Extrait de « La vie n'est pas la vie » de Mgr Gaume :
QUATRIÈME LETTRE
CHER AMI,
Pourvu de toutes les ressources de la puissance, de la richesse et de la science élevées au plus haut degré, Salomon se met à l'œuvre. Prêtons l'oreille, et laissons-le nous raconter lui-même le résultat de son expérience. « J'ai dit dans mon cœur : je veux m'enivrer de délices : je veux jouir de tous les biens. J'ai donc fait faire des ouvrages magnifiques. J'ai bâti des palais. J'ai planté des vignes. J'ai fait des jardins et des vergers, où j'ai mis toutes sortes d'arbres. J'ai eu des serviteurs et des servantes, et un grand nombre d'esclaves, nés dans ma maison, une multitude de troupeaux, plus que n'en ont jamais eus tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. »
« J'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent, et les richesses des rois et des provinces. J'ai eu des musiciens et des musiciennes, et tout ce qui fait les délices des enfants des hommes, des coupes et des vases à boire. Et j'ai surpassé en opulence tous ceux qui m'ont précédé dans Jérusalem. Et je n'ai rien refusé à mes yeux de ce qu'ils ont désiré. J'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre les jouissances dans tout ce que j'avais préparé, et j'ai cru que je trouverais le bonheur à jouir de mes travaux (Eccl., XI, 1, 10). »
Certes, l'expérience ne laisse rien à désirer. Quel est l'homme qui l'ait jamais faite, ou qui puisse se flatter de la faire dans de pareilles conditions ? Voyons le résultat. Le royal expérimentateur continue : « Mais, après avoir bien examiné les ouvrages de mes mains et tous les labeurs auxquels j'avais pris tant de peine, j'ai reconnu qu'au fond de toutes choses, il n'y a que vanité et affliction d'esprit, et que rien n'est stable sous le soleil : Et nihil permanere sub sole (Eccl., XI, 11).
Rien n'est stable sous le soleil ! Dans ce mot fatal est la seconde raison pour laquelle le bonheur, la vie par conséquent, est introuvable sur la terre. La loi d'instabilité et de mort qui pèse sur toutes les choses du temps, forme l'inexorable cauchemar dont les amateurs de la bagatelle, si fascinés qu'ils soient, ne parviennent jamais à se débarrasser.
L'histoire rapporte que Caracalla, fils de l'empereur Septime-Sévère, poignarda son frère Géta, sur les genoux de leur mère. A partir de ce moment, le meurtrier croyait entendre une voix qui le poursuivait partout, répétant sans cesse : Bois le sang de ton frère ; ou plutôt, comme dit le texte avec plus d'énergie : « Bois ton frère, » Bibe fratrem.
Pour toi, cher Frédéric, comme pour tous, je réitère mon affirmation : si fascinés qu'ils soient, les martyrs de la grande erreur ne peuvent s'empêcher d'entendre la voix qui leur crie : Rien n'est stable sous le soleil. Cette voix impitoyable les suit partout : à la ville et à la campagne ; dans le bruit et dans la solitude ; dans le travail et dans le repos. Elle franchit le seuil de leurs palais, pénètre dans leurs fêtes et retentit comme un glas funèbre au milieu de leurs rêves de bonheur.
Plus encore. Cette parole : Rien n'est stable sous le soleil, s'écrit sur toute leur personne : ils ne peuvent se regarder sans la voir. Cette tête qui se découronne, ces cheveux qui blanchissent, ces rides qui sillonnent leur front, ces yeux qui s'affaiblissent, ces dents qui tombent, ces jambes qui fléchissent, ces épaules qui se voûtent, tout ce corps qui se courbe et qui semble se pencher vers la tombe ; autant de voix qui leur disent : Rien n'est stable sous le soleil. Ils peuvent bien ne pas les écouter, mais je le répète encore, ils ne peuvent pas ne point les entendre.
Leur fascination fait pitié et m'inspire ce vœu fraternel : Puisse arriver pour eux une de ces heures bénies, où l'homme ennuyé, fatigué du monde et des affaires, est comme forcé de se donner audience à lui-même ! Que dans ce calme momentané ils s'adressent de sang-froid les questions proposées autrefois, par un de nos plus aimables saints, Philippe de Néri, à un jeune homme victime comme tant d'autres de la grande erreur.
Étant venu voir l'illustre confesseur de Rome, celui-ci fixe sur l'adolescent un regard paternel et, le prenant dans ses bras, lui dit : « Francesco, que fais-tu maintenant ?
— Je fais mes études.
— Tu seras un brillant élève, couvert de couronnes et chargé de prix : et après ?
— Quand j'aurai terminé mes humanités, j'apprendrai le droit civil et le droit canon.
— Tu recevras tes grades aux applaudissements de tes juges : tu seras docteur in utroque : et après ?
— J'entrerai dans la magistrature.
— Tu seras un jurisconsulte célèbre : et après ?
— Je me marierai.
— Tu auras une belle et nombreuse famille : et après ?
— Je continuerai d'exercer ma profession, afin de donner une position honorable à mes enfants.
— La fortune te sourira ; ils seront riches : et après ?
— Je composerai des ouvrages utiles à ceux qui suivront ma carrière.
— Tes ouvrages auront un grand succès ; tu seras l'oracle de tes confrères : et après ?
— Je jouirai tranquillement des biens que j'aurai amassés et de la considération que j'aurai acquise.
— Tu vivras dans l'abondance ; ton nom sera honoré : et après ?
— Je vieillirai ; et comme tous les mortels, je payerai le tribut de la nature : je mourrai.
— Et après ?
— Après.... ? après.... ?
— Oui, après, cher Francesco, il faudra être jugé, absous ou condamné, sans appel, pour toute l'éternité. Je ne blâme rien de ce que tu veux faire. Seulement, si tu te laisses absorber par les travaux de la vie présente, sans les rattacher par la foi aux réalités de la vie future, tu tombes dans la plus dangereuse et la plus cruelle des folies. Tu te seras consumé à poursuivre un fantôme que tu n'auras pas saisi ; et, à l'heure du départ, tu te trouveras les mains vides : vides de bonnes œuvres, semences de vie immortelle, et peut-être pleines d'iniquités, semences de mort sans résurrection. »
Francesco garda le silence, embrassa le père et sortit. Mais le coup était porté. L'après du père Philippe lui restait dans l'esprit comme une goutte de résine tombée dans les cheveux : il ne pouvait s'en débarrasser. De guerre lasse, il se met à méditer cet après importun. Bientôt, Dieu aidant, ses illusions disparaissent, il comprend que la vie d'ici-bas n'est pas la vie ; et, en homme sage, il la fait résolument servir à l'acquisition de la vie véritable.
Je termine cette lettre, mon cher ami, en te rappelant une dernière fois la terrible parole : Rien n'est stable sous le soleil. Jeunesse, santé, beauté, plaisirs, honneurs, existence, tout passe. Là, est le ver rongeur de tous les fascinés, et ce ver ne meurt pas. En vain ils s'étourdissent et se disent, au milieu de leurs jouissances, comme le riche de l'Évangile : « J'ai beaucoup de biens et j'en ai pour longtemps. Repose-toi, mon ami ; mange, bois, fais bonne chère. Comme lui, ils entendent, bon gré malgré, cette parole : Insensé ! cette nuit on te redemandera ton âme ; et pour qui sera ce que tu as amassé (Luc., XII, 17, 21) ? »
Ainsi, posséder un trésor auquel on a donné toute son âme, se promettre d'en jouir et savoir qu'on en sera dépouillé infailliblement au moment où l'on ne s'y attend pas, bientôt, pour toujours et sans compensation : est-ce là vivre ?
Je te laisse sur cette question, meilleure que tous les raisonnements pour désabuser le fasciné de la bagatelle, et pour te faire apprécier la confiance qu'il mérite, quand il dit : je suis heureux.
Tout à toi.
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