mercredi 2 mars 2016

Autre moyen de bien faire ses actions : les faire comme si chacune était la seule qu'on eût à faire



Saint Bonaventure





Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne du R.P. Alphonse Rodriguez, Extrait :


Le troisième moyen pour bien faire les choses, est de les faire chacune séparément, comme si l'on n'en avait point d'autre à faire ; de vaquer à l'oraison, de célébrer ou d'assister à la messe, de dire son chapelet, de réciter son office, et ainsi du reste, comme si effectivement on n'eût à faire qu'une seule de ces choses. Nous n'avons rien qui nous presse ; ne nous troublons point dans ce que nous faisons, et appliquons-nous-y entièrement. Pendant l'oraison, ne pensons ni à notre emploi, ni aux affaires, ni aux devoirs de notre état ; car cela ne sert qu'à nous empêcher de nous en bien acquitter. N'avons-nous pas tout le reste du jour libre, pour étudier, ou pour satisfaire aux obligations de notre état ? Toutes choses ont leur temps (Ecoles. 3. 1) ; ne confondons point l'ordre mal à propos, et songeons qu'à chaque jour suffit (Mt 6, 34) son inquiétude et son affliction particulière. Plutarque parlant du respect avec lequel les prêtres de son temps s'approchaient de leurs dieux, dit que pendant que le prêtre faisait le sacrifice, il y avait un homme qui ne cessait de crier à haute voix : Faites ce que vous faites ; comme s'il eût voulu dire : ne pensez qu'à ce que vous faites ; appliquez-y entièrement votre esprit. C'est aussi là le moyen que nous vous proposons pour bien faire toutes choses ; attachez-vous fermement et uniquement à chacune, comme si vous n'en aviez aucune autre à faire ; n'ayez d'attention que pour celle que vous faites ; mettez-y tout votre soin ; éloignez de vous toute autre pensée, et vous verrez que vous ferez tout bien. Faisons ce qu'il y a maintenant à faire, disait Aristipe, sans songer ni au passé, ni à l'avenir : renfermons toute notre application dans le présent : car il n'y a que cela seul qui soit en notre pouvoir, puisque le passé n'étant plus, il ne saurait dépendre de nous ; et que l'avenir étant incertain, nous ne saurions répondre de ce qui peut arriver.
Que l'on serait heureux, si l'on était tellement maître de son imagination et de ses pensées, qu'on ne songeât jamais qu'à ce que l'on fait !
Laissons donc là les choses à venir, et rejetons-les dès qu'elles se présenteront ; il sera bon d'y songer dans leur temps; mais il est mal de le faire quand on doit être occupé à d'autres pensées. Que si la crainte de ne pouvoir peut-être pas ensuite vous souvenir de ce qui s'offre alors à votre imagination, vous porte à vous y arrêter, cela même doit faire connaître que ce n'est pas une inspiration de Dieu, mais une tentation du démon. Car Dieu est ami de la paix et de l'ordre ; et ainsi ce qui trouble votre repos, et déconcerte l'ordre des choses, ne vient pas de Dieu ; il ne saurait venir que du démon, qui n'aime que la confusion et le désordre. Rejetez donc tout ce qui se présente à votre esprit, et assurez-vous que si vous faites bien ce qui est alors de votre devoir, Dieu ne manquera pas de rappeler à votre mémoire, quand il le faudra, les idées que vous en avez éloignées, et de vous les remettre dans l'esprit, encore dans un plus beau jour. Si, par exemple, il arrive que pendant vos exercices spirituels vous soyez surpris de quelque pensée d'étude, et qu'il s'offre à vous, ou quelque raison convaincante sur une question, ou quelque lumière sur un passage obscur, ou quelque solution sur un doute ; éloignez absolument tout cela de vous, et croyez que vous y gagnerez au lieu d'y perdre. La science que l'on méprise pour la vertu, dit Saint Bonaventure (Bon. in spec. Disc. 2. c. 7.), s'acquiert ensuite beaucoup mieux par la vertu même ; et le père Avila donne cet avertissement (Avila, t. 3. Epit.), que lorsque quelque affaire se présente à contretemps à l'esprit, on dise : Dieu ne m'ordonne point cela maintenant, c'est pourquoi je n'y veux point penser ; quand il me le commandera, alors je m'y appliquerai avec soin.