lundi 31 janvier 2022

L'heureuse mort de don Bosco



Le 4 décembre 1887, don Bosco se traîne jusqu'à l'autel de la petite chapelle qui jouxte sa chambre et y célèbre sa dernière messe. Deux jours après, il se fait porter à l'église de Marie-Auxiliatrice pour assister à la cérémonie d'adieux de quelques-uns de ses missionnaires qui partent pour l'Équateur. Il voudrait leur adresser la parole, mais la voix lui manque. De ses mains défaillantes il bénit ses fils qu'il ne reverra plus ici-bas.
La Sainte Vierge réserve encore une grande joie à son fidèle serviteur. Le jour de l'Immaculée Conception, Mgr Cagliero, accouru de l'autre bout du monde pour assister aux dernières heures de son Père, entre dans la chambre :
— « C'est toi, Jean ? » murmure don Bosco. Il voudrait aller au-devant de lui, mais il retombe sans force dans son fauteuil. « Tu vois, je suis rendu au bout. Il ne me reste plus qu'à bien finir. »
L'évêque de Patagonie presse le vieillard dans ses bras :
— Je voulais vous revoir encore une fois. Les Missions ont tant besoin de votre bénédiction !
— Les Missions... Ah, oui ! Sais-tu bien pourquoi le pape doit protéger nos Missions ? Avec la bénédiction du Saint-Père, vous passerez en Afrique, vous traverserez l'Afrique. Vous irez en Asie, en Tartarie et en beaucoup d'autres pays. Ayez foi et confiance !
— Je vous amène une visite qui va vous faire plaisir.
Mgr Cagliero ouvre la porte et introduit une fillette fortement bronzée :
— C'est une petite Fuégienne. Voici les prémices que vous offrent vos fils des extrémités de la terre.
Sans s'effaroucher, la petite Indienne avance et débite de son mieux en italien :
— Ô Père, je vous remercie d'avoir envoyé vos missionnaires pour mon salut et celui de mes frères.
Un sourire éclaire le visage dévasté de don Bosco :
— Que c'est gentil, répond-il. Que le bon Dieu te bénisse, mon enfant, et que la Sainte Vierge te protège !
Puis s'adressant à l'évêque :
— Répandez en la Terre de Feu le culte de la Sainte Vierge. Si vous saviez combien Marie, secours des chrétiens, veut sauver d'âmes par les Salésiens !
Longtemps sa main s'attarde sur la noire chevelure de la petite Fuégienne.
— Jean, reprend-il soudain, il reste quelques grappes sur la véranda. Je me doutais bien que tu viendrais et je les ai gardées pour toi ; fais-moi le plaisir de les manger avec ta petite protégée.
— Le froid va pénétrer dans la chambre, si j'ouvre la porte, dit en hésitant Mgr Cagliero.
— Comment ! il fait si beau ! Va et fais ce que je te dis. Combien de fois, Jean, t'en souviens-tu, combien de fois m'as-tu chipé des raisins quand tu étais écolier !
Imagine-toi que tu es encore le gentil bambin d'alors et goûte-moi ça ! En Patagonie il ne doit pas y avoir de raisin. Je crois qu'avec ton aide, je suis encore capable d'aller jusqu'à la véranda. L'air frais va me faire du bien.
Don Bosco, appuyé sur le bras de son disciple, se traîne dehors et présente la plus belle grappe à la petite Indienne : « Prends, mon enfant. C'est ton Père qui te la donne ! »
Il regarde longtemps vers la cour de récréation, si animée d'ordinaire par des centaines d'enfants :
— Comme c'est tranquille en bas ! Où sont mes chers enfants ?
— Ils sont tous à l'église de Notre-Dame Auxiliatrice, en prière devant le Saint Sacrement exposé, explique l'évêque.
— Mes chers enfants, mes bons enfants ! C'est de les quitter qui me rend la mort pénible. Mais qu'ils ne se fassent pas de chagrin ! Je ne les oublierai pas au ciel. Jean, tu iras leur dire de jouer et de rire comme à l'ordinaire. Ce fut toujours ma plus grande joie.
Le 17 décembre, don Bosco entend pour la dernière fois ses enfants à confesse. Assis, tout cassé, dans son confessionnal sans guichet, il appuie sa tête sur l'épaule de ses pénitents ; il leur adresse une courte exhortation, le plus souvent, une seule phrase, mais qui va droit au cœur et s'y grave à jamais : « Heureux celui qui se donne à Dieu aux jours de sa jeunesse... Qui hésite à se donner tout entier à Dieu est en danger de perdre son âme. — Celui qui sauve tout ; celui qui la perd perd tout. — Très bien ! Charles, Dieu sait que tu l'aimes. — Courage, Louis, Dieu connaît ta bonne volonté. — Tes fautes te font peur, Alphonse ? Aie confiance ! Je prierai pour toi au ciel. — Tu es triste parce que tu as succombé, Marius ? Prends ta bonne Mère du Ciel par la main, et relève-toi ! »
Son secrétaire, don Charles Viglietti s'aperçoit de son extrême fatigue :
— Assez pour aujourd'hui, Père. Les enfants pourront revenir quand vous serez mieux.
— Non, non ! répond don bosco. Aujourd'hui, ça va encore. Demain ce sera trop tard. » Il s'éponge le front et tend l'oreille vers le pénitent suivant.
Sa dernière absolution donnée, il s'effondre entre les bras de don Viglietti.
Le même soir, il dit à son secrétaire : « Écoute, mon chariot. Prends dans ma soutane mon portefeuille et mon porte-monnaie et, s'il y reste quelque chose, porte-le à don Rua. Je veux mourir si pauvre que l'on puisse dire : don Bosco n'a pas laissé un sou en mourant. C'est la promesse que j'ai faite à ma mère le jour où j'ai pris la soutane. »
Son état empire tellement les jours suivants qu'on attend sa mort prochaine. Le 23 décembre, le cardinal Alimonda, archevêque de Turin, arrive à son chevet.
— Éminence, dit don Bosco en quittant sa barrette, je sollicite vos prières, pour le salut de mon âme.
— Mais, mon cher abbé, répond le cardinal, vous ne devez pas craindre la mort. Que de fois avez-vous recommandé à vos fils d'envisager la fin de la vie avec pleine confiance !
— Je l'ai dit aux autres, Éminence, et maintenant j'ai besoin que les autres me le disent.
— Pensez à tout le bien qui s'est accompli par vous.
— J'ai fait ce que j'ai pu. C'est si peu !
Un silence. Don Bosco recueille ses forces, puis il reprend :
— Éminence, les temps sont durs. J'ai connu des difficultés aussi.
— Mais l'autorité du pape !
— Que Mgr Cagliero le redise au Saint-Père : tous les Salésiens sauront défendre l'autorité du pape en quelque lieu qu'ils travaillent.
Lorsque le cardinal lève la main pour le bénir en partant :
— Éminence, murmure encore don Bosco, je recommande ma congrégation à votre bonté.

L'après-midi du même jour arrive don Giacomelli, son confesseur et son ancien condisciple au séminaire de Chieri.
— Mon bon François, lui dit don Bosco, te rappelles-tu combien tu étais malade il y a deux ans ? Je suis allé te voir.
— Comment pourrais-je même oublier tes paroles !
— Oui, je t'ai dit : « Sois sans inquiétude. C'est toi qui assisteras don Bosco à ses derniers moments. » C'est le moment de m'aider.
L'Enfant Jésus a ménagé une douce surprise à son fidèle serviteur. Le jour de Noël, une lettre de Rome lui apporte la bénédiction du Saint-Père.
Ce jour-là, si vibrant d'ordinaire à l'oratoire, un pieux silence règne dans toute la maison. Les enfants se succèdent tour à tour devant la Crèche. La petite Fuégienne répète sans cesse à Mgr Cagliero :
— Est-ce que le bon Père est encore malade ?
— Oui, très malade, mon enfant.
— Je vais encore demander à la bonne Sainte Vierge de le guérir ! répond l'enfant et elle retourne bien vite s'agenouiller devant l'autel.
Le ciel semble prêt à fléchir devant cette insistance. Le jour de la fête des Saints Innocents, don Bosco se sent beaucoup mieux, au point même de pouvoir adresser la parole à ses enfants. Appuyé sur le bras de son secrétaire, il se traîne jusqu'à l'église de Marie Auxiliatrice, pour leur dire encore une fois « Bonne nuit ! »
Les semaines suivantes l'amélioration se maintient. L'espoir renaît autour du vieillard. Plusieurs illustres visiteurs se présentent à l'oratoire : le duc de Norfolk, qui se rend à Rome comme ambassadeur d'Angleterre, les archevêques de Malines et de Cologne, l'évêque de Trêves, l'archevêque de Paris.
— Je bénis Paris ! dit don Bosco à Mgr Richard. Je dois tant de reconnaissance à votre bonne ville !
— Et moi, je vais dire à Paris que je lui apporte la bénédiction de don Bosco.

Le lendemain, l'état du malade s'aggrave de nouveau. Les Salésiens se désolent de voir souffrir leur Père ; mais don Bosco s'efforce de les rassurer par quelques bonnes plaisanteries.
« Vous ne connaissez donc pas, vous autres, une fabrique de soufflets ? C'est pour remplacer mes deux poumons qui ne valent plus rien. »
Trois jours plus tard, le 28 janvier, on l'entend murmurer après avoir reçu la sainte communion : « C'est la fin », et il ajoute, tourné vers don Bonetti : « Dis aux enfants que je les attends tous au ciel. »
Le lendemain, les cloches de Sainte-Marie Auxiliatrice annoncent la fête de saint François de Sales, une des fêtes principales de l'oratoire. Mais l'anxiété au sujet du malade étouffe toujours les éclats de voix. Des centaines d'enfants stationnent silencieusement sur la place, les yeux levés vers la fenêtre, derrière laquelle leur père est en grande affliction.
Le 30, au matin, Mgr Cagliero commence à réciter les litanies des agonisants. Beaucoup de Salésiens sont accourus à Turin pour voir une dernière fois leur père. Passant par la chapelle privée, ils défilent sans bruit un à un, devant le lit sur lequel repose don Bosco, les yeux fermés. Le mourant semble pourtant prendre conscience de la présence de ses enfants :
« Aimez-vous comme des frères, chuchote-t-il. Ayez confiance en Marie, secours des chrétiens. Adieu ! Nous nous reverrons au ciel. »
Le défilé n'arrête pas de la journée. Après des centaines de prêtres venus de toute l'Italie, ce sont les enfants de l'oratoire, élèves, apprentis, séminaristes et anciens de la maison. Chacun n'arrête qu'un instant près du lit, mais dans tous les yeux quelle affection et quelle reconnaissance envers le mourant !
Le 31, dès le matin, don Rua récite les prières pour les agonisants. À l'arrivée de Mgr Cagliero, il lui passe l'étole. Alors, se penchant à l'oreille du mourant : « Don Bosco, lui dit-il d'une voix étranglée par la douleur, nous sommes là, nous, vos fils. Nous vous prions de nous pardonner toute la peine que nous avons pu vous causer ; en signe de pardon et de paternelle bienveillance, donnez-nous une fois encore votre bénédiction ! »
Don Bosco ne peut plus répondre, mais ses yeux expriment qu'il a compris. Il regarde don Rua. Celui-ci, prenant la main inerte du mourant, lui fait tracer sa dernière bénédiction pour ses enfants.
Lorsque l'Angelus sonne, à cinq heures, à l'église Sainte-Marie Auxiliatrice, la respiration du mourant cesse subitement ; son cœur bat pour la dernière fois.
« Proficiscere, anima Christiana ! dit Mgr Cagliero. Pars, âme chrétienne ! »
Les confrères qui remplissent la chambre tombent à genoux.
Doucement la cloche de Marie Auxiliatrice cesse de tinter. Dernier salut de la Vierge à son cher enfant.

Toute la ville de Turin pleure son grand bienfaiteur. Les commerçants ont baissé leurs stores : « Chiuso per la morte di don Bosco. — Fermé pour la mort de don Bosco. »
Les journaux annoncent la nouvelle par des éditons spéciales. Des dizaines de milliers de personnes défilent devant le cercueil, exposé dans le chœur de l'église Saint-François-de-Sales. Le défilé n'arrête que tard dans la nuit.
Turin fait à don Bosco des funérailles royales. La foule dans les rues s'agenouille sur son passage ; un murmure passe de bouche en bouche, grandit et s'achève en cette unique supplication cent fois répétée : « Saint Jean Bosco, priez pour nous ! »
La confirmation du verdict populaire par l'Église ne se fait attendre que quelques décennies. Le 2 juin 1929, le pape Pie XI annonce la béatification de don Bosco. Le 1er avril 1934, le même pape le range au nombre des saints. Des centaines de milliers de pèlerins venus de tout l'univers entendent la voix du vicaire de Jésus-Christ proclamer :
« En l'honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l'exaltation de la Foi catholique et l'expansion de la religion chrétienne, en vertu de l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous déclarons que nous considérons le bienheureux Jean Bosco comme saint et inscrivons son nom au catalogue des saints. Nous ordonnons en outre que sa mémoire soit pieusement fêtée tous les ans dans toute l'Église le 3 janvier, jour de sa naissance au ciel. »
L'après-midi de ce beau jour, malgré la pluie battante, trois cent mille personnes forment une procession en l'honneur du Saint, et de la place Saint-Pierre s'élève, mêlé au chant des cloches, le cri de : « Vive don Bosco ! Vive don Bosco ! »
Don Bosco vit.
Du haut du ciel il bénit ses milliers et milliers de fils dans toutes les parties du monde.
Il bénit les jeunes de tout l'univers.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


Reportez-vous à Don Bosco, à la fin de ses jours : Seigneur, restez avec moi, car il se fait tard et le jour baisse, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Départ de la capitale et retour à Turin, Quand don Bosco voyageait à travers la France : la foule autour de lui, ou quand il estime la maladie préférable à la santé, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes, Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome, Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.












Ce que prescrivait la loi de Moïse, touchant la présentation au temple des enfants premiers-nés, et la purification des mères



La loi de Moïse ordonnait deux choses aux parents des enfants nouvellement nés. La première, que les ainés de chaque famille fussent présentés et consacrés au Seigneur, dans son temple. Par là, on reconnaissait que tout est à Dieu, et on lui consacrait toutes les familles dans la personne des premiers-nés. Cette cérémonie s'observait aussi chez les Juifs, en mémoire de ce que l'Ange du Seigneur avait épargné leurs premiers-nés, lorsqu'il extermina tous ceux des Égyptiens.
La seconde chose que prescrivait la loi, c'était que les femmes devenues mères demeurassent quarante ou soixante jours sans toucher aucune chose sainte, ni approcher du temple et du sanctuaire, tant la naissance des hommes était malheureuse et sujette à une malédiction inévitable ! Ce temps écoulé, elles allaient au temple pour y subir l'humiliante cérémonie de la purification.
Dans cette purification, les parents devaient offrir à Dieu un agneau ; et s'ils étaient pauvres et n'en avaient pas le moyen, ils pouvaient offrir à la place deux tourterelles, ou deux petits de colombe, pour être immolés, l'un en holocauste, et l'autre en sacrifice d'expiation.

(Manuel des petits séminaires)


Reportez-vous à Jour de la Purification : Soumission de Jésus-Christ et de sa sainte Mère à la Loi de Moïse, Aimer Jésus enfant, Temps de la Sainte Enfance de Jésus, Invitation à célébrer la sainte enfance de Jésus, La Fête de la Purification ou de la Chandeleur, Méditation pour le Jour de la Purification, Instruction sur la Fête de la Purification, Dévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 23e Méditation : Il y avait à Jérusalem un homme juste et craignant Dieu, nommé SiméonDévotion à la Sainte Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 22e Méditation : Ils portèrent Jésus à Jérusalem, afin de l'offrir au Seigneur, et Discours sur la purification de Marie.













dimanche 30 janvier 2022

Don Bosco, à la fin de ses jours : Seigneur, restez avec moi, car il se fait tard et le jour baisse



— Mon cher Michel, tu sais que nos poches sont encore vides, dit don Bosco à son économe par une triste journée de février 1884. Il faut absolument que je retourne en France !
— absolument impossible, réplique don Rua. Vous pouvez à peine tenir debout. Vous devriez vous ménager !
— Va ! tu m'ennuies. Comment me ménager quand le bon Dieu me demande de travailler pour lui ? Non, n'insiste pas ! Prépare tout pour le voyage !
Le 1er mars, don Bosco prend le train pour Nice. Quelques jours après, il arrive à l'oratoire de Marseille. Mais en quel état ! Il a les jambes enflées ; son foie le fait terriblement souffrir ; avec cela, son asthme, des crachements de sang...
Dès le lendemain, le supérieur de la maison télégraphie au docteur Combal de l'université de Montpellier. Le docteur part aussitôt, voyage toute la nuit et examine le malade à fond au débarquer, le matin.
— Eh bien, cher maître, comment me trouvez-vous ? demande don Bosco, fort résigné.
— Mon cher don Bosco, soupire le médecin, je ne peux malheureusement rien vous annoncer de réjouissant. Vos forces sont épuisées. C'est comme avec un vieil habit qu'on a traîné sans arrêt tous les jours, la semaine et le dimanche : il est complètement usé. Le retaper, on ne peut l'espérer. Pour le faire durer encore quelque temps, un seul moyen, le suspendre dans l'armoire. Je veux dire qu'il n'existe pas d'autre remède pour vous que le repos absolu.
— Le repos absolu, répète don Bosco. L'unique ressource qui me soit impossible. Comment me reposer avec tant de travail ?
— Abandonnez-en la plus grande part à d'autres, et reposez-vous le plus possible. Je n'ai pas d'autre conseil à vous donner. Je vais pourtant vous prescrire un fortifiant.
— Merci, docteur. Quels sont vos honoraires ?
— Pas un sou. Mais, vous voudrez bien avoir l'amabilité d'accepter quelque chose pour vos œuvres.
Là-dessus le médecin donne à son client quatre cents francs.

Don Bosco ne suspend pas la vieille défroque dans l'armoire. Jamais encore il ne s'arrête. À la mi-avril, il reparaît à Rome pour s'occuper de la construction du Sacré-Cœur. Une grande loterie ferait bien l'affaire pour en couvrir les frais immenses.
Le 9 mai, Léon XIII le reçoit en audience. Le pape s'effraie en le voyant :
— Vous devriez vous ménager, mon cher don Bosco, si vous voulez prolonger vos jours et retrouver vos forces. Votre vie ne vous appartient pas, mais à l'Église. Elle appartient à la congrégation que vous avez fondée. Si j'étais malade, je suis certain que vous feriez votre possible pour me conserver. Veuillez donc faire de même pour vous. Prenez soin de votre santé ! Le Saint-Père le veut, le pape l'ordonne !
— Je vous promets, par obéissance, de suivre votre désir.
Le pape accorde volontiers à don Bosco tous les privilèges sollicités pour la Société salésienne.
— Je suis tout à fait pour les Salésiens, lui dit le pape au cours de l'audience. Je me considère comme votre premier collaborateur. Qui est votre ennemi est l'ennemi de Dieu. Avec de tout petits moyens, vous avez réalisé des entreprises gigantesques. Dieu lui-même protège, dirige et soutient votre congrégation. Dites cela, écrivez-le, prêchez-le. C'est le secret qui permet à votre institut de triompher de toutes les difficultés et de tous ses ennemis.
— Comment pourrais-je vous remercier, Saint-Père !
— Soyez, en mon nom, un bon père pour vos enfants. Dites-leur que je les aime et les bénis de tout cœur.
Don Bosco quitte le Vatican, profondément ému. Le pape a comblé ses désirs. Au Sacré-Cœur une autre bonne nouvelle l'attend : le maire de Rome a autorisé la loterie. On va pouvoir continuer les travaux.
Le 14 octobre, le nouvel archevêque de Turin, le cardinal Alimonda, vient rendre visite à don Bosco chez lui :
— J'ai, dit-il, un message à vous transmettre ; je ne sais si vous allez en être satisfait. Le Saint-Père, inquiet de votre santé, voudrait que vous acceptiez un remplaçant avec droit de succession, pour vous soulager d'une partie au moins de votre tâche. Vous pouvez le désigner vous-même : Rome agréera certainement sans difficulté votre proposition.
— Le Saint-Père est bien bon pour le pauvre don Bosco. J'ai l'air d'un paysan sur ses vieux jours, qui doit transmettre l'héritage à un des ses fils. Mais le Saint-Père a raison, et je m'incline docilement devant sa volonté.
— Mais alors, vous devriez décidément vous accorder un peu de repos, sinon tout est inutile, reprend le cardinal d'une voix inquiète. Vous me faites pitié !
— C'est vrai, le bon frère l'âne ne marche plus si bien, avoue don Bosco avec bonhomie. Il se fait vieux, il est bien las, il a mal partout, mais il arrivera encore à traîner quelques sacs au moulin.
Le 24 octobre, don Bosco rassemble les membres du chapitre pour leur communiquer le désir du Saint-Père. Il se désigne pour successeur son fidèle don Rua, qui appartient à l'oratoire depuis son enfance. Les Salésiens acceptent gravement cette décision : leur bon Père n'en a plus pour longtemps. Don Rua le remercie en termes émus de cette marque de confiance et promet de poursuivre dans le même esprit la grande œuvre commencée.
Cette année mémorable de 1884 s'achève par une joie particulière. Le Saint-Père partage les missions de Patagonie. Il érige la région nord en vicariat apostolique qu'il confie à don Cagliero, et la partie sud, y compris la Terre de Feu, en préfecture apostolique avec le zélé don Joseph Fagnano pour supérieur.
Le 7 décembre, don Cagliero reçoit, à Turin, la consécration épiscopale des mains du cardinal Alimonda. Les premières personnes que le nouveau prélat reçoit dans la sacristie à l'issue de la cérémonie sont sa vieille mère, âgée de quatre-vingts ans, et son paternel ami, don Bosco.
Le vieux prêtre veut s'agenouiller pour baiser l'anneau de l'évêque, mais celui-ci l'en empêche et le presse dans ses bras :
— Vous souvenez-vous encore, cher père, de ce que vous me dîtes, il y a trente ans, quand j'étais gravement malade et que les médecins avaient perdu tout espoir de me sauver : « Tu vas guéri, mon cher Jean, et tu revêtiras la soutane ; puis tu prendras ton bréviaire et tu t'en iras bien loin, bien loin. » Votre prédiction s'est merveilleusement accomplie. Que de fois j'y ai pensé au cours de mes randonnées à travers les pampas et de mes nuits dans le grand silence des gorges de la Cordillère.
— Oui, je sais ! répond don Bosco. Et je me souviens aussi bien du petit enfant de chœur qui me demandait, il y a bien, bien longtemps, dans la sacristie de Châteauneuf, de l'accepter à l'oratoire de Turin. Tu as toujours été ma joie, mon cher Jean ?
— Tout ce que je suis, tout ce que j'ai pu faire de bien, je le dois uniquement à votre paternelle bonté, réplique l'évêque.
— Non, après Dieu, c'est à ta chère mère surtout que tu le dois, mon fils. Si elle n'avait pas toujours porté avec honneur son anneau de mariage, tu ne porterais pas aujourd'hui l'anneau épiscopal.

Avant le prochain départ de Mgr Cagliero et d'un nouveau contingent de missionnaires, l'oratoire subit une grave catastrophe. Le 24 janvier 1885, pendant le repas de midi, on entend tout à coup crier : « Au feu ! Au feu ! » Un incendie s'est déclaré dans l'atelier de reliure et envahit bientôt quelques ateliers voisins.
— Les dégâts s'élèveront à cent mille lires, calcule don Rua, le nouveau supérieur, lorsque les flammes sont éteintes.
— C'est une lourde perte, soupire don Bosco, resté seul au réfectoire pendant que tout le monde courait vers le lieu du sinistre. Le Seigneur a donné, le Seigneur a pris. Il est le Seigneur en tout.
Il lui est très pénible de ne pas pouvoir accompagner jusqu'à Marseille ses missionnaires partants. Il leur dit adieu en pleurant.
— Sans doute ne nous reverrons-nous pas sur cette terre, ajoute-t-il en prenant Mgr Cagliero dans ses bras.
— J'espère que si, répond le prélat. Je reviendrai au plus tard en juin 1891, pour fêter avec vous votre jubilé sacerdotal.
— À la volonté de Dieu ! Les journaux ont déjà annoncé ma mort plusieurs fois. Il y a quelques semaines, ils m'ont fait mourir à Buenos Aires ; puis, ce fut à Marseille ; hier, c'était à Pavie ; aujourd'hui c'est à Turin même ! Tant que je pourrai entendre les marchands de journaux annoncer ma mort, il n'y aura pas de mal. Mais, comme le bon Dieu voudra, mon cher Jean.

Accablé de tant de souffrance, don Bosco ne semble plus vivre que par un incessant miracle. Une bronchite l'étouffe, la tête lui fait toujours mal, les yeux lui brûlent. Il passe des nuits blanches sur son fauteuil, dans le corridor, devant la porte de sa chambre.
Il se remet pourtant en route pour la France en mai 1885, et, de nouveau, les miracles accompagnent ses pas. Les malades recouvrent la santé ; les désespérés, le courage et l'espoir. Il revient encore une fois, les mains pleines, et bientôt il ne reste plus trace de l'incendie.
Don Bosco apprécie beaucoup le bonheur de pouvoir rester à l'oratoire. Le vieil homme malade y revit parmi cette jeunesse. Au milieu de se enfants il oublie ses souffrances ; de leur côté, les écoliers n'ont pas de plus grand plaisir que de le voir entrer dans la salle d'étude.
Don Bosco a toujours quelque chose pour eux dans ses poches, le plus souvent un sac de noix. Un jour de janvier 1886, les enfants se pressent à grands cris autour de lui, mais le petit sac n'est qu'à moitié plein :
— Ne soyez pas trop généreux, lui souffle l'abbé Festa. N'y allez pas trop vite, autrement il n'y en aura pas pour tout le monde. Vous avez soixante-quatre garçons ici.
— Laisse-moi faire ! répond don Bosco, en commençant la distribution à pleines mains.
La provision ne diminue pas. Le dernier servi, le sac est toujours à moitié plein.
— Comment cela se fait-il ? demande l'abbé émerveillé.
— Je ne sais pas, répond don Bosco. Je ne sais vraiment pas. Sans doute le bon Dieu a-t-il voulu me montrer qu'il distribue dans la mesure où l'on donne. Il faut l'en remercier !
Don Bosco semble se remettre encore une fois de ses misères, à tel point qu'au printemps de 1886, il entreprend un voyage en Espagne, où ses religieux et ses enfants le réclament depuis longtemps.

Le 13 mai de l'année suivante, Léon XIII le reçoit pour sa dernière audience. Dès qu'il l'aperçoit sur le seuil de la salle, le pape s'avance vers lui, lui présente lui-même un siège sans lui donner le temps de s'agenouiller et lui installe lui-même une couverture d'hermine sur les genoux.
— Je viens de la recevoir, lui dit-il. Vous en avez l'étrenne.
— Je suis vieux, Saint-Père, articule faiblement don Bosco. J'ai soixante-douze ans. Ce voyage est mon dernier. Je voulais revoir encore une fois Votre Sainteté et lui demander sa bénédiction. Mon vœu est satisfait. Il ne me reste donc plus qu'à dire : « Seigneur, laissez maintenant votre serviteur partir en paix, selon votre parole, car mes yeux ont vu votre salut. »
— Oh ! se récrie le pape, j'ai six ans de plus que vous. Tant que vous n'entendrez pas annoncer la mort de Léon XIII, vous pouvez être tranquille.
— Non, non, je suis à la fin de mes jours, s'obstine à dire don Bosco en hochant la tête.
Le lendemain a lieu la consécration de l'église du Sacré-Cœur. Les yeux humides de joie, don Bosco célèbre la sainte messe dans la magnifique basilique. C'est, lui semble-t-il, l'achèvement et le couronnement de son œuvre terrestre.
Vers la fin de l'année, ses forces déclinent de plus en plus. Cloué sur son grand fauteuil de cuir, il n'est qu'un faisceau de douleurs. La mort est sur son seuil, mais il ne la craint pas, cette messagère de Dieu qui va l'accueillir, après tant de soucis et d'épreuves, dans la paix éternelle. Ses lèvres ne cessent de murmurer : Seigneur, restez avec moi ; car il se fait tard et le jour baisse. »

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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samedi 29 janvier 2022

Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Départ de la capitale et retour à Turin



À son départ de la capitale, le 5 mai (1883), don Bosco a récolté au moins cinq cent mille francs pour ses œuvres.
— La Sainte Vierge ne nous a-t-elle pas miraculeusement secourus ? demande-t-il à don Rua en prenant le train pour Lille.
— Oui, mais tout l'argent est déjà parti pour parer au plus urgent. Il en manque encore beaucoup !
— Ah, je voudrais trouver un économe qui ne sût pas si bien compter ! Moi, je n'ai jamais compté. Finalement, je ne suis jamais resté avec un sou de dette. Donnons à pleines mains à Dieu et aux pauvres ! L'argent viendra toujours ! Tu l'as toi-même constaté. Ne te tracasse donc pas. Fie-toi aux poches profondes de la Providence. »
Don Bosco regarde, rêveur, par la fenêtre au moment où le train s'ébranle :
— Es-tu jamais allé de Châteauneuf à Buttigliera, mon bon Michel ? Sur une colline, en bordure d'un pré, se dresse une misérable chaumière. C'est la maison de mes parents, avec le pré où j'allais garder les vaches. Si toutes les belles dames et les beaux messieurs qui me baisaient les mains avaient su que ce sont les mains d'un pauvre fils de paysan ! Comme la Providence arrange drôlement les choses !

À Lille, la prochaine étape, on le reçoit avec un égal enthousiasme, et Dieu honore encore son serviteur par des prodiges et des miracles. Don Bosco interpelle gentiment une fillette d'une douzaine d'années qu'on lui amène sur une voiturette :
« Alors quoi ? Si grande, tu te laisses encore rouler ? Descends vite et sers-toi de tes jambes ! » La fillette, complètement paralysée depuis plusieurs années, se relève, hésitante. « Allons, courage ! » continue don Bosco. Prudemment, l'enfant avance un peu. « Tu vois, dimanche tu pourras aller toute seule à la sainte table. » Ce qui eut lieu. La petite infirme était complètement guérie.
Un jeune jésuite, le frère Crimont, gravement malade depuis longtemps, demande à don Bosco de prier pour lui :
— Je voudrais tant guérir !
— Pourquoi ?
— Pour devenir missionnaire.
— Mon fils, affirme don Bosco, cette grâce vous l'obtiendrez. Je vais demander à Dieu de vous l'accorder.
Cinq ans plus tard, frère Crimont, devenu prêtre, est envoyé en mission chez les Indiens des montagnes Rocheuses, puis, en 1894, en Alaska, où il est nommé vicaire apostolique en 1916.

Le 31 mai, don Bosco est enfin de retour à Turin. Ses fils l'accueillent avec des cris de joie : « Mes enfants, leur dit-il en agitant son chapeau français, voyez, j'ai un nouveau couvre-chef ! Mon ancien, on me l'a arraché de la tête en Avignon. Mais n'allez pas me croire différent parce que j'ai changé de chapeau. Je suis toujours le même, votre ami et votre père ; je le resterai toujours tant que le bon Dieu me conservera la vie. Allons tout de suite à l'église remercier Notre-Dame Auxiliatrice pour mon heureux retour.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


Reportez-vous à Don Bosco, à la fin de ses jours : Seigneur, restez avec moi, car il se fait tard et le jour baisse, Quand don Bosco voyageait à travers la France : la foule autour de lui, ou quand il estime la maladie préférable à la santé, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes, Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome, Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.











vendredi 28 janvier 2022

Quand don Bosco voyageait à travers la France : la foule autour de lui, ou quand il estime la maladie préférable à la santé



Le 19 avril (1883), il arrive à Paris et va loger au couvent des Dames du Sacré-Cœur, à quelques pas de la Madeleine. Mais même dans l'immense capitale il ne reste pas longtemps ignoré. Paris s'émeut : un saint est de passage, un homme dont on raconte des merveilles, un prêtre qui lit dans les âmes et prédit l'avenir !
En quelque grande église qu'il célèbre la messe, les malheureux et les désemparés savent toujours le joindre.
Le 3 mai, fête de l'Ascension, il est à Sainte-Clotilde. Personne ne l'a annoncé ; l'église est quand même archicomble. À la fin de sa messe, un torrent humain s'engouffre derrière lui dans la sacristie. Il faut barrer le chœur de peur qu'on ne l'étouffe.
Une heure passe ; la foule ne diminue pas. Le défilé continue.
Au bout de deux heures, don Bosco demande au comte de Franqueville qui l'accompagne :
— Mon cher comte, y a-t-il encore beaucoup de monde dans l'église ?
— Environ cinq cents personnes.
— Je suis absolument épuisé, mort de fatigue. Peut-être pourrais-je prendre une tasse de café ?
— Certainement, mon père !
À peine l'abbé s'est-il un peu restauré que le flot de misère l'envahit de nouveau. Pour chacun, il a un bon mot, un conseil, une consolation.
Passe encore une heure.
— Où en est-on, cher ami ?
Le comte entrebâille la porte de la sacristie :
— Ils sont bien mille maintenant.
— Pour l'amour de Dieu, continuons !

Un après-midi, don Bosco, regagnant son domicile rue de la Ville-l'Évêque, trouve la maison cernée par la foule.
— Laissez-moi passer, s'il vous plaît.
— Tout doux, monsieur le curé. Nous voulons tous voir don Bosco. Chacun à son tour. On nous a distribué des numéros ; quel est le vôtre ?
— Je n'en ai malheureusement pas.
— Alors, attendez qu'on vous en donne un. Mettez-vous derrière.
— Mais si vous ne me laissez pas passer, vous ne verrez jamais don Bosco.
— Pourquoi pas ?
— Parce que c'est moi, don Bosco.
— Farceur ! Attendez votre tour !
— Très bien, je m'en vais ! soupire don Bosco, et il se rend près d'un malade qui réclame sa visite.
Une autre fois, il lui faut une demi-heure pour entrer dans l'église de la Madeleine où il doit prêcher.
À Saint-Sulpice, les suisses doivent lui frayer son chemin vers la sacristie. Où qu'il aille, les rues sont engorgées. On s'écrase autour de lui. « Ayez pitié de moi !... Sauvez mon enfant !... Rendez la paix à mon foyer !...»
Au monastère des Bénédictines, une multitude de gens l'attendent, des malades sur des civières, des paralytiques en voiturettes, des désespérés, des boiteux, des béquillards, des mères avec leurs enfants sous les bras.
Non que don Bosco guérisse tout le monde. C'est la foi qui manque, ou bien le thaumaturge estime, en tel cas, la maladie préférable à la santé. « Dieu t'aime, dit-il à une jeune fille assise sur son fauteuil roulant. Porte ta croix pour son amour ! »
« Je sais ce que tu penses, mon bon Michel, explique-t-il à don Rua. Tu te demandes pourquoi cette jeune fille n'a pas été guérie. Elle est trop belle. En retrouvant la santé, elle perdrait son âme. »
Chez les Lazaristes on lui présente le père Dutilleux, qui est mourant.
— Pourquoi voudriez-vous guérir ? demande don Bosco.
— Je désirerais tant travailler encore quelques années au service de ma congrégation !
— Oh ! vous le ferez mieux du haut du ciel.
Le lendemain matin, le père Dutilleux expire en paix.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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jeudi 27 janvier 2022

Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes



Le 10 avril 1883, don Bosco célèbre la messe dans l'église Saint-François-de-Sales de Lyon. Comme il se relève après son action de grâces un petit enfant de chœur s'approche de lui :
— Vous ne me reconnaissez pas, mon père ?
— Si bien ! C'est toi qui viens de me servir la messe.
— Mais, autrement, vous ne vous souvenez pas de moi ? C'est pourtant moi, votre petit Jean.
— Jean ? Ah oui ! Nous portons le même nom. Mais quel Jean es-tu ?
— Jean Courtois. Vous ne vous rappelez pas ?
Il y a deux ans, à la gare de Cannes. Vous étiez déjà dans le train et le chef de gare allait donner le signal du départ, lorsque maman m'a poussé dans ma petite voiture et vous a demandé de me bénir.
— J'y suis maintenant. Tu étais paralysé, n'est-ce pas ?
— Oui, j'étais incapable de faire un pas. Comme le train se mettait en marche, vous vous êtes penché à la fenêtre du compartiment et vous m'avez crié : « Qu'est-ce que c'est que cela ? Tu n'as pas honte de te faire voiture par ta mère. Lève-toi et sers-toi de tes jambes ! »
— Et alors ?
— Alors, je me suis levé. Je suis descendu de ma voiturette ; je pouvais marcher. Depuis ce moment-là je suis complètement guéri. Dire que je vous revois et que je peux enfin vous remercier ! J'attendais toujours.
— Remercie la Sainte Vierge, mon petit Jean. C'est elle qui t'a guéri, pas moi !
— Ah, mon père ! dit le sacristain, interrompant la conversation, l'église est pleine, et tout le monde veut vous parler. C'est tout juste si les gens ne défoncent pas la porte de la sacristie. Que faut-il faire ?
— Faites-les entrer, un par un, soupire don Bosco.
Le défilé dure des heures. Chacun a quelque chose à demander (...)

Tous les gémissements de la terre assaillent le pauvre prêtre, et toujours il écoute attentivement, il réconforte, il encourage à bien prier, promet son intercession près de Marie Auxiliatrice.
Cela depuis deux mois.
Depuis l'arrivée de don Bosco en France, le 13 février, à Nice, des milliers d'affligés de tous genres l'entourent sans répit. À Nice, à Cannes, à Marseille, partout. Dans les rues d'Avignon, la foule le met presque en danger. Les ardents Provençaux lui tailladent sa ceinture, lui déchirent sa soutane, lui coupent des mèches entières de cheveux. Il arrive à la gare avec un air d'oiseau déplumé et s'effondre, presque sans connaissance, sur un banc de la salle d'attente.
Il est venu en France pour mendier. D'immenses soucis lui pèsent sur les épaules. On a pu consacrer l'église Saint-Jean à Turin, en décembre, mais les travaux du Sacré-Cœur à Rome sont interrompus ; les missions de l'Amérique du Sud absorbent des sommes fantastiques.
De plus, la santé de don Bosco est extrêmement défaillante. Il souffre depuis longtemps de maux d'estomac, il a des crachements de sang, des crises d'asthme, ses jambes enflées et toujours enfermées dans des bas de caoutchouc lui permettent difficilement de se déplacer. Il avance courbé d'un pas mal assuré ; il a les cheveux tout gris, les joues creuses et décharnées ; seuls ses grands yeux foncés conservent le même éclat.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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mercredi 26 janvier 2022

Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome



Un jour du printemps de 1880, le pape Léon XIII abaisse son regard d'aigle sur l'humble don Bosco, pieusement agenouillé devant lui.
— Je suis heureux de vous revoir, mon cher don Bosco. Votre visite est toujours une consolation pour le pauvre prisonnier du Vatican. Je suis comme mes oiseaux en cage. Par une si belle journée de printemps, ils voudraient bien s'envoler en liberté, mais c'est inutile, ils doivent rester derrière leurs barreaux dorés comme leur maître, qui aurait tant de plaisir à revoir sa petite patrie, le nid rocailleux de Carpineto au pays des Volsques.
— Je crois que vos petits oiseaux aimeraient mieux encore un petit morceau de sucre, se permet de suggérer don Bosco en souriant. Par hasard, j'en ai un sur moi. Si vous permettez, Saint-Père...
— Mais certainement !
Don Bosco finit par tirer du fond de sa poche une petite gâterie, et la glisse entre les barreaux.
— Voyez, très Saint-Père, comme ils sont contents !
— Et pour le pape vous n'avez rien ?
— Dites-moi ce qui pourrait vous être agréable.
— Vous pourriez en effet me rendre service, dit le pape, songeur. Vous êtes le seul homme sur la terre qui puissiez en ce moment me tirer d'un grand embarras.
— Parlez, Saint-Père.
— Vous savez que mon vénérable prédécesseur avait conçu le projet de dédier une église au Sacré-Cœur près du Castro Pretorio, l'ancien camp romain. Je considère comme un devoir de reconnaissance et de piété de réaliser ce vœu. Mais nous nous sommes arrêtés au milieu des travaux de déblaiement, faute d'argent. Le pape est pauvre et ne peut pas construire ; mais don Bosco est riche, il peut construire ! Vous nous en avez donné la preuve. Actuellement n'avez-vous pas encore quelque chose en chantier ?
— Mais si, très Saint-Père. Je suis en train de bâtir l'église Saint-Jean-l'Évangéliste à Turin, l'église de Marie Auxiliatrice à Bordighera, une autre église à Lima, capitale du Pérou. Quelques nouveaux oratoires sont également en construction.
— Où trouvez-vous des ressources pour des travaux de cette grande importance ?
— Dans les poches inépuisables de la divine Providence, Saint-Père.
— Voyez donc, alors, si vous n'y trouveriez pas aussi l'argent nécessaire pour la construction de l'église du Sacré-Coeur. Le cardinal Alimonda m'a suggéré de vous confier ce projet ; l'idée m'en est revenue en vous voyant régaler si gentiment mes pauvres oiseaux.
— Un morceau de sucre bien cher, Votre Sainteté !
— Vous allez bien m'aider quand même ?
— Certainement, Saint-Père. Un désir de votre part est un ordre pour moi. J'accepte.
— Mais je n'ai aucunes ressources à votre disposition.
— Je ne vous demande pas d'argent non plus Saint-Père ; j'implore seulement votre bénédiction pour cette œuvre.
— Je vous la donne bien volontiers. Regardez ! Voici le plan !
Léon XIII déploie les croquis sur sa table, ornée seulement d'un crucifix :
— Qu'en pensez-vous ?
— Rien, mais beaucoup trop petit. Don Bosco voit plus grand. Une église en l'honneur du Sacré-Cœur dans la capitale de la chrétienté ne peut être aussi modeste. De plus, je voudrais y adjoindre un oratoire et un grand asile pour la jeunesse, afin de permettre aux pauvres garçons de ce quartier populeux de venir se former et s'y initier à toutes sortes de métiers.
— Tout cela je vous le permets. Je vous bénis, vous et tous ceux qui participeront à votre sainte entreprise.
En quittant le Vatican, don Bosco sent ses vieilles épaules terriblement surchargées. Son projet demande des millions et à peine a-t-il, comme toujours, quelques sous en poche ; par contre, les dettes surabondent. « Ça ne fait rien, se dit-il. Je trouverai bien encore quelques saints à détrousser. »
« Nous avons quantité de lettres à écrire, annonce-t-il aux séminaristes qui lui servent de secrétaires. Il va me falloir mendier dans tout l'univers pour venir à bout de la mission que le Saint-Père m'a confiée. »
Don Bosco n'implore pas en vain le ciel et la terre. Cette fois encore ses appels sont entendus ; les secours arrivent et la construction de l'église à Rome peut commencer. Il faudra bien quelques miracles quand même pour mener l'entreprise à bon terme. (...)

Au début de 1881, don Bosco envoie encore un groupe de missionnaires et de religieuses de Marie Auxiliatrice en Argentine et en Uruguay. Il ouvre en même temps sa première à Rome pour voir où en est la nouvelle église du Sacré-Cœur. Le pape en profite pour lui remettre cinq cents lires.
— Prenez ! lui dit-il. Cet argent, je viens de le recevoir comme denier de saint Pierre. Ce que j'ai reçu de la main droite, je vous le donne de la main gauche pour les travaux de votre sanctuaire. Je suis très heureux que tout aille si bien. Mais comment arrivez-vous à tout cela, mon cher don Bosco ?
— Ah, Saint-Père, répond l'humble prêtre, je ne suis qu'un instrument aveugle dans la main de Dieu, qui veut tout simplement montrer par mon exemple comment il peut réaliser les plus grandes choses avec les moyens les plus misérables. » Les travaux de la nouvelle église progressent rapidement. Vers la fin de l'année, les deux nefs latérales atteignent la hauteur des chapiteaux et la grande nef est assez avancée. Dieu seul sait à quelle peine don Bosco trouve les fonds nécessaires !

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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mardi 25 janvier 2022

Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci



Les années suivantes passent dans une activité incessante. En été de 1872, don Bosco fonde la société des Filles de Marie Auxiliatrice, appelées plus tard Salésiennes, destinées à accomplir pour les jeunes filles le même travail que les Salésiens pour les garçons. Marie-Dominique Mazzarello est leur première supérieure générale.
Don Bosco de nouveau à Rome y consacre toute son influence à créer des rapports convenables entre le Saint-Siège et le gouvernement italien. Beaucoup lui en savent mauvais gré. Les feuilles libérales daubent sur lui. Bismarck s'étonne de voir le gouvernement italien s'entretenir avec un prêtre. Quant à l'empereur, il fulmine sa plus formelle désapprobation, complétée de menaces dans le cas où ces tentatives d'entente se poursuivraient.
« Qu'allons-nous faire ? se demande le ministre Vigliani, avec qui don Bosco a de fréquents entretiens. Notre destin est entre les mains de la Prusse. »
Si la réconciliation escomptée n'a pas lieu, on arrive toutefois à s'entendre sur certains points essentiels. À combien de critiques et d'humiliations don Bosco a-t-il été en butte pour parvenir à ce résultat, Dieu seul le sait !
Don Bosco a réalisé de grandes choses durant ses trente-quatre années d'apostolat, mais il aspire à beaucoup plus. Son horizon ne se limite pas à Turin et au petit Piémont ; il embrasse le monde entier.
Souvent dans le silence du soir, don Bosco reste penché sur une grande mappemonde, tel un général qui rêve de nouvelles conquêtes. Il se remémore avec une douce mélancolie ses premières années de sacerdoce, ses rêves de vie missionnaire. Dieu lui ayant confié un autre poste, il voudrait envoyer ses fils accomplir la tâche qui lui a été refusée. La pensée d'une mission en terre païenne lui hante l'esprit ; elle le poursuit jusque dans son sommeil.
— La nuit dernière, raconte-t-il un soir à des familiers, j'ai eu un drôle de rêve. Je me trouvais dans un pays étranger. Je me voyais au milieu d'une steppe gigantesque, limitée à l'occident par des montagnes tragiques. Des hommes au teint bronzé, avec une longue chevelure en désordre, une peau d'animal jetée sur les épaules et, aux mains, comme armes, une lance et un lasso, sillonnaient cette immensité. Soudain la terre trembla d'une farouche mêlée. Je vis un massacre épouvantable ; la terre était trempée de sang ; l'air vibrait de clameurs belliqueuses et de cris mortels. Puis, tout à coup parut une troupe d'hommes, qu'à leur costume je reconnus aussitôt pour des missionnaires. Ils approchaient de ces malheureux d'un air souriant et se mettaient en devoir de leur prêcher l'Évangile, mais ils furent bientôt attaqués par les sauvages et affreusement mis à mort.
— Quel pays était-ce ? demande don Cagliero.
— Je n'en sais rien ; mais écoutez la suite, mon rêve n'est pas fini. Je vis un nouveau groupe avancer sur la steppe et je reconnus, à mon grand effroi, quelques visages qui m'étaient chers et familiers, oui, quelques-uns d'entre vous, mes fils. Je tremblais en les voyant avancer vers une mort certaine. Je voulais leur ordonner de faire demi-tour, mais ils ne semblaient pas me remarquer. Or, voici que les cannibales déposent leurs armes, et c'est avec les signes de la plus vive sympathie qu'ils accueillent les nouveaux missionnaires. Ces apôtres dressent la Croix parmi eux et se mettent à les instruire. Finalement un des Salésiens entonna un cantique à la Sainte Vierge et les sauvages s'y unirent d'un tel cœur et d'un tel souffle que je me réveillai, trempé de sueur.
— Un drôle de rêve ! dit Dominique Tomatis... et qui doit sûrement avoir un sens.
— Je n'en doute pas, répond don Bosco.
Quel pays a-t-il vu en songe ? Don Bosco ne cesse de se le demander. Il pense à l'Éthiopie, puis à la Chine, à l'Australie, finalement aux Indes. Sur sa table s'amassent quantité de livres empruntés à la bibliothèque de la ville, mais plus il étudie de pays étrangers, plus il sent qu'il s'égare.
Alors, dans les derniers jours de 1874, lui parvient une lettre de l'archevêque de Buenos Aires, le priant d'envoyer quelques-uns de ses fils en Argentine. Cet appel est pour lui une révélation. Fort tard dans la nuit, plongé dans l'étude de cette région, il reconnaît enfin ce qu'il a vu : les pampas de Patagonie, à l'extrême sud de l'Amérique.
Dès lors, don Bosco n'a de cesse qu'il n'ait obtenu de Pie IX l'autorisation d'envoyer ses fils en Patagonie. Le 12 mai, il annonce à tout l'oratoire réuni que la Mission est chose décidée : « La réponse définitive m'est arrivée aujourd'hui, dit-il. Que les volontaires se préparent ! »
Le jour de la Toussaint 1875, les dix premiers missionnaires salésiens s'agenouillent aux pieds de Pie IX pour recevoir sa bénédiction avant leur départ. Le chef de l'expédition est Jean Cagliero ; ses compagnons sont les prêtres Joseph Fagnanon, Valentin Cassini, Dominique Tomatis, Jean Baccino, Jacques Allavena, et les frères lais Barthélemy Scavini, menuisier de son métier, Barthélemy Molinari, maître de musique, Vincent Gioia, cuisinier et cordonnier, et le jeune Étienne Belmonte.
Don Bosco accompagne ses missionnaires sur le bateau dans le port de Gênes ; il ne les quitte que lorsque sonne le départ. Il sait qu'il n'en reverra plus certains.
Pendant plusieurs mois, il attend impatiemment des nouvelles du lointain pays. Finalement, la voici la lettre désirée, dans laquelle don Cagliero lui donne des détails consolants sur son apostolat parmi les « slums » de Buenos Aires.
« Mon Dieu, soupire don Bosco en déposant la feuille, protégez mes fils, qui sont si loin de moi. Qu'ils récoltent dans l'allégresse ce qu'ils sèment dans les larmes ! »
En Europe, son œuvre est en plein essor. L'oratoire compte maintenant huit cents enfants. Don Bosco a ouvert neuf maisons nouvelles en Italie. Celle de Nice est la première en France. En 1876, il fonde l'Œuvre de Notre-Dame Auxiliatrice pour les vocations tardives et l'Union des Coopérateurs Salésiens, sorte de tiers-ordre qui assure à l'entreprise l'appui moral et financier de plusieurs milliers de laïques.
En novembre, il envoie un second contingent de missionnaires en Argentine. Pie IX lui a fait parvenir cinq mille lires pour les frais du voyage. Au commencement de la nouvelle année, départ d'une troisième escouade de missionnaires, parmi lesquels les six premières Filles de Marie Auxiliatrice, selon le plus ardent désir de don Cagliero.
Le jour du premier de l'an 1878, don Bosco prononce ces paroles prophétiques : « Bientôt vont survenir de graves événements qui frapperont l'attention de l'univers. » Le 8 janvier, c'est déjà la mort du roi Victor-Emmanuel. Le 7 février, c'est le grand pape Pie IX qui s'éteint.
Durant le convoi funèbre au Campo Verano, la haine de ses ennemis se déchaîne encore une fois contre l'infortuné pontife. « À bas le pape ! Au Tibre la charogne ! » Des pierres volent contre le corbillard ; c'est tout juste si on ne précipite pas le cercueil dans le fleuve.
Pie IX a demandé une sépulture sans faste, mais on lui érige, avec les offrandes qui affluent de toute la chrétienté, un magnifique mausolée, un chef-d'œuvre de l'art chrétien, le plus beau du siècle.
Les cardinaux prient don Bosco d'entrer en relation avec le gouvernement italien au sujet du prochain conclave. Le simple prêtre turinois se rend immédiatement chez le ministre de l'Intérieur, Crispi, pour lui exposer les désirs du Sacré Collège.
— Bien, répond le puissant homme d'État, vous pouvez assurer aux cardinaux que le gouvernement respectera et fera respecter la liberté du conclave et que rien ne viendra troubler l'ordre public.
— Je vous remercie, Excellence.
— De grâce, non ! C'est plutôt à moi de vous remercier. Les cardinaux ne pouvaient me députer meilleur messager que vous. Vous rappelez-vous notre première rencontre à Turin ?
— Vous ne l'avez pas oubliée, Excellence ?
— Comment ne m'en souviendrais-je pas ! Vous fûtes mon sauveur. J'étais jeune encore. Je flânais dans le plus absolu dénuement à travers les rues de Turin, quand je vous vis arriver, entouré d'une grande troupe de pauvres garçons. Vous vîntes à moi et me demandâtes s'il me manquait quelque chose, si vous pouviez faire quelque chose pour moi.
— Je voyais que vous aviez faim, Excellence.
— Vous ne vous trompiez pas. Je vous ai avoué que je n'avais rien mangé depuis plusieurs jours. Vous m'avez accueilli à votre oratoire. Six semaines durant j'y fus votre hôte, moi, le révolutionnaire sans foyer ; je pris part à vos repas avec vous, avec maman Bosco et vos enfants. Finalement, vous m'avez aidé à trouver une mansarde, près de l'église de la Consolata, et vous ne m'y avez pas oublié. Vous m'y avez envoyé plusieurs fois de l'argent et même une paire de souliers neufs. Je suis allé plusieurs fois à confesse à vous ; vous en souvenez-vous ?
— Ce qui se passe au confessionnal, je l'oublie immédiatement. Mais si vous désirez le même service, je suis toujours à votre disposition.
— On n'est pas toujours préparé à pareille chose, dit le ministre en souriant. Puis, il demande à don Bosco des renseignements sur son oratoire et sur l'ensemble de ses œuvres. « Vous êtes dans la bonne voie, et vous pourrez toujours compter sur mon appui ».
En revenant au Vatican, don Bosco rencontre le cardinal Joachim Pecci, camerlingue de la sainte Église. Il se présente à lui avec une respectueuse simplicité enfantine :
— Que votre Éminence me permette de lui baiser la main !
— Qui êtes-vous ?
— Un pauvre prêtre qui, aujourd'hui, baise la main de Votre Éminence ; à peu de jours d'ici, il espère bien lui baiser les pieds.
— Je vous défends bien de prier pour cela.
— Vous ne pouvez me défendre de demander à Dieu l'accomplissement de sa volonté.
— Mais quel est votre nom ?
— Je suis don Bosco.
— De grâce, ne faites pas ce à quoi vous songez !
Néanmoins, le désir de don Bosco se réalise quelques jours plus tard. Le cardinal Pecci, archevêque de Pérouse, est élu pape et prend le nom de Léon XIII.
Le 16 mars, il reçoit don Bosco en audience privée, et lui donne sa bénédiction, pour lui et pour tous ses fils d'Italie et d'ailleurs. « Votre œuvre est l'œuvre de Dieu, lui dit-il en terminant. N'ayez donc aucune crainte. Bon courage ! »
Don Bosco quitte, heureux, le Vatican et retourne à Turin. Ses enfants l'attendent.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


Reportez-vous à Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.












lundi 24 janvier 2022

Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne



Le 1er janvier 1869, don Bosco prend le train pour Rome. Il manque toujours à la Société salésienne, l'approbation finale. En vain don Bosco s'efforce-t-il de l'obtenir de la congrégation compétente ; cette fois, il la lui faut à tout prix.
À son arrivée à Rome, le carrosse du cardinal Berardi l'attend.
— Je suis chargé de vous conduire à votre logement, lui annonce le cocher. En outre, une voiture de son Éminence sera à votre disposition pendant tout votre séjour à Rome.
— Bien ! Conduisez-moi chez le chevalier Marietti. Au reste, je n'ai pas besoin de carrosse. Je ne suis pas habitué à pareil luxe. Puis-je vous demander ce qui me vaut tant de prévenance de la part du cardinal ?
— C'est, voyez-vous, que son neveu est gravement malade. Son Éminence vous prie d'aller le voir le plus tôt possible.
— J'irai. Veuillez transmettre à Son Éminence l'expression de ma profonde gratitude.
Quelques jours plus tard, don Bosco va rendre visite au cardinal en son palais. Berardi l'accueille fort aimablement, mais le presse aussitôt d'aller voir son neveu malade.
— Je suis venu, Éminence, pour vous parler au sujet de l'approbation de la Société salésienne.
— Je sais, je sais ! Votre cause n'est malheureusement pas bonne. La Congrégation des religieux ne veut pas entendre parler d'une nouvelle fondation. Les temps sont difficiles. Vous n'aboutirez à rien. Je ne puis vous donner absolument aucun espoir.
— Je suis pourtant plein de confiance, Éminence.
— Curieux ! Très curieux ! Sur quoi fondez-vous cette confiance ?
— Sur la Sainte Vierge ; sur mes enfants de l'oratoire et de mes deux petits séminaires, qui récitent tous les soirs un Notre Père pour l'heureuse issue de mon voyage. Finalement je compte aussi sur l'appui de votre Éminence.
— Sur moi ? Je n'ai rien à voir en cette affaire. Elle n'est pas de mon ressort.
— Vous pourriez néanmoins en toucher un mot au Saint-Père en ma faveur.
Après un instant d'hésitation :
— Eh bien, dit le prélat, ainsi ferai-je, si vous guérissez mon neveu.
— Je vous en prie, conduisez-moi près de lui.
Don Bosco trouve un garçonnet de onze ans atteint d'une grave typhoïde. L'enfant demande péniblement :
— C'est vous, don Bosco ?
— Oui, mon petit.
— C'est bien.
Et il laisse retomber sa tête sur l'oreiller.
— Le médecin l'a abandonné, chuchote la maman à l'oreille du prêtre. Si vous n'intervenez pas, il va mourir.
— Mettez toute votre confiance en Notre-Dame Auxiliatrice. Commencez une neuvaine. Comptez aussi sur mes prières.
Don Bosco bénit l'enfant et s'en va.
— Pensez aussi à la société de saint François de Sales, Éminence ! ajoute-t-il sortant.
Trois jours après, don Bosco trouve l'enfant assis sur son lit :
— Je n'ai plus de fièvre, dit le petit.
— C'est très bien. Confiance ! La Sainte Vierge te guérira.
Lorsque don Bosco revient au palais le dernier jour de la neuvaine, l'enfant court vers lui en sautant joyeusement.
— Demandez-moi ce que vous voudrez, dit le cardinal épanoui. Vous n'avez qu'à commander !
— Éminence, vous connaissez mon désir. Parlez au Saint-Père !
— Oui, demain, dès demain j'irai le voir. Mais vous feriez bien de soumettre votre affaire au cardinal secrétaire d'État.
Le cardinal Antonelli repose sur un canapé, lorsque don Bosco se présente chez lui.
— Approchez, approchez, don Bosco. Je ne puis malheureusement pas me lever. Je souffre horriblement de la goutte.
— Éminence, veuillez m'aider, et je vous assure que vous irez mieux.
— Que désirez-vous ?
— Je vous en prie, votre appui pour obtenir enfin l'approbation de ma Société.
— Très difficile ! Extraordinaire difficile ! La Congrégation des religieux ne veut rien savoir de nouvelles sociétés. Je vous promets pourtant d'en parler au Saint-Père, dès que je pourrai me rendre à l'audience. Mais, vous le voyez vous-même, ce ne peut être qu'en quelques semaines.
— Je ne peux pas attendre si longtemps. Allez-y demain !
— Dès demain ! Inutile d'y songer !
— Ce sera possible ! Il vous suffit d'avoir confiance ne Notre-Dame Auxiliatrice. Vous verrez que demain vous serez debout !
— Soit ! J'irai voir le Saint-Père demain si j'en suis vraiment capable.
Le lendemain matin toutes ses souffrances ont disparu. Antonelli se rend chez le Saint-Père, lui raconte sa guérison et lui recommande les affaires de don Bosco.
À quelques jours de là, Pie IX convoque celui-ci en audience et l'envoie même chercher avec son carrosse.
— À peine êtes-vous arrivé à Rome que vous faites des miracles, mon cher don Bosco, lui dit-il en le voyant.
— Saint-Père, je ne fais pas de miracles ! Je demande seulement à la Sainte Vierge de m'aider. Elle ne m'a encore jamais laissé dans l'embarras.
— C'est quand même étonnant ce que Berardi et Antonelli m'ont raconté. La Sainte Vierge doit certainement beaucoup vous aimer.
— Je l'aime aussi et je me fie en elle de tout cœur, c'est tout.
— Vous venez au sujet de l'approbation. Je la désire très sincèrement, mais vous savez que pour des décisions de ce genre je dépends des Congrégations. C'est ainsi et je dois malheureusement vous dire que la Congrégation des religieux n'est aucunement favorable à l'approbation de votre société. Il faudra encore un miracle de la Sainte Vierge, je crois. Ce serait une excellente chose que vous alliez voir Mgr Svegliati, secrétaire de la Congrégation. C'est de lui que vous viennent les plus grandes difficultés. J'ai malheureusement appris qu'il est gravement malade.
— Il est malade ? Très bien ! Je suis sûr d'obtenir ce que je veux.
Il est difficile d'accéder jusqu'à Mgr Svegliati qui est alité. Mais comment résister à don Bosco ? Don Bosco arrive donc au chevet du prélat impotent.
— Est-ce vous don Bosco ? gémit celui-ci. Vous voyez combien je suis mal. Une fluxion de poitrine, d'après le médecin. Je ne puis vraiment pas m'occuper de votre affaire. Venez à mon secrétariat lorsque je serai remis.
— Je regrette sincèrement de vous voir ainsi souffrant, dit don Bosco, mais votre appui m'est nécessaire. Allez trouver le Saint-Père pour lui recommander l'approbation de ma Société.
— Mais, don Bosco, les choses ne sont pas si simples que cela. Il s'agit d'une affaire délicate. En eussé-je le désir, je ne pourrais me rendre à l'audience en pareil état.
— Je vous le demande quand même, allez-y !
— Vous voyez pourtant bien comment je suis ! Peut-être pourrai-je m'occuper de la question qui vous intéresse avec le Saint-Père dans une semaine.
— Allez-y dès demain. Recommandez-vous à la Sainte Vierge, et vous verrez que demain vous serez guéri !
— Il se répète des choses extraordinaires sur votre compte, don Bosco... Eh bien, j'agirai suivant votre désir. Si je suis rétabli demain, j'en conclurai que la Sainte Vierge veut que je vous aide. J'irai voir le Saint-Père et lui recommanderai votre affaire.
Le lendemain matin, Mgr Svegliati est complètement guéri. Il part pour le Vatican et raconte son aventure au pape.
— Je n'ai plus aucune objection contre l'approbation, car j'ai éprouvé directement que telle est la volonté de Dieu.
— C'est aussi mon impression, dit le pape en souriant.
Le 19 février, Pie IX accorde à don Bosco une nouvelle audience.
— Heureuse journée ! dit l'apôtre de Turin en ployant le genou. Mes jeunes gens passent toute cette journée en prière devant le Saint Sacrement pour que le bon Dieu me vienne en aide.
— La prière de vos fils est déjà exaucée, répond le pape, dont les yeux se mouillent de larmes. Vous avez l'approbation. Toutes les difficultés ont été écartées par la Sainte Vierge.
— Je savais qu'elle exaucerait la prière de mes enfants et la mienne, répond don Bosco triomphant.
Le 1er mars, il reçoit le décret si longtemps désiré, et il retourne dès le lendemain à Turin. La joie est indescriptible à l'oratoire. Le bon vieux don Borel arrive péniblement, appuyé sur sa canne :
— Est-ce vrai, ce que j'ai appris ?
— Oui, mon cher don Borel ! Voici l'approbation !
Deo gratias ! Oui, je vais donc mourir content !
Le lendemain, don Bosco chante avec ses religieux et tous ses enfants de l'oratoire un Te Deum solennel dans l'église de Marie Auxiliatrice.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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dimanche 23 janvier 2022

Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco



Don Bosco ne fait aucun mystère de sa fidélité au souverain pontife. Il publie, dans les premiers jours de la nouvelle année, une lettre pontificale où Pie IX déplore la grande perturbation de l'Italie, la rébellion de plusieurs provinces de son propre royaume, et remercie l'apôtre de Turin de son indéfectible attachement, en même temps qu'il lui prédit de grands ennuis et l'exhorte à les supporter avec grand courage.
La lettre du Saint-Père agit comme une étincelle dans un baril de poudre, d'autant plus que, dans les mêmes jours, Camille Cavour revient au pouvoir et que la nouvelle du débarquement de Garibaldi avec sa légion rouge en Sicile déclenche un regain farouche d'enthousiasme guerrier.
Les ennemis de don Bosco ont beau jeu. Ils accusent l'oratoire d'être un foyer réactionnaire et prétendent impudemment qu'on y entretient un arsenal d'armes et de munitions, en attendant l'heure du coup de force qui renversera le gouvernement.
Si ridicules qu'ils soient, ces racontars trouvent des oreilles crédules dans le peuple et jusque en haut lieu.
Le nouveau ministre de l'Intérieur, le Sicilien Charles-Louis Farini, ordonne une perquisition.

Le 26 mai 1860, samedi de la Pentecôte, les gendarmes arrivent à l'oratoire, dans l'après-midi.
— Conduisez-nous à votre chambre, ordonne le commissaire de police à don Bosco.
— Seulement si vous avez un mandat officiel, répond celui-ci.
Le commissaire de police se fouille inutilement les poches ; finalement il envoie un de ses gendarmes chercher le papier oublié.
Pendant ce temps, les jeunes gens, maçons, serruriers, forgerons, reviennent de leur travail et s'indignent de cette intervention outrageante. Certains montrent le poing, retroussent leurs manches et 'attendent qu'un signe pour bousculer dehors les intrus.
« Permettez-vous... » demande le vigoureux Joseph Buzzetti. La réponse très catégorique de don Bosco le désole : « J'interdis toute parole et tout geste offensants à l'égard de qui que ce soit. »
L'ordre officiel du chef de la police arrive et la perquisition commence.
Primo, les objets personnels. On vide toutes les poches, on fouille très consciencieusement jusque dans les ourlets de la soutane et le pompon de la barrette du « prêtre Bosco ».
On met les tiroirs sens dessus dessous ; on culbute la corbeille à papier ; on brasse pêle-mêle des douzaines de lettres. Rien !
On finit tout de même par découvrir au fond d'une armoire à linge un tiroir secret :
— Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?
— Des documents privés, confidentiels. Je désire que l'on n'ouvre pas.
— Quoi de confidentiel ? Quoi de secret ? C'est précisément ce que nous cherchons. Ouvrez-vite !
— Puisque vous m'y forcez.
Quelle n'est pas la désillusion des policiers en ne trouvant que des factures non acquittées pour le pain, le macaroni et les ressemelages.
— Vous vous moquez de nous ? grogne le commissaire.
— Vous devez bien comprendre qu'il me déplaise de révéler l'étendue de mes dettes. Auriez-vous par hasard l'obligeance de payer une partie de ces factures ? »
Le commissaire devient écarlate, tandis que plusieurs de ses hommes se retiennent à peine de rire.
La perquisition se prolonge jusqu'à six heures. On fouille partout et dans tous les coins, y compris la cuisine et les ateliers. Sans aucun résultat.
« Assez pour aujourd'hui ! » ordonne le commissaire.
Ce n'est pourtant pas encore la paix pour l'oratoire.
Quinze jours plus tard, trois fonctionnaires du ministère s'y présentent avec tout un peloton de police pour une nouvelle perquisition.
— Donnez-nous vos livres de comptes, commandent-ils à don Alasonatti, don Bosco étant absent.
— Pourquoi les livres de comptes ?
— Il nous est revenu que vous avez accumulé de très fortes sommes en vue d'une insurrection, grogne Malusardi, secrétaire du ministre de l'Intérieur. Montrez-nous la caisse !
— Nous n'avons pas de caisse. En fait, nous n'avons jamais d'argent. Ce qui nous est donné est aussitôt dépensé à payer une partie de nos dettes.
— Faut-il vous croire ? On la connaît, la roublardise des Jésuites !
Par bonheur, don Bosco arrive juste à ce moment. Il prie les fonctionnaires de le suivre dans sa chambre. Sur la question financière, il n'a pas d'autre explication à donner que don Alasonatti.
— Nous allons interroger vos élèves, déclare le chevalier Gatti, inspecteur général du ministère de l'instruction, pour connaître l'esprit de cette maison.
— Interrogez qui vous voudrez, répond don Bosco. Je n'y vois pas d'inconvénient.
On fait venir au petit bonheur quelques écoliers et la séance commence :
— À qui vas-tu à confesse ? demande le chevalier au premier.
— À don Bosco.
— Depuis longtemps ?
— Depuis trois ans que je suis ici, toujours.
— Et tu aimes te confesser ?
— Oui, beaucoup.
— Qu'est-ce qu'on te dit au confessionnal ?
— On me donne de bons conseils.
— Je voudrais un peu plus de précision. Ne te dit-on pas que ceux qui ont pris au pape ses territoires sont des scélérats ?
— On ne parle pas de ça au confessionnal.
— Mais, ces choses-là ne sont-elles pas des péchés ?
— Si ce sont des péchés, ceux qui les ont commis peuvent s'en confesser. Moi, je n'ai pas volé de provinces au Saint-Père.
Rien à faire avec ce madré garnement. Passons à un autre. Le chevalier croit son choix plus heureux. Le gamin appelé n'a pas l'air des plus intelligents.
— En quelle classe es-tu ?
— En cinquième.
— Tu connais le roi ?
— Je ne l'ai jamais vu, mais je sais qu'il est notre souverain.
— Un mauvais souverain, qui persécute les prêtres et les religieux, n'est-ce pas ? Don Bosco vous l'a bien dit ?
— Jamais ! Don Bosco nous parle du roi avec beaucoup de respect.
— Mais les persécuteurs de l'Église sont des scélérats. Victor-Emmanuel persécute la religion, donc c'est un scélérat, c'est bien ainsi ?
— Vous pouvez mieux en juger que moi, monsieur, répond le gamin, qui est loin d'être aussi bête qu'il en a l'air. Je n'ai jamais rien entendu de pareil, et je sais seulement que don Bosco nous a fait prier pour le roi quand il était malade.
— C'est don Bosco qui t'a soufflé cette réponse !
— Pas possible. Il ne savait pas ce que vous alliez me demander.
Le fonctionnaire arrête. Au troisième !
— En quelle classe es-tu ?
— En quatrième.
— Vous avez sans doute étudié l'histoire romaine ?
— Mais oui.
— Peux-tu me dire qui a assassiné Jules César ?
— Brutus et ses conjurés.
— Brutus a sans doute bien agi en assassinant l'oppresseur de la liberté ?
— Non. Un sujet ne doit jamais lever la main contre son souverain.
— Mais si le souverain commet le mal ?
— Dieu le jugera. Ses sujets n'ont qu'à le respecter.
— Prenons un exemple. Victor-Emmanuel n'est-il pas condamnable parce qu'il cause des tracas aux religieux et des ennuis au Saint-Père ?
— Si le roi agit mal, il en répondra devant Dieu. Mais les sujets ont le devoir d'obéir à l'autorité.
Rien à faire encore avec celui-là, comme avec les suivants.
« Maudite engeance ! grogne le chevalier, en allant rejoindre ses collègues. Impossible de les faire se couper ! »

C'est à cette époque que don Bosco perd son ami le plus cher. Le 22 juin, don Cafasso meurt. Don Bosco le pleure comme un père. Avec ses jeunes il le conduit à sa dernière demeure. Le saint prêtre laisse à l'oratoire cinq mille lires et quelques pièces de terre.
Pour en finir avec toutes ces tracasseries, don Bosco décide de prendre le taureau par les cornes. Après bien des démarches, il obtient une audience du ministre de l'Intérieur. Farini ne lui manifeste d'abord aucune malveillance ; il lui adresse même des éloges au sujet de son dévouement envers les jeunes gens, mais : « Il est d'autant plus regrettable, enchaîne-t-il en fronçant les sourcils, que vous passiez maintenant au domaine de la politique. Vous devez comprendre que le gouvernement soit sur ses gardes. »
Le ministre tire quelques numéros du journal catholique Armonia :
— Voyez tout ce qu'on écrit contre le gouvernement. Il me revient par ailleurs que vous tenez des réunions révolutionnaires au Valdocco et que vous entretenez une correspondance avec les ennemis du pays.
— Ces articles ne sont pas de moi, et je ne tiens pas de réunions révolutionnaires chez moi. Avec les ennemis du pays, je n'ai aucune correspondance. Tout cela, ce ne sont que des calomnies de gens qui dupent les autorités et les jouent magistralement.
Le ministre a de la peine à se contenir.
— Pouvez-vous m'assurer en votre âme et conscience, arrive-t-il à demander posément, qu'il ne se tient pas de rassemblements révolutionnaires en votre maison, qu'aucun Jésuite n'y fréquente et qu'il n'existe aucune correspondance entre vous et les ennemis de la nation ? Nous avons des lettres, des preuves.
— Pourquoi ne me les montrez-vous pas ? Tout ce que je désire est la justice et la paix pour me dévouer aux enfants que Dieu m'a confiés.
Le ministre se lève, arpente la salle en silence. Comme il s'apprête à reprendre la parole, la porte s'ouvre : « Oh, que se passe-t-il ? demande le comte Cavour en entrant. Que l'on ait des égards pour le pauvre don Bosco ! Réglons la chose à l'amiable. Il a toujours eu ma sympathie. »
Le comte tend poliment la main à don Bosco et le prie de s'asseoir.
— Alors, qu'y a-t-il ? Quels sont vos ennuis ?
— On m'accuse d'être réactionnaire et chef de rebelles, Excellence, répond carrément don Bosco. Et tout cela sans aucune preuve. Je ne sais ce qui m'arrivera, mais ces bassesses ne peuvent demeurer cachées. Tôt ou tard Dieu et les hommes en châtieront les coupables.
— Calmez-vous, mon cher don Bosco. Personne ne vous en veut. Nous avons toujours été en bons termes et j'espère que nous continuerons. Dommage seulement que certains vous trompent et vous incitent à pratiquer une politique qui entraîne des conséquences fâcheuses.
— Quelle politique ? Quelles conséquences ? Nous n'avons, nous catholiques, pas d'autre politique que l'Évangile. Que me reprochez-vous exactement, monsieur le comte ?
Cavour retire ses grosses lunettes, rectifie un pli de sa veste :
— Voici, en un mot, dit-il. L'esprit qui prévaut dans votre institut est inconciliable avec la politique du gouvernement. Nous savons que vous êtes pour le pape ; vous êtes donc conte le gouvernement.
— Naturellement. Oui, comme catholique je suis pour le pape et je le serai jusqu'à mon dernier soupir. Mais, pour ce qui est de la politique, je n'appartiens à aucun parti et je ne me suis jamais mêlé de ces affaires-là. Si je me suis compromis en quelque chose, que l'on m'en punisse ; sinon, qu'on me laisse vaquer en paix à mes occupations !
— Pourtant vous croyez indiscutablement à l'Évangile. Or, vous y lisez que celui qui est pour le Christ est contre le monde. Étant pour le pape, vous ne pouvez donc pas être pour le gouvernement. Soyez sincère ! Que votre langage soit : « Oui ? — Oui », et : « Non ? — Non » !
— Voulez-vous dire par là que le gouvernement est contre Jésus-Christ et contre l'Évangile ? Je ne puis croire que le comte Cavour puisse renier les fondements de la morale et de la religion. Mais si vous voulez me citer la Sainte Écriture, vous connaissez aussi cette autre parole : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Tel est mon principe. Me prenez-vous réellement pour un rebelle ?
— Non, non, jamais ! Je vous ai toujours considéré comme un homme d'honneur et je le fais encore. Et maintenant je veux qu'on en finisse avec cette affaire. Veuillez agir en ce sens, mon cher Farini !
Avec un geste amical de la main, Cavour se retire.
— Vous avez entendu ce que vient de dire le comte Cavour, dit le ministre de l'Intérieur en toussotant. Rentrez donc chez vous et consacrez-vous à vos enfants. Le gouvernement vous en sera reconnaissant. Mais de la prudence, mon cher ! Soyez prudent ! Nous vivons en des temps difficiles, où l'on voit souvent une mouche se transformer en éléphant. Donc, soyez prudent !
Sur ces mots, me ministre se lève, serre la main à don Bosco :
— J'espère que nous resterons amis à l'avenir. Priez pour nous.
Si don Bosco a maintenant réellement la paix, pendant quelque temps de la part du gouvernement, il est d'autant plus consterné des nouvelles qui, dans les jours suivants, affectent tous les bons catholiques.
Le 19 août, Garibaldi franchit avec ses diables rouges le détroit de Messine et débarque en Calabre. Trois semaines plus tard, il entre en vainqueur à Naples, où il proclame Victor-Emmanuel souverain du royaume. Son prochain objectif ne peut être que les États de l'Église. Le 11 septembre, les troupes piémontaises envahissent les provinces pontificales de l'Ombrie et les Marches. Trois jours après, c'est la chute de Pérouse ; le 29 septembre, la capitulation des troupes pontificales à Ancône.
Victor-Emmanuel se fait proclamer roi d'Italie le 17 mars 1861. Mais le Piémont est encore privé de son plus beau fleuron, Rome comme capitale du nouveau royaume, dernière possession du pape sous la protection de la France. Victor-Emmanuel ne peut risquer de s'opposer au puissant empereur Napoléon, d'autant plus que son chancelier lui est enlevé par la mort le 6 juin.
La veille de la Fête-Dieu, le comte Cavour meurt des suites d'une attaque d'apoplexie. En annonçant cette nouvelle à ses jeunes gens, don Bosco ajoute : « Plaignons le noble comte, qui n'a pas trouvé un véritable ami à ses derniers moments. Il nous reste l'espoir que Dieu lui aura fait miséricorde, grâce à l'intercession de saint François de Sales, avec lequel Cavour était apparenté du côté maternel. »
C'est au milieu de cette effervescence que croît et mûrit l'œuvre de don Bosco. Il agrandit l'oratoire, plus de six cents jeunes gens y trouvent un foyer. Le 14 mai 1862, les premiers Salésiens prononcent, au terme de leur noviciat, leurs vœux publics. Vingt et un prêtres et séminaristes s'engagent à pratiquer jusqu'à leur dernier jour la pauvreté, la chasteté et l'obéissance, en se dévouant au service de Dieu et de la jeunesse.
Don Bosco leur adresse ces paroles émues et prophétiques : « Mes enfants, nous vivons en des temps fort troublés et cela semble une folie de fonder une nouvelle congrégation religieuse à l'heure précise où le monde et l'enfer mettent tout en œuvre pour anéantir celles qui existent déjà. Mais n'ayez pas peur. Ce ne sont pas des probabilités, ce sont des certitudes que j'ai : Dieu bénit notre effort et veut qu'il se poursuive. Que n'a-t-on pas fait déjà pour se mettre en travers de notre dessein ! À quoi cela a-t-il servi ? À rien. Ce serait déjà une raison de nous confier en l'avenir. Mais, j'en ai d'autres plus solides. La principale est que nous ne cherchons pas autre chose que la gloire du Seigneur et le salut des âmes. Qui sait si le Ciel ne veut pas se servir de cette humble congrégation pour accomplir de grandes choses dans l'Église de Dieu ? Qui sait si d'ici vingt-cinq ou trente ans notre petit noyau, béni du Seigneur, n'envahira pas la terre, et ne deviendra pas une armée d'au moins mille religieux ? » La fin de l'année réserve encore une grande épreuve à don Bosco : la mort de son frère Joseph, le 12 décembre 1862. C'est lui-même qui lui ferme les yeux.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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