Extrait de "Méditations sur les souffrances et la croix de N.S. Jésus-Christ" par Gaspard Jauffret :
DOUZIÈME MÉDITATION
La sépulture de Jésus-Christ
« Joseph d'Arimathie, homme de considération, Sénateur vertueux et juste qui n'était entré pour rien dans le conseil des Juifs ni dans leurs actions, et qui attendait aussi le Royaume de Dieu, s'en vint hardiment trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus... Pilate le lui donna... Joseph descendit Jésus de la croix. Nicodème, qui est celui qui était venu autrefois trouver Jésus durant la nuit, vint aussi sur le Calvaire, apportant environ cent livres d'un mélange de mirrhe et d'aloès. Ils prirent le corps de Jésus et l'enveloppèrent dans des linceuls avec des aromates, en la manière ; que les Juifs ont coutume d'ensevelir leurs morts. Ils le mirent ensuite dans un sépulcre tout neuf qui était taillé dans le roc, et en couvrirent l'entrée avec une grande pierre. Marie-Magdelaine et Marie, mère de Joseph, étaient là, se tenant assises autour du tombeau ».
MÉDITATION
Sur la sépulture de Jésus-Christ
Premier point. Tout étant consommé dans le sacrifice des souffrances et de la croix de Jésus-Christ, son tombeau, selon qu'il était écrit (Son Tombeau sera glorieux. Is., 11, 10), devait être le premier trône de sa gloire. Chrétiens, ne soyez point affligés de l'y voir descendre. C'est comme vainqueur de la mort que le fils de Dieu visite l'Empire de la mort. « Parce que les enfants, dit S. Paul (Héb., 2, 14 et 15) en parlant de nous, sont d'une nature mortelle composée de chair et de sang, Jésus-Christ a aussi lui-même participé à cette même nature, afin de détruire par sa mort, celui qui était le Prince de la mort, c'est-à-dire le démon, et de mettre en liberté ceux que la crainte de la mort tenait dans une continuelle servitude pendant leur vie. Car il s'est rendu le libérateur de la race d'Abraham. C'est pourquoi il fallait qu'il fut, en tout, semblable à ses frères, pour être envers Dieu un Pontife compatissant et fidèle en son ministère, afin d'expier les péchés du peuple. Ayant été tenté et éprouvé par les peines qu'il a souffertes, il a le pouvoir de secourir ceux qui sont tentés.
Les réflexions de ce grand Apôtre nous apprennent celles que nous devons faire. Jésus-Christ est venu sauver des hommes mortels, et non des Anges. Il est venu sauver la race d'Abraham, et non une nouvelle espèce d'hommes qui n'eussent aucun rapport avec celui à qui la naissance du Messie avait été promise. Il est venu délivrer Adam et sa postérité de la mort et de la captivité sous le Prince de la mort. Il a donc fallu qu'il se revêtît de la même nature qu'il venait délivrer, qu'il fut passible et mortel comme elle, et qu'il ne se distinguât de ses frères selon la chair, que par son innocence et sa divinité.
Il est notre Pontife ; et la qualité la plus essentielle, ou pour le moins la plus consolante dans un Pontife, est qu'il soit plein de compassion. Mais comment peut-on s'assurer de celle d'un Pontife impassible et immortel ? Comment des hommes faibles, environnés d'infirmités et sujets à la mort, oseront-ils espérer que leurs maux toucheront un souverain Prêtre qui n'y a voulu prendre aucune part, qui ne connaît leurs misères que par leurs larmes, et qui n'a éprouvé aucune des craintes, ni des douleurs qui les inquiètent et les exercent ?
Il faut qu'ils le voient réduit à leur état pour oser se prosterner à ses pieds ou se jeter dans ses bras. Il faut que la vérité de ses souffrances et de sa mort leur réponde de la vérité de sa Passion et de sa bonté ; et qu'en jugeant de lui par eux-mêmes, ils puissent se persuader qu'il juge aussi d'eux-mêmes par lui. II faut surtout que sa condescendance et sa charité le portent à consentir à mourir, et à mourir réellement ; car toute autre preuve de sa compassion ne pourrait consoler efficacement, ceux qui meurent. Ils trembleraient en se voyant seuls, abandonnés à la mort, sans leur Pontife, sans leur libérateur, sans leur chef. Ils seraient saisis d'horreur en entrant seuls dans un sentier de ténèbres, où ils marcheraient sans guide et sans connaître le terme. Ils croiraient tomber dans un abyme, si le vainqueur de la mort n'y descendait avec eux, et ne les assurait de leur retour par le sien. Ils craindraient avec raison que leurs péchés ne les retinssent dans des prisons éternelles, si leur libérateur n'en brisait les portes : et ils s'affligeraient pendant toute leur vie de ce qu'après un petit nombre de jours, ils seraient condamnés à une nuit inconnue et inaccessible à leur Pontife, s'il refusait de mourir pour eux et de les suivre jusques dans le tombeau. (Exposition de la Passion, t. 14)
Second point. Il est dit dans l'Écriture qu'Élisée s'étendit sur le corps mort de l'enfant de la Sunamite pour le ressusciter à la vie, c'est ainsi que le fils de Dieu tout immortel qu'il est comme Dieu, s'étend dans le tombeau comme homme, ne craint pas d'embrasser la mort qui tenait dans ses liens le genre-humain, et la ressuscite, par ce mystérieux contact, à l'éternelle vie. C'est ainsi que l'accomplissement des figures nous atteste, tout-à-la-fois, la vérité et l'ineffable grandeur de celui qui les accomplit en sa personne. C'est ainsi que Jésus-Christ ne se montre pas moins en Dieu dans le tombeau que sur le Thabor. Sa gloire sur le Thabor est celle de sa divinité. Sa gloire dans le tombeau est celle de notre humanité. Je le répéterai, dans la surprise, dans le ravissement, dans l'admiration de tout mon être : qu'est-ce que l'homme, puisque le fils de Dieu l'honore de sa divinité jusques dans la poussière du tombeau? Certes, je conçois après cela, comment l'Apôtre des nations osait défier toute la puissance des impies et toute la fureur des démons de le séparer jamais de la charité de Jésus-Christ. Je conçois comment tout vrai chrétien est supérieur à tous les périls et à la mort même ; comment la mort n'est plus pour lui qu'un passage, comment les douleurs de la mort ne sont qu'un enfantement à la seconde vie, et le tombeau n'est que le pied d'estal de l'immortalité.
Troisième point. Que les Juifs et les Gentils ne voient donc qu'une continuation du scandale de la croix dans le tombeau de Jésus-Christ ; c'est ce dernier scandale qui nous cautionne l'attente d'une résurrection glorieuse, qui nous est un des plus fermes appuis de notre foi, qui nous prouve le plus évidemment, que dans le tombeau même, l'homme est avec Jésus-Christ le membre d'un même corps. Ainsi le tombeau qui détruit toutes les espérances de l'homme de la nature, réalise toutes celles de l'homme de la grâce ; ainsi lorsque tout finit au tombeau pour les enfants du siècle, Empire, richesses, fortune, talents, c'est ici que tout commence pour les enfants de Dieu, l'empire de Jésus-Christ, les richesses du Ciel, la fortune des saints, la récompense du bon usage des talents. La gloire de l'homme juste se manifeste donc ici comme celle de l'homme-Dieu. L'une sert à l'autre de témoignage.
Heureux donc si me renonçant moi-même, je prends ma croix, je suis Jésus-Christ, je le suis jusqu'au Calvaire, je le suis jusqu'au tombeau. Heureux si je m'unis tellement au fils de Dieu, que je ne le sépare plus de mon existence, que je lui rapporte toutes mes pensées, toutes mes paroles, toutes mes actions. Oh ! combien alors, la vie des saints aura pour moi d'ineffables attraits ! Combien l'exemple de leurs vertus m'inspirera de zèle, d'émulation et de courage, combien enfin je respecterai de plus en plus dans l'homme de la nature celui de la grâce, et dans l'homme de la grâce, l'image du Père, la ressemblance du Fils et le temple du Saint-Esprit.
Considérations. 1°. Voyez, chrétiens, ce que les souffrances et la croix de Jésus-Christ, ce que son tombeau vous offrent de consolation et d'assurance divine. Voyez comment, loin de ce grand mystère de justice et de miséricorde, tout s'écroule dans l'Univers, tout n'y présente plus qu'un spectacle d'éternelles ruines religieuses et morales. C'est ici qu'est la foi, dans les promesses du père, l'espérance dans la médiation du fils, l'amour de Dieu et des hommes dans l'unité du Saint-Esprit.
Considérez 2°. Que dans l'isolement de ces souffrances, de cette croix, de ce tombeau, l'homme ne naît que pour mourir. Il naît, triste rebut, malheureux orphelin de la nature, sujet à tous les genres de peines, sans consolateur, sans espérance future, sans religion et sans Dieu.
3°. Concluez-en que le Calvaire, la Croix, le tombeau de Jésus-Christ étant la seule voie qui puisse cautionner à l'homme, le salut immortel, c'est celle que vous devez préférer, celle que vous devez ambitionner, celle que vous devez méditer, la seule qu'il vous importe de suivre pour être chrétien, c'est-à-dire pour ne former plus, avec Jésus-Christ qu'un seul esprit et un seul cœur, pour trouver dans la mort la résurrection et la vie.
Résolutions et prière. Que votre corps adorable, mis au tombeau pour le salut du genre-humain, est un éloquant spectacle, mon divin Jésus, qui m'inspire inviolablement l'amour de vos saintes lois. Grâces immortelles vous soient rendues, seigneur, de m'avoir instruit dans ce grand et ineffable mystère de la croix, qui ne me laisse rien ignorer de ce que je dois savoir, pour trouver à côté du tombeau, la résurrection et, la vie. Grâces immortelles vous soient rendues, de nous avoir offert, dans ce mystère, le plus puissant motif de vous aimer par-dessus tout, et le prochain comme nous-mêmes, le plus puissant motif encore de pratiquer la vertu, et de fuir le vice. Quel autre que vous, ô mon divin Jésus, pouvait seulement concevoir l'idée d'une telle miséricorde et la réaliser pour l'homme jusques dans le sein du tombeau. “Maintenant donc Seigneur, ne permettez pas que je déshonore votre triomphe sur la mort et sur celui qui en est le Prince, ou par mes craintes excessives, ou par une foi timide et chancelante, ou par une secrète horreur du sentier où je vous vois marcher avant moi, et qui n'est plus le sentier de la mort, ni l'antre de la mort, dès que vous l'éclairez par votre présence et par votre lumière. (Ps. 22 , 4)".
Prenez-moi par la main, lorsque je commencerai à entrer dans cette route obscure selon les sens, et terrible selon la nature, et dites-moi, d'une voix forte et puissante : ayez confiance, j'ai vaincu la mort. Remplissez-moi des mêmes sentiments que votre Apôtre, qui nous assure que vous avez englouti la mort, et que vous l'avez dévorée lorsqu'elle s'est efforcée de vous dévorer, et que vous l'avez changée pour nous en un passage à la vie éternelle (Pet. I. c. 3, v. 22). Et affermissez-moi contre la palpitation d'une nature faible et qui hésite à vous suivre, par ces grandes vérités, que vous êtes essentiellement la vie, que vous ne vous êtes assujetti à la mort que pour nous en délivrer, et que l'immortalité dont vous êtes la source a tué en vous notre mort.
Mais Seigneur, en me délivrant de mes craintes, ne permettez pas que j'en devienne moins humble, moins persuadé que j'ai mérité une double mort, moins convaincu que votre tribunal, si votre miséricorde n'y préside, doit me glacer de crainte. Éloignez de moi toute confiance présomptueuse, tout courage fondé sur mon ignorance et sur mon orgueil, toute fermeté dont une vaine philosophie serait le principe. J'aime infiniment mieux trembler que d'être rassuré de cette sorte. C'est votre seule mort qui me soutient dans la mienne. Si je cessais de penser à la vôtre, je ne verrais dans la mienne que terreur et que désespoir. Je me souviens de vous et de ces mots de votre évangéliste : en baissant la tête, il expira... Ils prirent le corps de Jésus et ils le mirent dans un tombeau. Ces mots me consolent et me tiennent en paix. Car c'est avec vous que j'expire ; c'est à votre exemple que je meurs ; c'est en vous suivant au tombeau que je passe où vous avez passé ; voilà ma foi, mon divin Jésus, rendez-la féconde en vertus dans le temps, pour qu'elle ne trompe pas mes espérances futures, et que vos souffrances et votre croix créent en moi cet homme de l'immortalité, qui doit vous posséder éternellement en la société des saints, dans l'unité du Père et la charité du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
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