samedi 26 décembre 2020

La nuit de Noël à Marseille



Extrait du journal d'un ancien soldat


En décembre 1835, à sa rentrée d'Afrique, notre régiment vint tenir garnison à Marseille.
"J'avais pour ami et frère d'armes un jeune sous-officier, Marseillais d'origine, qui me présenta et me fit admettre dans sa famille.
On était aux approches de Noël. Partout on parlait de cette fête ; vieillards et adolescents, parents et enfants, tous paraissaient joyeux ; mais ce qui m'étonnait, c'est que tous aussi me semblaient préoccupés, les uns des apprêts de cet anniversaire solennel, les autres — et il va sans dire que c'étaient les enfants — de mille espérances !
Étranger à ces pieux usages et à ces démonstrations, j'ouvrais de grands yeux. Je ne pouvais, surtout, rien comprendre aux propos que j'entendais tenir de tous côtés, au sujet de ce qu'on nommait partout LA CRÈCHE EN FAMILLE.
La mère de mon ami, voyant mon embarras, me dit un jour :
“Venez le 24 décembre avec Ernest ; vous me direz après si l'on a tort de tant se préoccuper !”

Je n'eus garde de manquer au rendez-vous. – Il nous fut facile, à mon ami et à moi, d'obtenir des permissions ; et, le jour dit, vers dix heures du soir, nous quittâmes le fort Saint-Jean, et nous nous dirigeâmes vers la cathédrale. Chemin faisant, mon ami me fit remarquer le silence profond qui régnait dans la ville et l'obscurité complète dans laquelle elle semblait plongée.
“Dans quelques heures, vous en verrez bien d'autres,” me dit-il.
En effet, n'étaient les voix des crieurs de nuit répétant les heures en tous les dialectes parlés par les navires qui arrivent à Marseille, et les mille becs de gaz qui illuminaient le Grand-Cours, on eût dit un désert.
Nous arrivâmes à l'église. Que de saintes émotions, que d'impressions de grâce m'y attendaient ! Chants majestueux des Matines, délicieuses symphonies, qu'on eût dits un écho des siècles passés, un élan du cœur naïf de nos pères ; autel et sanctuaire tout resplendissants de lumières, comme le ciel à l'apparition des anges ; lustres étincelants de mille feux, suspendus aux voûtes du temple sous les arceaux de la nef ; sons joyeux des cloches qui annonçaient à grande volée le moment de la naissance du Sauveur : c'était tout cela qui m'attendrissait et qui humectait de larmes mes paupières...
Mais ce fut surtout la sainte Communion, distribuée au milieu de cette heureuse nuit par un vénérable pasteur à tout son troupeau, qui émut mon âme. Quelle touchante péroraison de ce sublime exorde ! Le cœur le plus indifférent eût-il pu ne pas être transporté ?
Ô Dieu ! je me retirai de la sainte Table en vous remerciant de m'avoir convoqué à pareille fête et d'avoir, surtout, admis à votre sacré banquet un pauvre soldat qui, depuis quatre ans, guerroyant sur le sol de l'Afrique, n'avait pu prier dans un temple.

On nous attendait, mon ami et moi, au portail de la cathédrale, et, tous ensemble, nous reprîmes le chemin de la maison, pour moi si hospitalière.
Nous venions de tourner la Cannebière... Quel changement s'offrit à mes regards !
De partout les fenêtres s'éclairaient : c'était une illumination générale au milieu de laquelle, comme dans le plus beau jour, l'on pouvait voir l'antique cité des Phocéens dessinant sa silhouette noircie sur les constructions blanches et récentes de la ville neuve ; le port, surtout, brillait de mille feux : à chaque brick, à chaque vergue, pendaient d'énormes falots à verres colorés : les matelots joyeux, sur le pont, chantaient des noëls : c'était délicieux d'entendre toutes ces mélodies diverses exprimant chacune dans leur idiome, et avec l'accent de leur pays, un sentiment commun, celui de l'allégresse !
Entre toutes ces mélodies, je n'ai jamais oublié celle qui se faisait entendre sur un navire toscan ; comme ces chants allaient à l'âme ! qu'ils étaient pieux ! quelles saintes expressions de joie chrétienne !

En arrivant, nous trouvâmes la table dressée : tout était prêt pour le réveillon. Il fut simple et joyeux : le nom de Noël, et des exclamations sur tout ce qu'on venait de voir, échappaient de toutes les bouches.
Mais les enfants me préoccupaient : en revenant de l'église, je les avais vus prendre tout à coup les devants, après s'être dit quelques mots à l'oreille. J'avais cru que le désir d'arriver plus tôt à la table de famille était le motif de cet empressement.
Je me trompais : car je les trouvai sans appétit devant les friandises qui leur étaient servies.
Qu'y avait-il donc ? Ma curiosité augmenta encore, quand, vers la fin du petit festin, je les vis tous tourner les yeux vers une grande armoire placée près de moi, puis me regarder en souriant.

Je soupçonnais bien là-dessous quelque joyeux mystère. Je ne tardai pas à trouver l'énigme. — Elle s'ouvrit enfin, cette armoire mystérieuse, et j'en vis sortir comme une espèce de châsse, décorée de soieries blanches et bleues qui en masquaient le contenu. On la plaça sur la table, et en un instant elle fut entourée de bougies. Le chef de la famille, se levant alors, dit d'une voix forte : Noël ! Tout aussitôt les soieries qui recouvraient la châsse furent relevées, et je pus jouir de la vue d'un véritable bijou qui n'était autre que la représentation de la crèche. Dans le fond de la grotte, sur un peu de paille, reposait l'enfant Jésus ; près de lui, sa sainte Mère et saint Joseph ; au premier plan, les bergers agenouillés, dans l'adoration la plus religieuse : le bœuf, l'âne, rien n'y manquait. À la voûte, imperceptiblement suspendus, deux anges déroulaient une légende où l'on pouvait lire : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! Toutes les figures étaient en cire et costumées suivant la tradition.

Je m 'extasiais, quand tout à coup des chants délicieux attirèrent mon attention : c'était un harmonieux colloque entre les enfants de la maison et leurs parents.
Les enfants, imitant le chœur des anges, chantèrent d'abord le Gloria in excelsis. — Les père et mère, répondant comme les bergers, demandent si ce n'est point un rêve ou une illusion de leur cœur. — Les anges les rassurent, et le couplet se termine par ces mots : Allez à Bethléem.
À cette dernière invitation, tout le monde se leva, un cantique d'adoration fut entonné.
Oh ! combien je regrettai alors ma profonde ignorance de l'idiome provençal, si doux, si mélodique ! Mais bien que je n'entendisse que la mélodie, je fus profondément touché.
Après l'adoration de la famille, on éteignit les bougies, et la châsse fut replacée dans l'armoire ; mais, à sa place, vint sur la table une énorme corbeille remplie de ces milles riens qui font le bonheur des enfants à cette joyeuse époque de l'année. Dire les cris de joie, les trépignements de pied, les battements de mains serait ici superflu. — La distribution se fit par ordre de mérite, et l'on commença par les enfants, — c'était justice, — c'était leur fête ; puis chaque invité eut son cadeau. Enfin, sur un signal du père de famille, la table fut désertée et chacun alla prendre un peu de repos. — L'horloge marquait trois heures et demie.

Vingt années se sont écoulées depuis l'époque de cette scène dont je fus l'heureux témoin ; et après vingt années, jamais l'anniversaire de Noël n'a reparu sans la rappeler à ma mémoire comme un doux et pieux souvenir. »

(Extrait de Les Fêtes de Noël à Rome, correspondance d'un pèlerin suivie de récits, de descriptions et d'anecdotes sur les fêtes de Noël à Bethléem et dans plusieurs autres villes du monde catholique, par M. l'Abbé V. Dumax, 1859)


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puis ayant ouvert leurs trésors, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe, Discours aux jeunes époux, du Pape Pie XII, durant l'Octave de l’Épiphanie, le 10 janvier 1940, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 18e Méditation : Voici que l'étoile qu'ils avaient vue en Orient parut, allant devant eux, jusqu'à ce qu'elle vint s'arrêter sur le lieu où était l'enfant, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 17e Méditation : À la nouvelle de la naissance du saint Enfant, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 16e Méditation : Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 15e Méditation : Voici que les Mages vinrent de l'Orient à Jérusalem, Méditation pour le Jour des Rois : Que votre Règne arrive, Instruction sur la Fête des Rois, Méditation sur l’Épiphanie : Les Mages confessent Jésus-Christ devant les hommes, Méditation sur l’Épiphanie : Les Mages à Jérusalem, Méditation pour l’Épiphanie : La vocation des mages prédite et figurée, notre vocation à la foi de Jésus-Christ, Méditation sur l’Épiphanie : Les Rois-Mages, Méditation sur l’Épiphanie : Du ministère de Marie dans la vocation des Gentils à la Foi, Remerciement, offrande et prière au Verbe de Dieu incarné, pour l'Octave de l'Épiphanie, Méditation sur l’Épiphanie, Méditation sur la Nativité, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 14e Méditation : On lui donna le nom de Jésus, Litanies du Saint Nom de Jésus, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 13e Méditation : On lui donna le nom de Jésus, nom qui lui avait été donné par l'ange, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 12e Méditation : Après huit jours, le saint Enfant fut circoncis, Instruction sur la Circoncision, Méditation sur la Circoncision, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 11e Méditation : Les bergers revinrent en glorifiant et en louant Dieu de tout ce qu'ils avaient vu et entendu, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 10e Méditation : Les bergers se disaient les uns aux autres : Allons jusqu'à Bethléem, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 9e Méditation : Gloire à Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 7e Méditation : Tout à coup l'Ange du Seigneur parut auprès d'eux, Salutation à Marie et à Jésus naissant, Litanies du Saint Enfant-Jésus, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 1re Méditation : Marie s'étant rendue avec Joseph à Bethléem, le temps de son divin enfantement arriva, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 2e Méditation : Je vous annonce un grand sujet de Joie, il vous est né aujourd'hui un Sauveur, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 3e Méditation : Marie mit au monde son fils premier-né, et l'enveloppa de langes, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 4e Méditation : Marie, après avoir enveloppé de langes le saint Enfant, le coucha dans la crèche, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 5e Méditation : Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 6e Méditation : Il y avait là aux environs des bergers qui veillaient et se relevaient les uns les autres pendant la nuit, pour la garde de leurs troupeaux, Litanies du Saint Enfant-Jésus, et Dévotion au Saint Enfant-Jésus : Prière d'amour et Consécration.