Extrait de "Traité du Saint-Esprit" de Mgr Gaume :
La Sainte Trinité (Hendrick van Balen) |
Que Dieu, soleil nécessaire des intelligences, vienne à disparaître. Aussitôt la vie morale s'éteint. Toutes les notions du bien et du mal s'effacent ; l'erreur et la vérité, le juste et l'injuste, se confondent dans le droit du plus fort. Au milieu de ces ténèbres, toutes les hideuses cupidités, assoupies dans le cœur de l'homme se réveillent, et, sans crainte comme sans remords, se disputent les lambeaux mutilés des fortunes, des cités et des empires ; la guerre est partout, la guerre de tous contre tous, et le monde n'est plus qu'une caverne de voleurs et d'assassins.
Ce spectacle, l'œil de l'homme ne l'a jamais vu, pas plus qu'il n'a vu l'univers sans l'astre qui le vivifie. Mais ce qu'il a vu, c'est un monde où, semblable au soleil voilé par d'épais nuages, l'idée de Dieu ne jetait plus qu'une lueur incertaine. Au travers des ténèbres dans lesquelles ils s'étaient volontairement ensevelis, les peuples païens n'apercevaient qu'indistinctement l'unité incommunicable de la divine essence. Parce que le flambeau qui devait la diriger vacillait au vent des passions, des intérêts et des opinions, leur marche intellectuelle et morale fut tour à tour chancelante, absurde, rétrograde : les dieux égaraient l'homme.
Des tâtonnements éternels sur les questions les plus importantes et les plus simples, des superstitions grossières et cruelles, des systèmes creux ou immoraux, condamnèrent le genre humain au bagne, vingt fois séculaire, de l'idolâtrie. Là, gisent encore enchaînées les nations modernes, éloignées des zones bénies sur lesquelles rayonne de tout son éclat le dogme tutélaire de l'unité divine. Il n'en peut être autrement : entre l'homme et le mal, il n'y a qu'une barrière, Dieu ; Dieu connu, Dieu respecté. Ôter Dieu, l'homme, sans frein et sans règle, devient une bête féroce, qui descend avec délices jusqu'aux combats de gladiateurs et aux festins de chair humaine.
Par la raison contraire, veut-on empêcher l'homme de tomber dans l'abîme de la dégradation et du malheur ? S'il y est enseveli, veut-on l'en retirer et le conduire au plus haut degré de lumière, de vertu et de félicité ? Trêve de discours, trêve de combinaisons et de systèmes : un mot suffit. Dites au grand malade : Il y a un Dieu ; lève-toi et marche en sa présence. Que le genre humain prenne ce mot au sérieux, en sorte que le dogme souverain de l'unité divine, pèse de tout son poids sur les esprits et sur les volontés, et le malade est guéri. Dieu règne ; et l'homme est éclairé de la seule lumière qui ne soit pas trompeuse ; il est vertueux de la seule vertu qui ne soit pas un masque ; il est heureux du seul bonheur qui ne soit pas une déception ; il est libre de la seule liberté qui ne soit ni une honte, ni un crime, ni un mensonge (Gen., XVII, 1). Nous le répétons, avec ce seul mot : Il y a un Dieu, le monde sera guéri ; sinon, non.
Un jour ce mot fut dit sur le genre humain, gangrené de paganisme, dit partout, dit avec une autorité souveraine, et le grand Lazare se leva de sa couche douloureuse, et il couvrit de ses baisers brûlants la main qui l'avait sauvé. Philosophes, politiques, sénat, aréopage, vous tous qui vous donniez, qui vous donnez encore pour les guérisseurs des nations, cette main ne fut pas la vôtre ; elle ne la sera jamais.
(...)
Mais qu'est-ce que Dieu ? Dieu, c'est le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit, trois personnes distinctes dans une seule et même divinité. En d'autres termes, Dieu c'est la Trinité ; il ne peut être autre chose. Interrogé sur ce qu'il est, Dieu lui-même a répondu : Je suis Celui qui suis ; je suis l'Être, l'Être absolu, l'Être sans qualification (Ego sum qui sum. Exod., III, 14). Or, l'être absolu possède nécessairement tout ce qui constitue l'être, et il le possède dans toute sa perfection. Trois choses constituent l'être : la mesure, le nombre, le poids (Sap. XI, 21).
Dans les êtres matériels, la mesure, c'est le fond ou la substance ; le nombre, c'est la figure qui codifie la substance ; le poids, c'est le lien qui unit la substance à la figure, et entre elles toutes les parties de l'être. Cherchez dans toute la nature, du cèdre au brin d'herbe, de l'éléphant à la mite, de la montagne au grain de sable, vous ne trouverez pas un seul être qui ne réunisse ces trois choses. Elles sont tellement essentielles, qu'une de moins, l'être ne peut exister, ni même se concevoir. Ainsi, ôtez la substance, qu'avez-vous ? le néant ; la figure ? le néant ; le lien ? le néant (S. Aug. t De Gen. ad Litt., lib. IV, c. III).
La mesure, le nombre et le poids ne sont dans les créatures, que parce que Dieu les y a mis. Dieu ne les y a mis, que parce qu'il les possède, c'est-à-dire parce qu'il est lui-même mesure, nombre et poids (S. Aug., Lib. de natur. boni, c. III). Comme nous l'avons vu du dogme de l'unité de Dieu, la Trinité a donc autant de témoins qu'il y a dans l'univers de créatures inanimées, d'astres au firmament, d'atomes dans l'air et de brins d'herbe sur la terre : c'est la pensée des plus grands génies.
« Dans toutes les créatures, dit saint Augustin, apparaît le vestige de la Trinité. Chaque ouvrage du divin artisan présente trois choses : l'unité, la beauté, l'ordre. Tout être est un, comme la nature des corps et l'essence des âmes. Cette unité revêt une forme quelconque, comme les figures ou les qualités des corps, les doctrines ou les talents des âmes. Cette unité et cette forme ont entre elles des rapports et sont dans un ordre quelconque. Ainsi, dans les corps, la pesanteur et la position ; dans les âmes, l'amour et le plaisir. Dès lors, puisqu'il est impossible de ne pas entrevoir le Créateur dans le miroir des créatures, nous sommes conduits à connaître la Trinité, dont chaque créature présente un vestige plus ou moins éclatant. En effet, dans cette sublime Trinité est l'origine de tous les êtres, la parfaite beauté, le suprême amour (Lib. VI, De Trinit., c. x, ad fin - De Trinit., lib. VI, n. 12. T. VIII, p. 1300, édit. Paris). »
Trinité ! voilà, suivant Lactance, saint Athanase, saint Denys d'Alexandrie, Tertullien (Vitass., De Trinit, quaest., I. art. 1), le dogme que proclame incessamment, à ceux qui ont des yeux pour entendre, l'universalité des êtres. Les plus nobles le répètent d'une voix plus sonore. Serait-il juste qu'il en fût autrement ? Ne doivent-ils pas un hommage particulier à l'auguste mystère dont le vestige plus éclatant, marqué sur leur front, est la raison même et la mesure de leur noblesse ? Ainsi, le soleil, l'arbre, la source sont des prédicateurs éloquents de la Trinité. Dans l'unité de la même essence, ils nous montrent, l'un : le foyer, le rayon et la chaleur, l'autre : la racine, le tronc et les branches ; le troisième : le réservoir, l'écoulement et le fleuve.
Expliquant la doctrine des Pères : « Dans chaque créature, ajoute l'Ange de l'école, se trouvent des choses qui se rapportent nécessairement aux personnes divines, comme à leur cause. En effet, chaque créature a son être propre, sa forme, son ordre ou son poids. Or, en tant que substance créée, elle représente la cause et le principe, et démontre la personne du Père, qui est le principe sans principe. En tant qu'elle a une forme, elle représente le Verbe, comme forme de l'ouvrage conçue par l'ouvrier. En tant qu'elle a l'ordre ou le poids, elle représente le Saint-Esprit, comme amour, unissant les êtres entre eux et procédant de la volonté créatrice. À cela se rapportent la mesure, le nombre et le poids : la mesure à la substance de l'être ; le nombre, à la forme ; le poids, à l'ordre. »
Si les créatures inanimées, qui sont les dernières dans l'échelle des êtres, présentent le vestige de la Trinité, il est évident que ce vestige doit briller avec plus d'éclat dans les créatures d'un ordre supérieur. Que dis-je ? ce n'est pas seulement le vestige que nous trouverons, c'est l'image. « Tout effet, continue saint Thomas, représente sa cause en partie, mais de manières différentes. Certain effet représente seulement la causalité de la cause, sans indication de la forme. C'est ainsi que la fumée représente le feu. Une telle représentation s'appelle représentation par vestige. C'est avec raison, car le vestige prouve qu'un être a passé par là ; mais il ne dit pas quel il est. Certain effet représente la cause quant à la ressemblance. Ainsi le feu engendré représente le feu générateur, la statue de Mercure, Mercure. Cette représentation s'appelle représentation par image.
Or, les processions des personnes divines se considèrent suivant les actes de l'intellect et de la volonté. En effet, le Fils procède comme la parole de l'intellect ; le Saint-Esprit, comme l'amour de la volonté. Il en résulte que, dans les créatures raisonnables, douées d'intellect et de volonté, se trouve la représentation de la Trinité par forme d'image, puisqu'on trouve en elles le Verbe conçu et l'amour procédant. » Il en résulte encore que le dogme de la Trinité a autant de miroirs qu'il y a d'anges dans le ciel, de démons dans l'enfer, et d'hommes venus ou à venir sur la terre, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin.
En résumé, ce qui, dans les créatures inanimées, est mesure, nombre et poids, s'appelle dans les créatures raisonnables puissance, sagesse, amour ; et en Dieu, Père ou puissance, Fils ou sagesse, Saint-Esprit ou amour mutuel du Père et du Fils. Ces trois choses ; puissance, sagesse, amour, sont tellement essentielles en Dieu, qu'une de moins, Dieu n'est pas et ne peut pas même se concevoir. Si vous lui ôtez la puissance, qu'avez-vous ? Le néant. La sagesse ? le néant. L'amour ? le néant ? (De là, le mot de saint Jérôme : Sans le Saint-Esprit, le mystère de la Trinité est incomplet, Ad Hedibiam, opp, t. IV, p. 189) Nous avons ajouté que Dieu possède les trois conditions essentielles de l'être dans toute leur perfection. Or, dans l'être proprement dit, la perfection de ces conditions, c'est d'être réelles, substantielles, subsistantes par elles-mêmes ; en un mot, de vraies hypostases ou personnes distinctes.
En attendant les preuves directes du dogme de la Trinité, cela soit dit, non pour démontrer ce qui est indémontrable, mais pour montrer que l'auguste mystère n'a rien de contraire à la raison, et que même la vraie philosophie en soupçonne l'existence, avant d'en avoir la certitude (S. Th., ibid., ad 1). Ainsi Dieu l'a voulu. Et pourquoi ? D'une part, afin de ne jamais se laisser sans témoignage, en imprimant ses vestiges ou son image dans toutes les créatures ; d'autre part, afin de donner aux hommes, et spécialement aux nations chrétiennes, le moyen d'atteindre leur perfection, en prenant pour modèle la Puissance infinie, la Sagesse infinie, l'Amour infini.
En effet, si le dogme de l'unité de Dieu fut le soleil du monde judaïque, le dogme de la Trinité est le soleil du monde évangélique. Or, ce qu'est la rose en bouton à la rose épanouie, le dogme de l'unité de Dieu l'est au dogme de la Trinité. Marcher en la présence d'un Dieu en trois personnes, clairement connu, est donc pour les peuples chrétiens la loi de leur être et la condition de leur supériorité.
C'est la loi de leur être. Viennent-ils à l'oublier ou à la méconnaître ? sur-le-champ ils tombent des hauteurs lumineuses du Calvaire, et, rétrogradant de quarante siècles, ils se replongent dans les ténèbres du Sinaï. Là, ne s'arrête pas leur chute.
(...)
C'est la condition de leur supériorité. La perfection intellectuelle et morale d'une société, est toujours en raison directe de la notion qu'elle a de Dieu. Autant la connaissance claire de l'unité divine éleva les enfants d'Israël au-dessus des nations païennes, autant la révélation de la Trinité élève les peuples chrétiens au-dessus du peuple juif. Que les sociétés baptisées le sachent ou qu'elles l'ignorent, qu'elles le croient ou qu'elles le nient, c'est dans les profondeurs de ce dogme éternellement fécond, que se trouve la source cachée de leur supériorité, sous tous les rapports. La Trinité est le pivot du christianisme, par conséquent, la première assise des sociétés, nées du christianisme. Ôtez ce dogme, et l'incarnation du Verbe n'est plus qu'une chimère ; la rédemption du monde, une chimère ; l'effusion du Saint-Esprit, une chimère ; la communication de la grâce, une chimère ; les sacrements, une chimère ; le christianisme tout entier, une chimère ; et la société, une ruine (Lieberm., Instit. theolog., t. III, p. 123).
Écoutez ce sermon pour la Fête de la Sainte Trinité.
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