., qui de nous ne craindrait plutôt le péché que la mort !... Oh ! nous avons bien de quoi nous consoler dans nos souffrances, et un bien juste motif de pleurer nos péchés !... Un missionnaire prêchant dans une grande ville, apprit qu'il y avait dans un cachot un malheureux qui se désolait ; ses larmes et ses gémissements faisaient frémir ceux qui l'entendaient ; il eut la pensée d'aller le voir pour le consoler, et lui offrir les secours de son ministère. Étant entré dans la prison, il fut lui-même effrayé des lamentations de ce pauvre malheureux, il vit bien que la peinture qu'on lui en avait faite n'était rien en comparaison de ce qu'il voyait. Il lui dit avec bonté : « Mon cher ami, quel est le sujet de votre douleur ? » Comme le prisonnier ne répondait rien , le missionnaire lui dit : « Est-ce votre position qui vous afflige ? » – « Non, j'en mérite bien davantage. » – « Avez-vous laissé dans le monde quelqu'un qui souffre par rapport à vous ? » – « Non, rien de tout cela ne m'inquiète » – « C'est donc la pensée de la mort qui vous afflige ? » – « Non certainement, je sais bien que je ne vivrai pas toujours : un peu plus tôt, un peu plus tard, la mort viendra assez ; pourvu que je puisse expier mes péchés je serai trop heureux. Mais puisque vous voulez savoir le sujet de mes larmes, le voici. » Et tout en sanglotant, il tira de dessous ses vêtements un gros crucifix et le montra au missionnaire : « Voilà le sujet de mes larmes. Oh ! un Dieu qui a tant souffert et qui est mort pour moi, malgré mes offenses, peut-il bien encore me pardonner ? La grandeur de ses souffrances et de son amour pour moi sont la cause que je ne puis retenir mes larmes ; depuis que je suis ici, tout le monde m'abandonne, il n'y a que mon Dieu qui pense à moi, qui veut encore me donner l'espérance du ciel. Ah ! qu'il est bon ! Comment se peut-il faire que j'aie été si malheureux pour l'offenser ?... » M.F., convenez avec moi que si nous sommes si peu touchés de la méditation de ces mystères, c'est que nous n'y faisons point d'attention. Mon Dieu ! quel malheur pour nous !...
Si nous poursuivons, nous voyons un Dieu chargé d'une grosse croix ; il est conduit entre deux voleurs par une troupe de scélérats, qui l'accablent des plus sanglants outrages. Le poids de sa croix le fait tomber à terre ; à grands coups de pied et de poing il est relevé, et, bien loin de penser à ses souffrances, il semble ne penser qu'à consoler les personnes qui prennent part à ses maux. Oh ! pourrions-nous n'être pas touchés et trouver nos croix pesantes, en voyant ce que souffre un Dieu pour nous ? En faut-il davantage pour nous exciter à la douleur de nos péchés ? Écoutez : on le cloua sur la croix, sans qu'il laissât sortir de sa bouche un mot pour se plaindre qu'il endurât trop de souffrances. Écoutez ses dernières paroles : «  Mon Père, pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. » N'avais-je pas bien raison de vous dire que le saint Rosaire nous représente tout ce qui est le plus capable de nous porter au repentir, à l'amour et à la reconnaissance ? hélas ! M.F., qui pourra jamais comprendre l'aveuglement de ces pauvres impies, qui méprisent une pratique de dévotion si capable de les convertir, si capable de nous donner la force de persévérer quand nous sommes assez heureux d'être dans la grâce de Dieu !
Parlons maintenant des troisièmes mystères que l'on appelle glorieux. Que pouvons-nous trouver de plus pressant pour nous détacher de la vie et nous faire soupirer après le ciel ? Dans ces mystères, Jésus-Christ nous apparaît sans souffrances, et prenant possession d'un bonheur infini qu'il nous a mérité à tous. Pour nous faire concevoir un grand désir du ciel, il y monte en plein jour, en présence de plus de cinq cents personnes (Saint Paul [I Cor. xv, 6] dit bien que Notre-Seigneur ressuscité apparut une fois à « plus de cinq cents personnes réunies » mais saint Luc, qui raconte en détail l'Ascension [Luc. XXIV, ACT. l]) ne nomme que les Apôtres comme témoins de ce glorieux mystère). Si vous méditez encore ces mystères, vous voyez la sainte Vierge, que son divin Fils vient chercher lui-même avec toute la cour céleste ; les anges paraissent visiblement et entonnent des cantiques de joie qu'entendent tous les assistants ; elle quitte la terre où elle a tant souffert, et va rejoindre son Fils, pour être heureuse du bonheur de celui qui nous appelle et qui nous attend tous. Pouvons-nous trouver quelque chose dans notre sainte religion qui puisse mieux nous porter au bon Dieu et nous détacher de la vie ?
Eh bien ! M.F., voilà ce que c'est que le saint Rosaire, voilà cette dévotion que l'on blâme tant et dont on fait si peu de cas. Ah ! belle religion, si l'on te méprise, c'est bien parce que l'on ne te connaît pas !... Cependant, ne nous arrêtons pas à cela ; il faut encore, autant que nous le pouvons, imiter les vertus de la sainte Vierge pour mériter sa sainte protection, et surtout son humilité, sa pureté, sa grande charité. Ah ! pères et mères, si vous aviez le bonheur de recommander souvent à vos enfants cette dévotion à la sainte Vierge, que de grâces elle leur obtiendrait ! que de vertus ils pratiqueraient ! Vous verriez naître en eux tout ce qu'il y a de plus capable de les rendre agréables au bon Dieu ! Non, M.F., nous ne pourrons jamais comprendre combien la sainte Vierge désire nous aider à nous sauver, combien sont grands les soins qu'elle prend de nous. La moindre confiance que nous avons en elle n'est jamais sans récompense. Heureux celui qui vit et meurt sous sa protection, l'on peut bien dire que son salut est en sûreté et que le ciel lui sera donné un jour ! C'est le bonheur que je vous souhaite.


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