Malheur sur malheur au monde dans ses ténèbres ; car non-seulement il est aveugle, et il ne connaît pas son aveuglement, mais il s'imagine avoir beaucoup de lumière. Les mondains marchent dans les ténèbres ; mais, dit le Saint-Esprit par le Psalmiste, ils n'en connaissent rien, et ne le comprennent pas : au moins les aveugles du corps le savent bien ; s'ils pouvaient recouvrer la vue par quelques remèdes, ils n'oublieraient rien pour s'en servir : ils croient à ceux qui ont de bons yeux, qui leur enseignent le chemin qu'ils doivent tenir ; ils les en remercient : mais les mondains, dans leur aveuglement, s'imaginant bien voir, méprisent ce qu'on leur dit, et ils rejettent la lumière qui leur est présentée. La lumière est venue au monde, dit le saint Évangéliste, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. De cette manière, pour me servir des termes de l'Écriture, ils ont tâtonné le mur en plein midi, comme font les aveugles corporels pour se conduire ; et au milieu des plus beaux jours de la grâce, ils sont demeurés ensevelis dans l'ombre de la mort.
Ils regardent même ceux qui sont divinement éclairés, comme des idiots. C'est pour cela qu'ils diront après leur mort, comme nous l'apprend le Saint-Esprit : Insensés que nous sommes, nous croyions que leur vie fût une folie, et que leur fin dût être sans honneur ; mais voyez comme ils ont été mis au nombre des enfants de Dieu, et que leur partage est entre les Saints. En effet, mes Frères, s'écrie le grand Apôtre, considérez ceux que Dieu a appelés parmi vous, il n'y en a pas beaucoup de sages selon la chair : mais Dieu a choisi ceux qui semblent sans esprit dans le monde, afin de confondre les sages ; et ce qui semble folie en Dieu, est plus sage que les hommes ; et ce qui semble faiblesse en Dieu, est plus puissant que les hommes.
Mais ce qui est grandement étonnant, est que cette funeste illusion ne se trouve pas seulement parmi les Infidèles, mais en des Chrétiens qui dans leur état devraient être des enfants de lumière ; et qui disent, comme parle le Prophète, que le mal est bien, et que le bien est mal : qui donnent aux ténèbres le nom de lumière, et à la lumière le nom de ténèbres : qui changent le mal en bien, estimant les personnes qui vivent selon les désirs du siècle, comme des personnes sages et de grand esprit, dans la poursuite des biens temporels, des honneurs et des aises de la vie ; et approuvant la voie large qui conduit à la mort, pour une voie sûre qui conduit à la vie : qui changent le bien en mal en déshonorant la vertu, et traitant de ridicule ceux qui la pratiquent. C'est de la sorte qu'ils se raillent de ceux qui font profession de la dévotion, qu'ils paraissent à leurs yeux des gens vils et méprisables, des gens, comme dit l'Apôtre, qui semblent sans esprit, et qu'ils donnent le nom de ténèbres à la lumière ; et se perdant dans la vanité de leurs raisonnements et de leur esprit insensé, se disant sages ils sont devenus fous.
Car y a-t-il une folie pareille, un aveuglement semblable à celui du monde, qui préfère les sens à la raison, le temps à l'éternité, la créature à Dieu ? Qui ne pense qu'aux divertissement de la vie présente, pendant que les feux sont allumés dans l'Enfer qui le doivent brûler pour un jamais. Ô Enfer ! qui est bientôt dit, mais qui passe toutes les pensées des hommes, et en la grandeur de ses supplices, et en leur durée qui ne finira jamais. Ô jamais ! ô jamais ! ô éternité ; éternité ; éternité qui vous pourra comprendre ?
Cependant le Fils de Dieu vous déclare que la plupart des hommes iront dans ce lieu funeste de tourments incompréhensibles, puisqu'il nous enseigne qu'il y a peu de personnes sauvées. Après une vérité si certaine, nous étant révélée par un Dieu qui est la vérité même, que les libertins ne disent plus, Qui est revenu de l'autre monde pour nous en apprendre des nouvelles ? Voilà le Fils de Dieu qui en est venu, qui nous assure de cette vérité, dont non seulement tous les Catholiques, mais les Hérétiques demeurent d'accord. Il y a plus, les Turcs font profession de croire un Enfer ; et les Nations infidèles conviennent qu'il y a une autre vie que celle-ci, où le vice est puni, et la vertu récompensée.
Aussi si vous interrogez ces personnes, elles vous répondront qu'elles croient un Paradis et un Enfer : et après cela le monde vit, comme s'il n'y en avait point. Quand on serait certain que l'on serait infailliblement sauvé, on ne pourrait pas s'en mettre moins en peine. Le grand Apôtre, le prodige de la grâce et du divin amour, s'écrie qu'il a peur d'être réprouvé ; et les mondains parmi toute leur corruption sont dans l'assurance.
La Religion nous apprend que l'on est damné pour un seul péché notable ; et les mondains criminels, non seulement d'un péché mortel, mais souvent d'un grand nombre, se réjouissent et dorment à leur aise dans un état si lamentable. Où est la foi des vérités de la Religion ? Y a-t-il une seule personne qui voulût s'exposer à dormir dans un lit plein de dragons et de serpents ? Et on dort paisiblement avec le péché, qui non seulement nous peut faire perdre une vie qui passera bien vite, mais qui nous engage à une mort éternelle. Hé combien de personnes sont passées de leur lit dans les flammes éternelles ? Où est la foi des vérités de la Religion ? Quelles inquiétudes à des gens qui auraient offensé outrageusement quelque grand Monarque ! Quelle peine à leurs familles, à leurs amis ! Et on traite le crime de lèse-Majesté divine comme une affaire de rien. Le pécheur se divertit ayant pour ennemi un Dieu, les parents et les amis n'en sont point touchés. Où est la foi des vérités de la Religion ? Où trouvera-t-on une personne qui étant tombée dans l'ordure, aussitôt ne s'applique à se nettoyer ? S'il rejaillit quelque peu de boue sur le visage, aussitôt on l'ôte ; et si on ne le faisait pas, ceux qui le verraient en donneraient avis. On demeure néanmoins dans l'horrible état du péché mortel les jours, les semaines, les mois et les années. État si affreux, que si on en connaissait l'abomination, il n'y a personne qui le pût souffrir sans mourir. Souvent les amis, les proches, les pères, les mères, les maris, les femmes, les maîtres le voient, et on pense peu à y remédier. Un serviteur de Dieu se trouvant dans une assemblée où il y avait plusieurs Princesses, et nous l'avons appris de l'une de ces Princesses, il leur dit : Mes Dames, ayez autant de soin de vos âmes que vous l'avez de vos souliers, et vous serez sauvées. Cette proposition qui est d'un grand Saint, paraîtra de prim'abord surprenante ; et cependant elle est bien vraie. Car si les gens de qualité donnaient autant d'application à tenir leurs âmes dans la pureté, qu'ils en ont pour avoir leurs souliers propres et bien nets, sans doute qu'ils vivraient en bons Chrétiens, et qu'ensuite ils seraient sauvés.
Ô que c'est bien ici qu'il faut crier : Ah la folie, ah l'aveuglement ! qu'il faut dire qu'il n'y a point d'aveugle semblable à ceux mêmes qui doivent être les enfants de lumière. C'est bien ici que ces paroles de Dieu par le Prophète Isaïe doivent être appliquées : Écoutez, sourds ; aveugles, ouvrez les yeux et voyez. Qui est l'aveugle sinon mon serviteur ? Qui est le sourd sinon celui à qui j'ai envoyé mes Prophètes ? Mais il faut dire aux Chrétiens, sinon celui à qui Dieu a envoyé son propre Fils : Qui est l'aveugle, sinon le serviteur du Seigneur ? Vous qui voyez, n'observez-vous point ce que vous voyez ? vous qui avez les oreilles ouvertes, n'entendez-vous point ? C'est ainsi que Dieu se plaint de l'aveuglement et de l'insensibilité du peuple qui fait profession d'être à son service. Ha, il est vrai : le diable et le monde ont des gens qui les servent, qui ont les yeux, les oreilles et les cœurs ouverts à tout ce qu'ils désirent d'eux ; et Dieu n'est ni regardé, ni écouté, ni obéi, pendant qu'on est actif et intelligent en toute autre chose qu'en ce qui le regarde.
Mais qu'il faut bien dire que le malheur du monde est bien grand dans ses ténèbres ; puisque la mort, qui est si capable de détacher des choses de la vie présente, ne sert qu'à en augmenter la cupidité. Ainsi la mort sert d'occasion à une infinité de procès, et entre les personnes les plus proches, qui disputent pour de faux biens temporels, que la mort a enlevés pour un jamais à ceux dont ils prétendent les héritages ; ne pensant point qu'il leur faudra aussi bientôt les quitter pour une éternité. Disons encore que la mort, ce temps si redoutable, sert d'occasion à plusieurs Bénéficiers de leur damnation éternelle, résignant ou changeant leurs Bénéfices, ou enfin procurant qu'ils tombent entre les mains de personnes qui n'en sont pas dignes, la vue de la chair et du sang, le respect humain, les vues temporelles dominant encore lorsque l'on est prêt de paraître au terrible Jugement de Dieu ; et cet aveuglement arrivant quelquefois à des personnes qui ont d'autre part quelque probité, perdant de la sorte leurs âmes par une maudite complaisance. Il se rencontre même des Confesseurs qui y contribuent malheureusement, qui crient au pauvre malade : Monsieur, vous ne pensez pas à votre neveu, à votre parent ; pourquoi laisser aller votre Bénéfice en des mains étrangères ? La parenté ne s'oublie pas, on presse et on fait tout ce que l'on peut pour conserver le Bénéfice dans la famille, sans se mettre en peine de la damnation où l'on engage le misérable parent.
Mais n'est-ce pas encore la mort qui sert d'occasion à la poursuite des Bénéfices à charge d'âmes, ou de ceux que l'on appelle simple ? On est dans l'attente inquiète des nouvelles de la mort des malades, et à même temps qu'on les a apprises, on court la poste pour les Bénéfices ; et ceux, dit le saint Livre de l'Imitation de notre Seigneur, qui à peine feraient un pas pour la vie éternelle, courent bien loin pour la moindre Prébende. Ce sont pourtant des gens qui ont pris le Seigneur pour la part de leur héritage, lorsqu'ils sont entrés dans l'état Ecclésiastique.
On se laisse emporter à la cupidité des revenus des Bénéfices simples, ne considérant pas qu'ils sont le prix des péchés, comme les Pères disent, les Fidèles les ayant donnés pour la rémission de leurs fautes, et qu'ils sont le patrimoine des pauvres ; que l'on n'en doit user, après ce que l'on en a pris pour le nécessaire, que selon les usages pour qui ils sont destinés. Comme ils sont le patrimoine des pauvres, les saints Pères parlant de ceux qui en usent mal, ne font point de difficulté de dire, qu'ils sont plus méchants que les larrons et les voleurs publics. Et certainement, si prendre à un pauvre une somme modique est un très-grand péché, que sera-ce de leur ravir tous les ans des sommes si considérables ? Quelle attente terrible du Jugement de Dieu à ces gros Bénéficiers, qui leur auront ravi chaque année dix, vint mille livres et plus, et cela quelquefois durant dix, vingt, trente années ? Il ne faut pas s'y tromper, on n'échappera pas le Jugement de Dieu. Que dirait-on d'un Administrateur d'un Hôpital qui en aurait employé une partie des revenus à se divertir et à se donner du plaisir ? Si c'est une vérité de foi que nous devons rendre compte au redoutable Jugement d'une parole inutile, ô Dieu, quel compte à rendre du patrimoine des pauvres que l'on aura dissipé ! Saint Prosper proteste qu'il ne peut pas expliquer l'énormité du crime des Ecclésiastiques qui font un mauvais usage des biens destinés pour les pauvres. Saint Jérôme assure même que les Bénéficiers qui ont du bien de leur patrimoine pour se nourrir et s'entretenir, ne peuvent rien prendre pour leurs usages des revenus de leurs Bénéfices ; que s'ils font autrement, ils commettent un sacrilège, et ils boivent et mangent leur condamnation. Il cite sur ce sujet notre Seigneur, qui en S. Matthieu au chap. 17. ne voulut pas payer le tribut qu'on lui demandait des aumônes qu'il recevait, mais envoya S. Pierre pêcher un poisson, où il trouva dans sa bouche un sicle qu'il donna pour payer pour lui et pour son Apôtre.
Ces obligations des Bénéfices simples sont capables de donner de la frayer à ceux qui les poursuivent ; mais les devoirs des Bénéfices qui ont charge des âmes, doivent percer de crainte ceux qui les recherchent. Saint Chrysostome les considérant s'écrie qu'il s'étonne comment un Curé se sauve. On comprendra facilement le sentiment de ce Père, si d'un côté l'on fait une forte réflexion, que les Curés sont les Coadjuteurs de Jésus-Christ, envoyés comme cet adorable Sauveur pour le salut des hommes ; qu'ils ont pour règle dans la conduite d'une affaire qui est d'une conséquence infinie, l'amour et les travaux d'un homme-Dieu ; que c'est sur cet homme-Dieu agissant, instruisant, souffrant, qu'ils se doivent former, devant être les copies de ce divin modèle ; qu'une seule des âmes qui leur sont commises, est plus précieuse aux yeux de Dieu que tous les Royaumes et l'Univers ensemble ; que le gain ou la perte d'une seule âme est de plus grande importance que la possession ou la perte de tous les Empires ; qu'il n'y en a pas une seule qui ne soit d'un prix infini, ayant coûté le sang d'un Dieu ; et qu'ainsi la perte d'une seule âme est un plus grand mal que si l'on avait perdu tout le monde ensemble. Ce qui a fait dire à S. Bernard, que le poids de la charge des âmes était redoutable même aux forces des Esprits célestes. Et si ensuite de ces réflexions on médite sérieusement d'autre part les obligations étroites que l'on a de veiller sur ces âmes, que l'on en répondra âme pour âme, nous le répétons, il est facile de concevoir le sentiment de S. Chrysostôme.
Il faut premièrement connaître toutes les personnes dont l'on est chargé, au moins autant que cela se peut faire ; car le S. Esprit nous dit dans les Proverbes, qu'il faut avoir une exacte connaissance de son troupeau ; et notre divin Sauveur nous enseigne dans l'Évangile que le véritable Pasteur des brebis les appelle par leur nom quand il les conduit. Les Paysans et les Bergers savent précisément le nombre de leurs moutons et de leurs agneaux. Jacob le savait si bien, qu'il en répondait, et payait à Laban chaque bête que le loup emportait. C'est pourquoi il y a plusieurs Rituels, comme le Rituel Romain, celui du Diocèse d'Évreux, qui ordonnent aux Curés d'avoir un livre de l'état des âmes, dans lequel le nom de tous leurs Paroissiens avec leurs qualités, conditions et besoins soient marqués. On voit dans les Actes de l'Église de Milan un formulaire de ce Registre, où chaque famille est marquée page par page tout de suite. Le nom du père de famille y est en tête, son âge, sa condition, ses besoins, ensuite celui de sa femme, de ses enfants, de ses serviteurs. Aux deux côtés de la page, on marque s'ils sont instruits du Catéchisme, s'ils communient, ou s'ils sont en état, ne communiant pas encore, de se confesser, et les autres observations nécessaires sur leur manière de vie, afin qu'on puisse travailler à apporter l'ordre en toutes choses.
Sans ces soins il est difficile qu'il ne se trouve plusieurs personnes qui ne soient pas instruites des vérités au moins fondamentales de la Religion, et qui ne soient hors de l'état du salut : ce que l'expérience fait voir tous les jours dans les Paroisses de la campagne, où l'on pourrait bien garder cet ordre, et dans lesquelles on trouve même de jeunes gens qui ont parfaitement l'usage de la raison, qui jamais ne se sont confessés. Cependant, le Curé doit répondre de toutes ces personnes en particulier ; et s'il n'a pas soin de les instruire toutes, s'il n'a pas soin de leurs mœurs, dans quel état est-il ? puisque l'Apôtre prononce hautement, que les maîtres qui n'ont pas soin de leurs domestiques, renoncent la foi, et son pires que les infidèles. Car ordinairement les infidèles ne manquent pas de zèle pour leurs erreurs. Si des personnes séculières sont dans un état si déplorable, négligeant le soin de quelques serviteurs, que doit-on penser des Pasteurs des âmes, si par leur faute une seule périt par défaut d'instruction, et des autres soins nécessaire ?
Mais si tous les Chrétiens en qualité de membres de Jésus-Christ doivent être saints, quelle obligation aux Ecclésiastiques à la sainteté, puisqu'ils sont les principales parties du corps mystique du Fils de Dieu, qu'ils en sont les yeux, et qu'ils sont appelés par notre Sauveur la lumière du monde. L'habit du Pontife de l'ancienne Loi où étaient attachées des clochettes, était une figure de la vie exemplaire qu'ils doivent mener. Tout doit être voix en eux. Tout ce qu'ils font, tout ce qu'ils disent, leurs conversations, leur habit, leur manière d'agir, toute leur vie doit être devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ, comme parle l'Apôtre. Tout doit annoncer la grandeur du divin Maître, dont ils sont les Ministres. Ils sont le sel de la terre ; mais si le sel devient insipide, avec quoi pourra-t-on saler ? Il ne pourra servir, dit le Fils de Dieu, ni pour la terre, ni pour le fumier, il ne sera plus bon à rien qu'à être jeté dehors. Que celui-là m'entende, qui a des oreilles pour entendre. Ô plût à Dieu qu'une doctrine si sainte fût entendue ! Il n'y a point de principe en la nature, qui puisse redonner la force au sel, quand il l'a perdue. Qui redonnera donc aux Ecclésiastiques la bonne odeur de Jésus-Christ qu'ils sont obligés de répandre partout, quand leur vie peu édifiante fait tout le contraire ? Les Pères disent qu'ils sont coupables d'autant de péchés, qu'ils en causent par leurs mauvais exemples ; et saint Bernard les traite de persécuteurs de l'Église de Dieu. Leurs moindres défauts, à raison de la sainteté de leur état, sont bien grands aux yeux de Dieu et de ses Anges ; et nous lisons de saint Ambroise, qu'il refusa d'admettre aux Ordres deux personnes dont les gestes n'étaient pas assez modestes.
Certainement le grand Apôtre veut même que la modestie de tous les Chrétiens soit connue à tous les hommes ; et il se sert de la modestie de notre Seigneur Jésus-Christ, pour exhorter les Corinthiens à recevoir les vérités qu'il leur enseigne. On ne peut dire combien cette vertu a de force sur les esprits, et combien les cœurs en sont touchés. On rapporte de saint Lucian Martyr, que sa modestie convertissait d'embrasser la foi de Jésus-Christ. Ce qu'ayant appris l'Empereur Maximian qui l'avait condamné à la mort, et ayant eu la curiosité de le voir, il n'osa jamais le regarder quand il fut devant lui, de peur de se faire Chrétien. Il y a eu des Saints, comme saint François, qui seulement, en se montrant, ont fait de forts sermons. Enfin saint Paul aux Philippiens veut que tout ce qui est véritable, tout ce qui est charitable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur et saint, tout ce qui nous acquiert de la réputation, s'il y a quelque vertu à pratiquer, s'il y a quelque conduite digne de louange, que ce soit l'occupation de l'esprit des Chrétiens. Ces paroles qui sont un abrégé de toute la piété et de la sainteté morale qui regardent les Chrétiens de toutes sortes de conditions, conviennent d'une manière bien plus particulière aux Ecclésiastiques, dans lesquels tout ce qui est pur et saint, toute la conduite digne de louange, doivent éclater avec édification.
Quelle misère donc si ceux qui sont la lumière du monde, en deviennent les ténèbres ; si ceux qui en doivent prêcher hautement le mépris, en inspirent la vanité ! Quel aveuglement dans ces derniers temps, où bien loin de servir à la reforme de la corruption du siècle, plusieurs contribuent par leur habit et leur extérieur à en soutenir le luxe. Ils ont dû, en entrant dans l'état Ecclésiastique, mettre bas et se dépouiller d'ignominie de l'habit séculier, c'est comme parle l'Église, et il semble qu'ils ont peur de porter l'habit de Jésus-Christ. L'habit long, ou la soutane est peu portée, à peine se distingue-t-on des séculiers. Les cheveux empruntés, que les Saints n'ont pu souffrir dans les femmes, je parle des perruques, leur sont ordinaires. Encore si pour la dernière nécessité ils en portaient de conformes à la modestie cléricale ; mais ils en ont comme les séculiers, et quelque fois avec plus de vanité. Ô l'horreur ! plusieurs se font couper leurs cheveux pour porter ces perruques ; et ils les portent jusqu'aux Autels, ils les portent en célébrant les redoutables mystères, ils les portent avec une élévation présomptueuse, lorsqu'un Dieu s'anéantit soi-même, je me sers de l'expression de l'Apôtre, sous l'apparence d'une petite hostie, et de la moindre particule de l'hostie. L'Église sous le Pape Zacharie était bien en d'autres sentiments, lorsque dans le Concile Romain elle défendait aux Prêtres de porter la calotte pendant la Messe.
La vie des Clercs en toutes choses doit être si éloignée des manières du siècle, que le second Concile d'Orléans ne voulait pas même qu'ils demeurassent avec les séculiers. Et le Concile troisième de Cologne invective avec force contre ceux qui y demeurent, y servant de Précepteurs ou de Chapelains, à la grande ignominie du Clergé : ce sont les paroles du Concile, qui gémit de voir que ceux qui sont les conducteurs du troupeau de Jésus-Christ, et qui y doivent être à la tête, y paraissent les derniers, et soient quelquefois employés bassement en des affaires temporelles.
C'est encore pour la même raison que les Conciles ont défendu aux Ecclésiastiques d'avoir des femmes qui demeurent chez eux. Il est vrai qu'il y en a, qui exceptent les plus proches parentes, comme les mères et les sœurs : mais il y en a aussi, comme celui de Reims sous Adrian I. du temps de Charlemagne, qui ne veulent pas que les parentes y logent sous prétexte de pauvreté ; car on les peut assister ailleurs. Le troisième Concile de Mayence défend même que les sœurs y demeurent ; et le troisième Concile de Constantinople, qui est le sixième général, n'excepte que la mère. La Discipline de l'Église Gallicane ne permet pas aucunes servantes, quelque âgées qu'elles soient. Le Concile de Mayence sous Carloman, et celui de Soissons où S. Medard assista, ont fait des Ordonnances très-sévères sur ce sujet. Le second Concile de Tours sous Pelage I. ne souffre pas même qu'un Clerc fasse seulement travailler chez lui une couturière ; ce qui avait été auparavant défendu dans le Concile d'Agde. Enfin tous les Conciles, dans toutes les Provinces chrétiennes, défendent la demeure des servantes chez les Clercs, et très-particulièrement les ménages des personnes mariées. S. Cyprien déplore le malheur de ceux qui ont la témérité de contrevenir à ces ordres. Saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, et les autres Pères se récrient contre. Et l'Église donne tous ces ordres pour apprendre aux Ecclésiastiques combien leur vie doit être sainte par l'éloignement de tout ce qui pourrait servir d'occasion à en obscurcir la pureté.
C'est une obligation commune à tous les Clercs, et particulièrement aux Prêtres, dont la promotion sacrée les élève en quelque façon au-dessus des Anges : et l'on peut dire que la grandeur et la sainteté de leur état est quelque chose de si divin, que si l'on en était vivement pénétré, on n'aurait jamais la hardiesse d'y entrer. Un Ange en ayant révélé quelque chose à saint François, ce Saint, quoique la merveille des Saints, n'a jamais osé entrer dans le Sacerdoce.
Après cela ne faut-il pas déplorer amèrement le malheur des ténèbres du monde, où l'on voit tant de personnes s'ingérer dans un état si saint, sans en craindre les suites. On s'y ingère de soi-même, les parents et amis y introduisent ; les pères et mères y destinent leurs enfants auparavant même qu'ils soient capables de faire un juste choix d'un état de vie. Et voici que l'Apôtre s'écrie aux Hébreux : Personne ne s'attribue cet honneur ; mais il faut y être appelé de Dieu, comme Aaron. Aussi Jésus-Christ ne s'est point glorifié lui-même pour être Pontife, mais il a été glorifié lui-même par celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils. Ô paroles, ô vérités, qui sont autant de foudres épouvantables pour écraser l'entreprise téméraire, et de ceux qui entrent dans le Clergé sans vocation, et de ceux qui coopèrent à leur entrée. Que les pères et les mères, les parents ne se flattent point de l'éducation pieuse qu'ils donneront aux jeunes gens à qui ils procureront des Bénéfices simples, qu'on les élèvera dans des séminaires. Si le Seigneur n'édifie la maison, en vain travaillent ceux qui tâchent de la bâtir. On a vu de nos jours de ces jeunes gens nourris dans les Séminaires les plus exemplaires de la France, y donner beaucoup d'édification pour un temps, mais qui en étant sortis ont été d'étranges sujets de scandale. On ne fera jamais rien de bien, si on n'est appelé de Dieu. Il n'y a point à douter sur ce sujet. Toute plante, dit notre divin Maître en saint Matthieu, qui n'aura point été plantée par mon Père céleste, sera arrachée. Ecoutez, pères ; écoutez, parents et amis ; voici ce que vous dit l'Esprit de Dieu par le Prophète Isaïe : Malheur à vous qui faites des desseins sans moi, qui formez des entreprises qui ne viennent pas de mon Esprit, pour ajouter toujours péché sur péché. Cruels parents, qui sont cause souvent de la damnation éternelle par les Bénéfices qu'ils procurent, et par la destination qu'ils font des personnes à l'État Ecclésiastique, et même à d'autres emplois sans l'ordre de Dieu. Rebuffe dit des Ecclésiastiques non appelés, qu'il eût mieux valu qu'on les eût attachés à une roue, et qu'on les y eût rompus. Ce désordre terrible ne laisse pas néanmoins de régner. On demeure tout plongé dans la terre, on ne rêve et on ne parle que des choses temporelles. Ainsi on appelle dans les familles, les uns, Monsieur l'Abbé, qualité ridicule à un jeune homme, puisque le nom même d'Abbé marque une paternité spirituelle à l'égard des Moines ou Religieux ; les autres, Monsieur le Chevalier, qui est un autre dérèglement effroyable, quand l'effet en arrive que l'on entre dans l'Ordre véritablement Religieux, et dans lequel on fait une profession solennelle des trois vœux de la Religion ; et qu'on y entre sans une vocation spéciale, qui doit être singulière, à raison que les Chevaliers qui ont les mêmes obligations que les autres Religieux, sont tous les jours dans des occasions dangereuses de violer les promesses qu'ils ont faites à Dieu, dont les autres sont exempts. Et cependant ces Chevaliers n'ont-ils pas une âme à sauver comme les autres ? ne subiront-ils pas le Jugement de Dieu ? ne sont-ils pas obligés de rendre au Seigneur Dieu les vœux qu'ils ont faits ; au Dieu terribles, dit le Psalmiste, qui ôte la vie des Princes, et qui se montre terrible à tous les Rois de la terre ?
Une attribution si téméraire de ce qui appartient à Dieu, ne s'arrête pas seulement aux jeunes gens dont nous parlons, les filles ont la même destinée ; on en fait le choix pour le Cloître ; et si l'on a assez de crédit on travaillera à les faire Abbesses : ce qui est, dit un Concile de Paris, si on n'y apporte pas toutes les précautions nécessaires, une fosse ou un abîme où on les précipite. C'est pourquoi le second Concile de Châlons et un Concile de Mayence ordonnent qu'on n'élira que des Abbesses d'une grande religion et sainteté, qui servent de guides par leurs bons exemples en toutes choses, et même à l'extérieur dans leurs habits, aux Religieuses qui leur sont sujettes, pour les conduire au Royaume du Ciel. Cet ordre de ces Conciles à l'égard des habits nous donne lieu en passant de remarquer un abus ordinaire au sujet des habits, lorsqu'on reçoit les filles à leur entrée. Le quatrième Concile de Carthage veut qu'on la présente à l'Évêque avec des vêtements qui conviennent à la vie qu'elle doit mener : mais l'abus est si grand dans cette occasion, que l'on présente quelquefois les filles non seulement parées excessivement, et d'une manière indigne de Chrétiennes, mais encore la gorge et les bras découverts ; et quelquefois elles sont habillées de la sorte par les Religieuses, qui emploieront avec elles beaucoup de temps à les parer de la sorte, leur remplissant l'esprit et l'imagination des vanités honteuses du siècle, au lieu de les préparer à l'action sainte qu'elles vont faire, par l'oraison, le recueillement et une profonde méditation de la grandeur, de la majesté infinie de Dieu, à laquelle elles vont s'offrir.
Après tout, que ceux qui entrent dans un état de vie ; que ceux qui y font entrer, fassent une sérieuse réflexion sur ce que nous avons rapporté de l'Apôtre : Que Jésus-Christ ne s'est pas glorifié lui-même pour être Pontife, mais qu'il a été glorifié par son Père. Cependant y a-t-il jamais eu, et y peut-il avoir jamais quelqu'un qui ait plus de divines qualités pour être Pontife ? Avec cela néanmoins il faut qu'il reçoive l'ordre de son Père ; et des viles créatures, des chétifs néants ne voudront pas l'attendre. On s'appropriera ce qui appartient à un Dieu. On voudra par une élévation damnable se rendre les maîtres du choix du genre de vie, ou pour soi, ou pour les autres ; en cela semblables à ceux dont parle le Prophète Roi, qui disent : Qui dominera sur nous ?
On fait entrer dans le Clergé ou le Cloître, ceux que Dieu n'y appelle pas ; et on empêche d'y entrer ceux que Dieu y appelle. La créature se regarde et ses propres intérêts : elle a ses vues de l'établissement d'une famille, elle cherche sa satisfaction, elle se consulte, et des gens qui agissent par le même esprit, et on ne consulte point Dieu ; on ne fait point d'attention à sa gloire : on ne s'attache point à sa divine volonté ; ou ceux qui ont quelques sentiments de piété, tâchent inutilement de la faire servir à ce qu'ils veulent. Ils veulent que Dieu s'assujettisse à ce qu'ils veulent. De la sorte, ou l'on s'oppose à la vocation soit à l'État Ecclésiastique, soit à la vie Religieuse ; ou l'on retarde, ou à peine peut-on se résoudre à y consentir ; et quelquefois les personnes appelées succombant à tous ces obstacles, perdent leur vocation, embrassent un état où Dieu ne les met pas : ce qui attire de grands malheurs, non seulement pour l'autre vie, mais pour la vie présente. À cela les personnes qui ont l'esprit du siècle, demandent si on ne peut pas se sauver dans le monde ; mais elles ne voient pas qu'étant dans un état hors de l'ordre de Dieu, il n'y donne pas les grâces qu'il aurait accordées abondamment ; et qu'il y est très-aisé de se perdre, et très-difficile de s'y sauver. De plus pensent-elles que ce soit peu de choses de résister à un Dieu, de laisser ses desseins, pour exécuter ce que désire et ce qui plaît à la chétive créature ?
C'est de la manière que le monde se règle. On se conduit, et l'on agit par des motifs humains. Continuons à soupirer inconsolablement sur le malheur des ténèbres de ce monde misérable. On ne remarque en tout son procédé que des vues de la créature. Ha ! qu'il est vrai que Dieu est peu considéré ! Les saints Conciles ordonnent que l'on donnera les Bénéfices à ceux qui en seront les plus dignes, à ceux dont l'on doit attendre avec un vrai fondement qu'ils en feront usage pour la plus grande gloire de Dieu ; qu'ils en emploieront les revenus, après en avoir pris le nécessaire, à la nourriture des pauvres, et à d'autres œuvres de piété, qu'ils s'acquitteront parfaitement de toutes les charges ; qu'ils entreront dans l'amour et le zèle de Jésus-Christ pour le salut des âmes. Ainsi il les faut donner à ceux qui ont un véritable amour de Dieu, non pas aux plus savants qui n'ont pas beaucoup de l'amour divin. C'est la remarque de saint Jean Chrysostome sur ces paroles du Fils de Dieu à saint Pierre, lorsqu'il lui veut donner le gouvernement des âmes : Pierre, m'aimez-vous ? ce qu'il lui répète par trois fois. Il lui demande uniquement le divin amour ; c'est parce que jamais celui qui aime véritablement Dieu, n'entreprendra rien sans toutes les qualités nécessaires, de science, de prudence chrétienne ; et de tout ce qui est propre à son état.
Malheur sur malheur à tous les Patrons, Nominateurs ou Collateurs des Bénéfices qui ont des considérations de parenté, de services, de respects humains. Un grand Cardinal a dit avec bien de la justice, qu'il était convaincu que l'on se damnait, si l'on nommait aux Bénéfices en considération des amis, à la recommandation, à la sollicitation. C'est une chose très-digne d'être considérée, et qui a été remarquée par un serviteur de Dieu ; que tout le Collège des Apôtres n'ose pas nommer un successeur à Judas, pas même l'un des deux Saints qu'ils connaissaient très-dignes ; que la très-glorieuse Vierge, toute pleine de divines lumières, ne voulut pas s'en mêler, disant aux Apôtres ses sentiments. Les Communautés qui donnent les Bénéfices aux fils de leurs Avocats, de leurs Procureurs, à la simple recommandation de leurs Juges, ou des personnes dont elles ont besoin, doivent bien faire réflexion sur cet exemple. L'Angélique Docteur estime même que l'on est indigne d'un Bénéfice, dès lors qu'on le demande, ou qu'on le fait demander. Enfin donner les Bénéfices à ceux qui n'y entrent pas par la porte, par Jésus-Christ, c'est les donner à des voleurs, selon la doctrine de cet adorable Sauveur.
Comment donc les rendre, pour ainsi dire, héréditaires ? Comment travailler à ne les pas laisser sortir des familles ? Saint Pierre Damien parlant de ceux qui ont fondé des Bénéfices, à condition que leurs descendants les possèderaient, dit qu'ils font comme une échelle par où toute leur postérité est en grand danger d'aller en Enfer, et il rapporte une vision terrible sur ce sujet, dans laquelle on vit une échelle qui s'enfonçait dans l'Enfer à mesure que les descendants du fondateur s'asseyaient sur ses échelons, jusqu'au dernier de la lignée, après quoi on ne la voyait plus, étant toute abîmée.
C'est encore un effet des ténèbres du monde que la translation des Bénéfices sans des causes évidentes de la gloire de Dieu. Néanmoins c'est ce qui est très-ordinaire : tous les jours on voit des Curés, et autres Bénéficiers qui permutent, et ce qui est déplorable, souvent dans la pure vue du revenu, ou de quelqu'autre commodité temporelle. Ainsi on demande communément, quand il s'agit de permuter avec un autre Bénéfice, combien vaut-il ? et quelquefois après cela, si le revenu est considérable, le changement est bientôt fait, quoiqu'avec des personnes indignes, et en de certaines occasions qu'ils quittent pour leur mauvaise conduite. Pour lors ne peut-on pas leur attribuer ces paroles de Judas, dans la trahison du Sauveur du monde : Que voulez-vous me donner, et je vous le mettrai entre les mains ? Les translations des Bénéfices sont défendues par le Concile général de Constance, et celui de Latran sous Léon X. sans une évidente nécessité.
Au reste que tous les Patrons des Bénéfices cherchant des excuses dans leurs péchés, ne se trompent en disant, qu'ils présentent à l'Évêque ceux qu'ils nomment, et que c'est son affaire de voir s'ils sont dignes : car l'Évêque, en examinant la doctrine, ne peut pas leur donner l'amour de Dieu, le zèle de sa divine gloire, et les autres qualités nécessaires.
Malheur donc au monde dans ses ténèbres, et même à l'égard des choses saintes ; et il est si extrême, qu'il se rencontre encore dans ce qui peut servir de remède aux désordres, comme dans la Prédication de la parole de Dieu, que plusieurs sont servir par un renversement de tout ordre, aux choses temporelles, au lieu de donner aux Chaires des Prédicateurs, on donnait aux Prédicateurs les Chaires : qu'au lieu de faire manger le Prédicateur afin qu'il prêche, le Prédicateur prêche pour manger, estimant moins Jésus-Christ que son ventre. On a écrit que lorsque l'on donnait une Chaire à une Communauté, c'est lui donner du temporel, et non pas donner un Prédicateur à l'Église. Ordinairement on félicite pour avoir des Chaires et pour soi et pour les autres. Souvent elles se donnent aux recommandations. C'est de la sorte que l'intérêt de Dieu est traité ; et c'est la cause du peu de fruit que l'on voit dans les Stations de l'Avent et du Carême.
C'est d'où vient la différence que l'on remarque dans ce qu'on appelle Missions, et ces Stations. On voit dans les Missions les pécheurs qui se convertissent, des restitutions qui se font du bien d'autrui, les ennemis se réconcilier, les personnes scandaleuses renoncer aux occasions du péché, des Confessions générales pour remédier aux abus de la vie passée. Mais que voit-on dans les Stations de l'Avent et du Carême ? Nous parlons de ce qui arrive communément. La cause d'une si grande différence vient de ce que les Missionnaires n'annoncent point la parole de Dieu par des vues temporelles : ils n'ont en vue que la gloire de Dieu, et Dieu répand ses bénédictions abondamment dans leurs Missions.
Il ne faut pas dire que c'est la multitude des Missionnaires qui causent les bénédictions que l'on remarque dans les Missions. Nous avons connu une Religieux de la Compagnie de Jésus, homme de Dieu, qui prêchant le Carême dans une Cathédrale, les cœurs furent si vivement touchés, qu'il y eut quatre mille personnes qui firent des Confessions générales. Mais les Apôtres qui souvent allaient seuls, n'ont-ils pas converti l'Univers ?
Certainement c'est qu'ils étaient pleins du Saint-Esprit. Grand nombre de Prédicateurs font peu de chose, parce qu'ils ont peu de cet esprit divin, et beaucoup de l'esprit de l'homme ; et dans le sentiment de saint Bernard ces Prédicateurs sont d'autant pires, que leurs talents extérieurs les relèvent, la science, l'éloquence, et les autres agréments naturels. Un homme d'oraison, de mortification, désintéressé, qui ne cherche que Dieu seul, qui ne se regarde point, dans un entier oubli de soi-même, est propre pour prêcher les vérités d'un Évangile qui n'enseigne que le renoncement à toutes choses, l'amour de la croix, l'imitation d'un homme Dieu crucifié.
Il y en a qui semblent vendre la parole de Dieu, qui l'altèrent, dit le grand Apôtre, et cet Apôtre plein de foi et du Saint-Esprit ne laisse pas d'exhorter les Colossiens de prier Dieu pour lui, afin qu'il publie l'Évangile en la manière dont il en doit parler. Et cet Apôtre, après avoir reçu son Apostolat de la propre bouche du Fils de Dieu, ne laisse pas d'aller en Jérusalem, et cela par la révélation de Dieu, afin de conférer avec les autres Apôtres qui y étaient, saint Pierre, saint Jean et saint Jacques, de l'Évangile qu'il annonçait, de peur, dit-il, que toute sa course passée, et celle de l'avenir ne fussent vaines. Saint Bernard déplore ici la témérité des Prédicateurs qui se mettent si peu en peine de leurs fonctions apostoliques, pendant que le miracle des Prédicateurs est dans la crainte et le tremblement.
Malheur au monde dans ses ténèbres, puisqu'il traite la Majesté infinie d'un Dieu avec moins de respect, que de viles créatures pour lesquelles on a quelque considération. La négligence des Églises et des Chapelles n'est-elle pas une preuve convaincante de cette vérité ? Les personnes de qualité ont-elles autant de soin d'orner, de parer, de tapisser les Églises et leurs Chapelles, comme elles en ont de leurs chambres ? Nous avons gémi dans plusieurs des Livres que la divine Providence nous a fait donner au public, sur un aveuglement si terrible, particulièrement à l'égard des Chapelles domestiques. C'est le lieu saint de la maison, où celui devant qui les Puissances des cieux tremblent, celui qui est le Roi de la gloire, devant qui tous les Monarques ne sont qu'un peu de poussière et de cendre, est reçu, et qu'il veut bien visiter dans les excès de ses miséricordes incompréhensibles. Après cette vérité peut-on concevoir que ce ne soit pas le lieu le plus propre et le mieux orné ? Pourrait-on jamais s'imaginer que de Chétives créatures eussent la préférence sur un Dieu dans leur logement, si l'expérience ne laissait pas lieu d'en douter ? Ô quelle différence entre les ameublements des chambres, et les ornements qui servent à ces Chapelles, entre le beau linge que l'on fait servir à de chétifs néants, et les nappes, les aubes destinées au service du grand Dieu des éternités ; entre les chandeliers et la vaisselle d'argent que l'on voit sur les tables, et les chandeliers et les vases qui sont pour le saint Autel ! Oserait-on le dire, les demoiselles suivantes, les valets de chambre, les laquais seront vêtus plus proprement, auront des habits en meilleur état, que les ornements de la Maison de Dieu. Mais ce qui passe toute pensée, est de voir le même désordre, et quelquefois beaucoup plus grand dans des Chapelles qui dépendent de gros Bénéficiers. Nous en avons vu de honteusement profanées servant aux Receveurs ou Fermiers à y retirer du grain, ou à y mettre du foi et des choses pareille. Feu Monsieur Bourdoise dont la mémoire est en bénédiction, assez connu pour son rare zèle à l'égard de toutes les choses Ecclésiastiques, disait, que s'il venait quelqu'un des pays étrangers, et qu'il vit ces Églises et Chapelles mal propres, et la maison des Bénéficiers ou Seigneurs belle, il dirait que les maîtres de la maison seraient des honnêtes gens, et celui des Églises et des Chapelles un coquin.
Malheur au monde dans ses ténèbres ; car semblable aux Idoles des Païens, il a des yeux, et ne voit point. On apprend à tous les Chrétiens dès leur enfance la présence de Dieu en toutes choses ; et si on en interroge, on répond aussitôt que Dieu est présent partout. Il est donc vrai qu'il est présent partout, et que partout il est ce qu'il est. La divine Providence nous en a fait donner un petit Livre au public. Il est avec autant de majesté et de grandeur dans une goutte d'eau, qu'il est dans le Ciel. Il est dans cette Majesté incompréhensible dans nos maisons, dans nos chambres, dans les villes, dans les campagnes, et en toutes sortes de lieux, et il y est plus que nous n'y sommes : et néanmoins on y pense aussi peu que s'il était très-éloigné de nous. Une présence si intime n'occupe point, n'imprime pas le respect que la moindre personne considérable donnerait : on ne l'entretient point, on ne la regarde pas même.
Malheur au monde dans ses ténèbres, puisque Dieu veillant continuellement, et sans l'interruption d'un seul moment par son aimable providence sur tout ce qui se passe dans l'Univers, sur tous nos besoins en particulier, et de telle manière qu'un seul cheveu ne tombe point de nos têtes sans sa divine conduite, prenant soin généralement et sans la moindre réserve de tout ce qui nous regarde ; les hommes ni ne font attention à une providence si douce et si universelle, ne voyant que les causes secondes, ni ne se confient à ses soins divins, mettant tout leur appui sur les moyens humains, comme si Dieu demeurait dans le Ciel, sans se soucier de ce qui se passe en terre.
Malheur au monde dans ses ténèbres ; car il vit, dit saint Augustin, comme s'il n'avait point de foi, s'arrêtant seulement à ce que ses yeux de chair lui font voir, ne se conduisant que par les sens. Ainsi il ne faut pas s'étonner si la présence de Dieu, quoique très-intime, n'en est pas connue, puisque Dieu est un pur Esprit. C'est pour la même raison que les Esprits célestes qu'il donne par une providence qui ne se peut expliquer, dans le sentiment de l'Église, pour gouverner les hommes par des soins si assidus et si charitables, en sont oubliés avec tant d'ingratitude. Toute la terre est pleine d'Anges, quand il n'y aurait que les Anges Gardiens des hommes. On en rencontre donc autant qu'il s'en trouve dans les villes et les campagnes. Nos yeux de chair nous découvrent toutes les créatures visibles. Notre foi demeure presque inutile à l'égard de ces aimables Esprits. Qui pense à converser avec eux, comme les saints Pères nous y exhortent, à les remercier avec la reconnaissance qui leur est due pour tant de bienfaits si obligeants, à avoir recours à eux dans les besoins, à s'appliquer à eux de temps en temps, à eux qui pensent sans cesse à nous ?
Malheur au monde dans ses ténèbres ; car y ayant marché durant toute sa vie, il y meurt encore misérablement. N'ayant point aimé véritablement Dieu en la vie, il meurt sans l'amour en la mort. N'en est-ce pas une preuve très-sensible, de l'entendre parler comme il fait. Si on l'exhorte à se confesser, à recevoir les Sacrements, il dit sans difficulté qu'il n'est pas encore temps, qu'il n'est pas assez malade ; comme s'il y avait des temps dans la plus parfaite santé où l'on ne dût pas se réconcilier avec Dieu, comme s'il n'y avait que la nécessité indispensable de la mort qui y dût obliger. Ô grandeur infinie de Dieu, qu'il est vrai que le monde ni ne vous connaît, ni ne vous aime ! Si l'on apprenait aux malades que quelque Monarque voulût leur faire l'honneur de leur rendre une visite, diraient-ils qu'ils ne sont pas encore assez malades ? Et voilà que le grand Dieu des éternités veut bien leur faire la grâce de les visiter ; et ce qui est incompréhensible, de se donner en nourriture : et ils crient qu'il n'est pas temps. Les Prélats assemblés dans le grand Concile de Latran, et il hy en avait plus de mille, ordonnent sous peine d'excommunication aux Médecins d'avertir les malades avant que de rien ordonner pour la santé du corps, d'appeler les Médecins de l'âme, les Prêtres. Et comment pouvoir négliger le soin des âmes, dont il n'y en a pas une seule qui ne soit d'un prix infini, pendant que l'on donne tant de soins à un malheureux corps qui doit enfin mourir ?
Ô monde, que tu es misérable et en la vie et en la mort : mais le conçoive qui pourra, s'il reste encore le moindre degré de la foi. Hé quoi donc ! on est malade. Il est vrai que l'on peut guérir, et il est vrai que l'on peut mourir. Comment risquer une éternité toute entière, comment s'exposer à perdre le Paradis, et à s'engager à l'Enfer ? Voilà pourtant ce que le monde fait ; et dans les temps où il faudrait tout faire et tout souffrir pour éviter ce malheur infini ; et c'est dans ces temps-là même que l'affaire du salut est négligée. Les malades la négligent, quoiqu'elle leur soit d'une conséquence infinie : et les parents, les proches, les amis, bien loin d'y travailler de toutes leurs forces, souvent y servent d'obstacles. Ils empêchent qu'on ne parle de recevoir les Sacrements ; parce que, disent-ils, cela ferait peu au malade, cela pourrait augmenter sa maladie, et ils ne se mettent pas en peine de le mettre en danger de lui faire perdre son âme. Ô Chrétiens, qui n'en ont que le nom et que les apparences, et qui agissent en infidèles ! C'est un grand abus que de différer encore trop longtemps à faire recevoir l'Extrême-Onction ; puisque même elle a pour l'une de ses fins de redonner la guérison au corps, et que plusieurs recouvrent la santé, qui seraient morts sans la réception de ce Sacrement. Il suffit qu'il y ait danger de mort, et il ne faut pas attendre l'article de la mort, et qu'il n'y ait plus rien à espérer, puisque ce Sacrement est en partie institué pour redonner la santé. Il se trouve même plusieurs Prêtres qui manquent beaucoup dans ce sujet ; et il le faut dire en passant, les pauvres gens de la campagne souvent en sont peu assistés, lorsque la nécessité en est plus pressante. On les abandonne quand on leur a donné les Sacrements, on les laisse mourir sans secours, lorsque les diables redoublent tous leurs efforts pour les perdre.
Malheur au monde dans ses ténèbres, en la vie, en la mort, et après la mort. La vie du Chrétien est une vie humble, puisqu'il est disciple d'un homme-Dieu, dont la divine parole nous enseigne, que dès le premier instant de son incarnation, il s'est anéanti soi-même ; et le monde est tout rempli de vanité. Elle paraît jusque dans les offrandes que l'on présente à ce Dieu humilié. On fait mettre des armes sur les murailles des Églises, sur les tableaux, sur les chasubles, et ce qui est étrange, sur les calices même ; et pendant qu'un Seigneur ne fait pas porter ses livrées ni à ses Gentils-hommes, ni à ses valets de chambre, les réservant pour ses laquais, on les fait porter aux Ministres des saints Autels, et aux Calices qui reçoivent le Sang d'un Dieu. Eusèbe rapporte que jamais le Grand Constantin ne voulut que son nom parût dans toutes les Églises qu'il fit bâtir en grand nombre, et qu'il se moquait de Trajan l'Empereur qui le faisait mettre dans ses bâtiments, appelant cela l'herbe pariétaire.
Après tout, encore si la mort ouvrait les yeux pour découvrir le mensonge du monde ; mais ses vaines illusions règnent encore après la mort, où l'on porte même la vanité, par les testaments que l'on fait, et les ordres que l'on donne pour des funérailles et des sépultures. Ô qu'il fait beau d'être humilié à la suite du Fils de Dieu ! Nous lisons de saint Pacôme qu'il priva un de ses Religieux qui avait été imparfait, des honneurs que ses parents avaient pris soin de lui faire rendre dans ses obsèques : ce qui ayant étonné ces parents, l'homme de Dieu leur dit : Vous ne savez pas combien cette humiliation servira à l'âme de ce Religieux. Les Chrétiens dans les premiers siècles étaient bien éloignés du faste que l'on remarque dans ces derniers temps. Les Cimetières étaient le lieu de leur sépulture, et non pas nos Églises. Et Eusèbe rapporte que Constantin fut enterré devant la porte. Nous avons vu, il y a peu d'années, plusieurs Évêques qui ont voulu être enterrés de cette manière. Les Conciles d'Auxerre, d'Arles et de Nantes défendent que les corps soient inhumés dans les Églises. L'esprit du Christianisme est toujours un esprit d'humilité.
Enfin malheur sur malheur au monde dans ses ténèbres, qui le tenant tout occupé de la crainte des peines de cette vie, le laissent dans une indifférence déplorable des maux de la vie future. C'est ici qu'il nous faut convaincre fortement de ce malheur par ce que nous allons dire. Quand il serait certain que nous serions sauvés par une révélation divine, comment n'être point percés de crainte à la vue de la grandeur des tourments du Purgatoire ? Comment y donner lieu par nos passions immortifiées ? Il est vrai, les Pères de l'Église, et l'Angélique Docteur après eux, enseignent que ces tourments surpassent tous ceux de la vie. Mais quand les feux qui y servent à la justice vengeresse de Dieu, ne causeraient pas plus de peine que les feux de ce monde, comment peut-on les négliger avec tant d'insensibilité ? Ha si une seule bluette de feu tombe sur un habit, on la secoue aussitôt. Si par mégarde on touche avec le doigt un charbon ardent, on le retire bien vite. Où en serions-nous, si nous étions assurés de finir notre vie au milieu des flammes, quoique le tourment n'en dût pas durer longtemps ? Hé ! qui de nous pourra demeurer dans le feu dévorant ? Qui d'entre nous pourra subsister dans les flammes du Purgatoire, qui y sont allumées par la colère d'un Dieu ? Levez-vous maintenant, Seigneur, exaltez votre grandeur, faites éclater votre puissance : que les hommes connaissent la justice de vos Jugements ; qu'ils embrassent la pureté de votre loi, et qu'ils marchent dans la sainteté de vos voies, de peur que vous ne vous irritiez contre eux. Ô moment redoutable, lorsque tout d'un coup votre colère s'allumera après la mort, condamnant aux flammes terribles du Purgatoire ! Hélas, c'est dans ces feux que brûlent des personnes qui nous étaient si chères, et dont les maux des maladies nous touchaient si fortement ; dont l'on dit ordinairement qu'elles sont bienheureuses en étant délivrées par la mort, ne faisant pas réflexion que ces maux n'étaient presque rien, comparés aux tourments du Purgatoire. Certainement c'est dont l'on a peu de foi, aussi bien que des autres vérités catholiques : c'est pourquoi on a si peu d'application, et pour s'en délivrer soi-même par le détachement de tout l'être créé, et pour y soulager les âmes qui y sont détenues. C'est ce qui nous a obligés d'en donner un petit Traité avec le secours divin au public.
Après toutes ces choses, il faut dire que les ténèbres sont répandues sur toute la terre, et qu'elles couvrent tout le monde. Et saint Paul aux Éphésiens appelle les démons gouverneurs de ces ténèbres, dont ils remplissent le monde, et le frappent d'un si grand aveuglement, qu'il ne voit plus. Comme les bêtes sauvages se promènent en liberté, et que les lionceaux rugissent après leur proie, la nuit s'étant formée, comme dit le Psalmiste ; de même les diables règnent dans ces ténèbres du péché, que l'Apôtre appelle, en la seconde aux Corinthiens, les Dieux de ce siècle. C'est au milieu de leur obscurité que les diables nos ennemis tournent à l'entour de nous comme des lions rugissants, cherchant quelqu'un qu'ils puissent dévorer. Heureux ceux qui leur résisteront, se tenant fermes dans la foi, qui nous éclaire des rayons du Soleil de justice, nous faisant passer de la nuit du péché dans le beau jour de la grâce.
(Extrait de Le malheur du Monde, par M. Henri-Marie Boudon)
Reportez-vous à Le malheur du Monde, en ce qu'il ne connaît point Dieu, et son Fils Jésus-Christ, Ce que l'on entend par le Monde, Aveuglement de l'homme, Du vrai Religieux, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie mixte, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'homme intérieur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Ce
qui s'est observé dans un Ordre Religieux durant le premier siècle
depuis son établissement, doit être regardé comme meilleur que tout ce
qu'on peut inventer dans la suite, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur les trois mots qui furent dits à saint Arsène : Fuyez, taisez-vous, reposez-vous, Instruction sur les Conseils évangéliques, Du monde, Méditation sur les dangers du monde, Méditation sur l'amour de la retraite, Méditation sur les moyens de se sanctifier dans le monde, Méditation sur le détachement des biens de ce monde, Litanie pour se détacher des biens de ce monde, Méditation sur la gloire du monde, Méditation sur les obstacles que le monde oppose à notre salut, Méditation sur le renoncement au monde, Méditation sur deux règles qu'un Chrétien doit toujours observer pour faire son salut dans le monde, Méditation sur les affaires du monde comparées à celles du salut, Méditation sur l'affaire du salut, Que faut-il pour connaître sa vocation ? Premièrement, consulter Dieu, Que faut-il pour connaître sa vocation ? Deuxièmement, consultez-vous, vous-même, Que faut-il considérer dans le choix de la vocation ?, Quelle est ma vocation ?, Prière pour demander la grâce de connaître et d'accomplir la volonté de Dieu, Prière pour la vocation, Prière à Marie pour connaître sa vocation, Prière à Saint Joseph pour lui demander la grâce de connaître sa vocation, N'embrassez un état que par des motifs dignes d'une Chrétienne, En quelque état que vous soyez, rendez respectable, par vos sentiments et votre conduite, votre titre de Chrétienne, et Méditation sur ce qu'un Chrétien doit penser des richesses et des grandeurs du monde.
dimanche 18 avril 2021
Le malheur du Monde dans les ténèbres
Publié par
Le Petit Sacristain