Extrait : "Le Secret admirable du Très Saint Rosaire"
de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
Vierge à l'Enfant de Boticelli - XVe siècle |
Ministres du Très-Haut, prédicateurs de la vérité, trompettes de l'Évangile, permettez-moi de vous présenter la rose blanche de ce petit livre pour mettre en votre cœur et en votre bouche les vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse. En votre cœur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire et en goûter les fruits. En votre bouche, pour prêcher aux autres l'excellence de cette pratique et les convertir par ce moyen. Prenez bien garde, s'il vous plaît, de regarder comme le vulgaire, et même comme plusieurs savants orgueilleux, cette pratique comme petite et de peu de conséquence ; elle est vraiment grande, sublime et divine. C'est le ciel qui nous l'a donnée, et l'a donnée pour convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire dans l'autre. Les saints l'ont pratiquée et les souverains Pontifes l'ont autorisée. Oh ! qu'un prêtre (et un directeur des âmes) est heureux, à qui le Saint-Esprit a révélé ce secret inconnu de la plus grande partie des hommes ou qui ne le connaissent que superficiellement ! S'il en reçoit la connaissance pratique, il le récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa sainte Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un instrument de sa gloire ; et il fera plus de fruits par sa parole, quoique simple, en un mois, que les autres prédicateurs en plusieurs années.
Ne nous contentons donc pas, mes chers confrères, de le conseiller aux autres ; il faut que nous le pratiquions nous-mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l'esprit de l'excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce qu'il n'a pas : « Coepit Jesus facere et docere ». Imitons Jésus-Christ, qui a commencé par faire ce qu'il a enseigné. Imitons l'Apôtre, qui ne connaissait et ne prêchait que Jésus-Christ crucifié. C'est ce que nous ferons en prêchant le saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n'est pas seulement une composition de Pater et d'Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion, de la mort et la gloire de Jésus et Marie. Si je croyais que l'expérience que Dieu m'a donnée de l'efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que j'ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire ; mais je me contente de vous rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J'ai seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons auteurs qui prouvent ce que j'explique au peuple en français.
Le Rosaire renferme deux choses, savoir : l'oraison mentale et l'oraison vocale. L'oraison mentale du saint Rosaire n'est autre que la méditation des principaux mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère. L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave Maria précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on contemple les quinze vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères du saint Rosaire. Dans le premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore et on considère les cinq mystères joyeux ; au second les cinq mystères douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le saint Rosaire est un sacré composé de l'oraison vocale et mentale pour honorer et imiter les mystères et les vertus de la vie, de la mort et de la passion et de la gloire de Jésus-Christ et de Marie.
Le saint Rosaire dans son fond et dans sa substance étant composé de la prière de Jésus-Christ et de la Salutation angélique, à savoir le Pater et l'Ave, et de la méditation des mystères de Jésus et de Marie, c'est sans doute la première prière et la première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les disciples a été en usage de siècle en siècle jusqu'à nous.
Ne nous contentons donc pas, mes chers confrères, de le conseiller aux autres ; il faut que nous le pratiquions nous-mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l'esprit de l'excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce qu'il n'a pas : « Coepit Jesus facere et docere ». Imitons Jésus-Christ, qui a commencé par faire ce qu'il a enseigné. Imitons l'Apôtre, qui ne connaissait et ne prêchait que Jésus-Christ crucifié. C'est ce que nous ferons en prêchant le saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n'est pas seulement une composition de Pater et d'Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion, de la mort et la gloire de Jésus et Marie. Si je croyais que l'expérience que Dieu m'a donnée de l'efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que j'ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire ; mais je me contente de vous rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J'ai seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons auteurs qui prouvent ce que j'explique au peuple en français.
Le Rosaire renferme deux choses, savoir : l'oraison mentale et l'oraison vocale. L'oraison mentale du saint Rosaire n'est autre que la méditation des principaux mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère. L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave Maria précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on contemple les quinze vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères du saint Rosaire. Dans le premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore et on considère les cinq mystères joyeux ; au second les cinq mystères douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le saint Rosaire est un sacré composé de l'oraison vocale et mentale pour honorer et imiter les mystères et les vertus de la vie, de la mort et de la passion et de la gloire de Jésus-Christ et de Marie.
Le saint Rosaire dans son fond et dans sa substance étant composé de la prière de Jésus-Christ et de la Salutation angélique, à savoir le Pater et l'Ave, et de la méditation des mystères de Jésus et de Marie, c'est sans doute la première prière et la première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les disciples a été en usage de siècle en siècle jusqu'à nous.
Saint Dominique |
Cependant le saint Rosaire, dans sa forme et la méthode dont on le récite à présent, n'a été inspiré à son Église, donné de la très Sainte Vierge à Saint Dominique pour convertir les hérétiques albigeois et les pécheurs, qu'en l'an 1214, de la manière que je vais dire, comme le rapporte le bienheureux Alain de la Roche dans son fameux livre intitulé : « De Dignitate psalterii ». Saint Dominique, voyant que les crimes des hommes mettaient obstacle à la conversion des Albigeois, entra dans une forêt proche de Toulouse et y passa trois jours et trois nuits dans une continuelle oraison et pénitence ; il ne cessait de gémir, de pleurer et de se macérer le corps à coups de discipline, afin d'apaiser la colère de Dieu, de sorte qu'il tomba à demi mort. La Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de trois princesses du ciel et lui dit : « Sais-tu, mon cher Dominique, de quelle arme la Sainte-Trinité s'est servie pour réformer le monde ? — Ô Madame, répondit-il, vous le savez mieux que moi, car après votre Fils Jésus-Christ vous avez été le principal instrument de notre salut. » Elle ajouta : « Sache que la principale pièce de batterie a été le psautier angélique, qui est le fondement du Nouveau Testament ; c'est pourquoi, si tu veux gagner à Dieu ces cœurs endurcis, prêche mon psautier. » Le saint se leva tout consolé et, brûlant du zèle du salut de ces peuples, il entra dans l'église cathédrale ; incontinent les cloches sonnèrent par l'entremise des anges pour assembler les habitants, et au commencement de la prédication un orage effroyable s'éleva ; la terre trembla, le soleil s'obscurcit, les tonnerres et les éclairs redoublés firent pâlir et trembler tous les auditeurs ; et leur terreur augmenta quand ils virent une image de la Sainte Vierge exposée sur un lieu éminent, lever les bras par trois fois vers le ciel pour demander vengeance à Dieu contre eux, s'ils ne se convertissaient et ne recouraient à la protection de la sacrée Mère de Dieu. Le ciel voulait par ces prodiges augmenter la nouvelle dévotion du saint Rosaire et la rendre plus fameuse. L'orage cessa enfin par les prières de saint Dominique. Il poursuivit son discours et expliqua avec tant de ferveur et de force l'excellence du saint Rosaire, que les Toulousains l'embrassèrent presque tous et renoncèrent presque tous à leurs erreurs, et l'on vit, en peu de temps, un grand changement de mœurs et de vie dans la ville.
Cet établissement miraculeux du saint Rosaire, qui a quelque rapport avec la manière dont Dieu donna sa loi au monde sur la montagne du Sinaï, montre évidemment l'excellence de cette divine pratique ; aussi Saint Dominique, inspiré du Saint-Esprit, instruit par la Sainte Vierge et par sa propre expérience, prêcha tout le reste de sa vie le saint Rosaire par exemple et de vive voix dans les villes et les campagnes, devant les grands et les petits, devant les savants et les ignorants, devants les catholiques et les hérétiques. Le saint Rosaire, qu'il récitait tous les jours, était sa préparation devant la prédication et son rendez-vous après la prédication.
Lorsque le saint était, un jour de Saint-Jean l’Évangéliste, à Notre-Dame de Paris, derrière le grand autel, dans une chapelle, pour se préparer à prêcher, en récitant le saint Rosaire, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit : « Dominique, quoique ce que tu as préparé pour prêcher soit bon, voici pourtant un sermon bien meilleur que je t'apporte. » Saint Dominique reçoit de ses mains le livre où était ce sermon, le lit, le goûte et le comprend, en rend grâce à la Sainte Vierge. L'heure du sermon arrivé, il monte en chaire et, après n'avoir dit à la louange de Saint Jean l’Évangéliste autre chose sinon qu'il avait mérité d'être le gardien de la Reine du Ciel, il dit à toute l'assemblée des grands et des docteurs qui étaient venus l'entendre, qui étaient accoutumés à n'entendre que des discours curieux et polis, mais que, pour lui, il ne parlerait point dans les paroles savantes de la sagesse humaine, mais dans la simplicité et la force du Saint-Esprit. Alors Saint Dominique leur prêcha le saint Rosaire et leur expliqua mot à mot, comme à des enfants, la Salutation angélique, en se servant des comparaisons fort simples qu'il avait lues dans le papier que lui avait donné la Sainte Vierge.
Et le bienheureux Alain de la Roche, comme dit le même Cartagène, rapporte plusieurs autres apparitions de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge à Saint Dominique pour le presser et l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire, afin de détruire le péché et de convertir les pécheurs et les hérétiques.
Pendant qu'à l'exemple de saint Dominique les prédicateurs prêchaient la dévotion du saint Rosaire, la piété et la ferveur fleurissaient dans les ordres religieux qui pratiquaient cette dévotion, et dans le monde chrétien ; mais depuis qu'on eut négligé ce présent venu du ciel, on ne vit que péchés et que désordres partout.
Comme toutes choses, même les plus saintes, quand particulièrement elles dépendent de la volonté des hommes, sont sujettes aux changements, il ne faut pas s'étonner si la confrérie du saint Rosaire n'a subsisté en sa première ferveur qu'environ cent ans, après son institution ; ainsi, elle a été presque ensevelie dans l'oubli. Outre que la malice et l'envie du démon ont sans doute beaucoup contribué à faire négliger le saint Rosaire pour arrêter le cours des grâces de Dieu que cette dévotion attirait au monde. En effet, la justice divine affligea tous les royaumes de l'Europe l'an 1349 de la plus terrible peste que l'on n’ait jamais vue, laquelle, du levant, se répandit dans l'Italie, l'Allemagne, la France, la Pologne, la Hongrie, et de là presque toutes ces terres furent dévastées, car de cent hommes à peine en restait-il un en vie ; les villes, les bourgs, les villages et les monastères furent entièrement désertés pendant trois ans que dura cette contagion. Et ce fléau de Dieu fut suivi de deux autres : de l'hérésie des Flagellants et d'un malheureux schisme en 1376.
Après que, par la miséricorde de Dieu, ces misères eurent cessé, la Sainte Vierge ordonna au bienheureux Alain de la Roche, célèbre docteur et fameux prédicateur de l'ordre de Saint-Dominique du couvent de Dinan en Bretagne, de renouveler l'ancienne confrérie du saint Rosaire, afin que, comme cette célèbre confrérie avait pris naissance en cette province, un religieux de la même province eût l'honneur de la rétablir. Ce bienheureux Père commença à travailler à ce grand ouvrage l'an 1460, après particulièrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il rapporte de lui-même, lui ayant dit un jour dans la sainte Hostie, lorsqu'il célébrait la sainte Messe afin de le déterminer à prêcher le saint Rosaire : « Quoi donc, lui dit Jésus-Christ, tu me crucifies encore derechef ! — Comment, Seigneur ? répondit le bienheureux Alain tout épouvanté. — Ce sont les péchés qui me crucifient, lui répondit Jésus-Christ, et j'aimerais mieux être crucifié encore une fois que de voir mon Père offensé par les péchés que tu as autrefois commis. Et tu me crucifies encore à présent, parce que tu as la science et ce qui est nécessaire pour prêcher le Rosaire de ma Mère et par ce moyen instruire et retirer plusieurs âmes du péché ; et tu les sauverais et tu empêcherais de grands maux ; et ne le faisant pas, tu es coupable des péchés qu'ils commettent. » Ces terribles reproches firent résoudre le bienheureux Alain de prêcher incessamment le Rosaire.
La Sainte Vierge lui dit aussi un jour, pour l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire : « Tu as été un grand pécheur en ta jeunesse, mais j'ai obtenu de mon fils ta conversion, j'ai prié pour toi et j'ai désiré, s'il eût été possible, toutes sortes de peines pour te sauver parce que les pécheurs convertis sont ma gloire, et pour te rendre digne de prêcher partout mon Rosaire. » Saint Dominique, lui découvrant les grands fruits qu'il avait faits parmi les peuples par cette belle dévotion qu'il leur prêchait continuellement, lui disait : « Vides quomodo profecerim in sermone isto ; id etiam facies et tu, et omnes Mariae amatores, ut sic trahatis omnes populos ad omnem scientiam virtutum. » « Voyez le fruit que j'ai fait par la prédication du saint Rosaire ; faites-en de même, vous et tous les autres qui aimez la Sainte Vierge, afin que vous attiriez, par ce saint exercice du Rosaire, tous les peuples à la véritable science des vertus. » Voilà en abrégé ce que l'histoire nous apprend de l'établissement du saint Rosaire par Saint Dominique et de sa rénovation par le bienheureux Alain de la Roche.
Alain de la Roche recevant le Chapelet |
Depuis le temps que Saint Dominique a établi cette dévotion jusqu'à l'an 1460, que le bienheureux Alain de la Roche, par l'ordre du ciel, l'a renouvelée, on l'appelle le psautier de Jésus et de la Sainte Vierge, parce qu'elle contient autant de Salutations angéliques que le psautier de David contient de psaumes, et que, les simples et les ignorants ne pouvant pas réciter le psautier de David, on trouve dans la récitation du saint Rosaire un fruit égal à celui qu'on tire de la récitation des psaumes de David et même encore un plus abondant : 1 Parce que le psautier angélique a un fruit plus noble, savoir : le Verbe incarné, au lieu que le psautier de David ne fait que le prédire ; 2 Comme la vérité surpasse la figure et le corps l'ombre, de même le psautier de la Sainte Vierge surpasse le psautier de David qui n'en a été que l'ombre et la figure ; 3 Parce que la Sainte-Trinité a immédiatement fait le psautier de la Sainte Vierge ou le Rosaire composé du Pater et de l'Ave.
Le psautier - ou le Rosaire de la Sainte Vierge - est divisé en trois chapelets de cinq dizaines chacun : 1 pour honorer les trois personnes de la Sainte-Trinité ; 2 pour honorer la vie, la mort et la gloire de Jésus-Christ ; 3 pour imiter l'Église triomphante, pour aider la militante et soulager la souffrante ; 4 pour imiter les trois parties des psaumes dont la première est pour la voie purgative, la seconde pour la vie illuminative et la troisième pour la vie unitive ; 5 pour nous remplir de grâces pendant la vie, de paix à la mort et de gloire dans l'éternité.
Depuis que le bienheureux Alain de la Roche a renouvelé cette dévotion, la voix publique, qui est la voix de Dieu, lui a donné le nom de Rosaire qui signifie couronne de roses ; c'est-à-dire que toutes les fois que l'on dit comme il faut son Rosaire, on met sur la tête de Jésus et de Marie une couronne composée de cent cinquante-trois roses blanches et de 16 roses rouges du paradis, lesquelles ne perdront jamais ni leur beauté ni leur éclat. La Sainte Vierge a approuvé et confirmé ce nom de rosaire, révélant à plusieurs qu'ils lui présentaient autant d'agréables roses qu'ils réciteront d'Ave Maria en son honneur et autant de couronnes de roses qu'ils diront de Rosaires.
Le frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, récitait son Rosaire avec tant d'ardeur qu'il voyait souvent, à chaque Pater, sortir de sa bouche une rose vermeille, et à chaque Ave Maria une blanche égale en beauté et en bonne odeur et seulement différente de couleur. Les chroniques de Saint François racontent qu'un jeune religieux avait cette louable coutume de dire tous les jours avant son repas la couronne de la Sainte Vierge. Un jour, par je ne sais quel accident, il y manqua ; le dîner étant sonné, il pria le supérieur de lui permettre de la réciter avant que d'aller à table. Avec cette permission, il se retira dans sa chambre ; mais comme il tardait trop, le supérieur envoya un religieux pour l'appeler. Ce religieux le trouva dans sa chambre, tout éclatant d'une céleste lumière, et la Sainte Vierge avec deux anges auprès de lui ; à mesure qu'il disait un Ave Maria, une belle rose sortait de sa bouche, les anges prenaient les roses l'une après l'autre et les mettaient sur la tête de la Sainte Vierge qui en témoignait de l'agrément. Deux autres religieux envoyés pour voir la cause du retardement des autres virent tout ce mystère, et la Sainte Vierge ne disparut point que la couronne ne fût récitée. Le Rosaire est donc une grande couronne et le chapelet un petit chapeau de fleurs ou petite couronne de roses célestes qu'on met sur la tête de Jésus et de Marie. La rose est la reine des fleurs, de même le Rosaire est la rose et la première des dévotions.
Il n'est pas possible d'exprimer combien la Sainte Vierge estime le Rosaire sur toutes les dévotions et combien elle est magnifique à récompenser ceux qui travaillent à le prêcher, l'établir et le cultiver ; et au contraire combien elle est terrible contre ceux qui veulent s'y opposer. Saint Dominique n'a eu rien tant à cœur pendant sa vie que de louer la Sainte Vierge, de prêcher ses grandeurs et d'animer tout le monde à l'honorer par son Rosaire. Cette puissante Reine du Ciel n'a cessé aussi de répandre sur ce saint des bénédictions à pleines mains ; et elle a couronné ses travaux de mille prodiges et miracles, il n'a jamais rien demandé à Dieu qu'il ne l'ait obtenu par l'intercession de la Sainte Vierge ; et, pour comble de faveur, elle l'a rendu victorieux de l'hérésie de l'Albigeois et fait père et patriarche d'un grand ordre.
Que dirai-je du bienheureux Alain de la Roche, réparateur de cette dévotion ? La Sainte Vierge l'a honoré plusieurs fois de sa visite pour l'instruire des moyens de faire son salut, de se rendre bon prêtre, parfait religieux et imitateur de Jésus-Christ. Pendant les tentations et les persécutions horribles des démons qui le réduisaient à une extrême tristesse et presque au désespoir, elle le consolait et dissipait par sa douce présence tous ces nuages et ces ténèbres. Elle lui a enseigné la méthode de dire le Rosaire, ses excellences et ses fruits ; elle l'a favorisé de la glorieuse qualité de son nouvel époux, et pour gage de ses chastes affections, elle lui a mis une bague au doigt, un collier fait de ses cheveux au col, et lui a donné un Rosaire. L'abbé Tritème, le docte Cartagène, le savant Martin Navarre et les autres en parlent avec éloges. Après avoir attiré à la confrérie du Rosaire plus de cent mille âmes, il mourut à Zwolle, en Flandre, le 8 septembre 1475.
Le démon, jaloux des grands fruits que le bienheureux Thomas de Saint-Jean, célèbre prédicateur du saint Rosaire, faisait par cette pratique, le réduisait, par ses mauvais traitements, à une longue et fâcheuse maladie dans laquelle il fut désespéré des médecins. Une nuit qu'il croyait infailliblement mourir, le démon lui apparut sous une figure épouvantable ; mais élevant directement les yeux et le cœur vers une image de la Sainte Vierge qui était près de son lit, il cria de toutes ses forces : « Aidez-moi, secourez-moi, ô ma très douce Mère ! » À peine eut-il achevé ces paroles, que la Sainte Vierge lui tendit la main de la sainte image, lui serra le bras en lui disant : « Ne crains point, mon fils Thomas, me voici à ton secours ; lève-toi et continue de prêcher la dévotion de mon Rosaire comme tu as commencé. Je te défendrai contre tous tes ennemis. » À ces paroles de la Sainte Vierge, le démon prit la fuite. Le malade se leva en parfaite santé, et il rendit grâces à sa Bonne Mère avec un torrent de larmes, et continua de prêcher le Rosaire avec un succès merveilleux.
La Sainte Vierge ne favorise pas seulement les prédicateurs du Rosaire, elle récompense aussi glorieusement ceux qui, par leur exemple, attirent les autres à cette dévotion. Alphonse, roi de Léon et de Galice, désirant que tous ses domestiques honorassent la Sainte Vierge par le Rosaire, s'avisa, pour les y animer par son exemple, de porter un gros Rosaire à son côté, mais sans le réciter pourtant : ce qui obligea tous les gens de sa cour à le dire dévotement. Le roi tomba malade à l'extrémité et lorsqu'on le croyait mort, il fut ravi en esprit au tribunal de Jésus-Christ. Il vit les diables qui l'accusaient de tous les crimes qu'il avait commis et le juge étant sur le point de le condamner aux peines éternelles, la Sainte Vierge se présenta en sa faveur devant son Fils ; on apporta une balance, on mit tous les péchés du roi dedans un bassin, et la Sainte Vierge mit le gros Rosaire qu'il avait porté en son honneur et avec ceux qu'il avait fait dire par son exemple, qui pesa plus que tous ses péchés, et puis, le regardant d'un œil favorable, elle lui dit : « J'ai obtenu de mon Fils, pour récompense du petit service que tu m'as rendu en portant le Rosaire, le prolongement de ta vie pour quelques années. Emploie-les bien, et fais pénitence. » Le roi, revenu de ce ravissement, s'écria : « Ô bienheureux Rosaire de la Sainte Vierge, par lequel j'ai été délivré de la damnation éternelle. » Après qu'il eut recouvré la santé, il passa le reste de sa vie dans la dévotion du saint Rosaire et le récitait tous les jours. Que les dévots de la Sainte Vierge tâchent de gagner le plus qu'ils pourront de fidèles à la confrérie du saint Rosaire, à l'exemple de ces saints et de ce roi ; ils auront ici-bas ses bonnes grâces et la vie éternelle. Qui elucidant me vitam aeternam habebunt.
Mais, voyons maintenant quelle injustice c'est d'empêcher le progrès de la confrérie du saint Rosaire et quels sont les châtiments dont Dieu a puni plusieurs malheureux qui ont méprisé et voulu détruire la confrérie du saint Rosaire. Quoique la dévotion du saint Rosaire ait été autorisée du ciel par plusieurs prodiges et qu'elle soit approuvée de l'Église par plusieurs bulles des papes, il ne se trouve que trop de libertins, d'impies et d'esprits forts du temps, qui tâchent ou de décrier la confrérie du saint Rosaire, ou d'en éloigner du moins les fidèles. Il est aisé de connaître que leurs langues sont infectées du venin de l'enfer et qu'ils sont poussés par l'esprit malin ; car nul ne peut désapprouver la dévotion du saint Rosaire, qu'il ne condamne ce qu'il y a de plus pieux dans la religion chrétienne, à savoir : l'Oraison dominicale, la Salutation angélique, les mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa sainte Mère. Ces esprits forts, qui ne peuvent souffrir qu'on dise le Rosaire, souvent tombent, sans y penser, dans le sens réprouvé des hérétiques qui ont en horreur le chapelet et le Rosaire. C'est s'éloigner de Dieu et de la vraie piété que d'abhorrer les confréries, puisque Jésus-Christ nous assure qu'il se trouve au milieu de ceux qui sont assemblés en son nom. Ce n'est pas être bon catholique que de négliger tant et de si grandes indulgences que l'Église accorde aux confréries.
Enfin c'est être ennemi du salut des âmes, de dissuader les fidèles d'être du saint Rosaire, puisque, par ce moyen, ils quittent le parti du péché pour embrasser la piété. Si Saint Bonaventure a eu raison de dire que celui-là mourra en son péché et sera damné qui aura négligé la Sainte Vierge : « Qui negligerit illam morietur in peccatis suis » (in psalterio suo), quels châtiments doivent attendre ceux qui détournent les autres de sa dévotion !
Lorsque Saint Dominique prêchait cette dévotion dans Carcassonne, un hérétique tournait en ridicule ses miracles et les 15 mystères du saint Rosaire, ce qui empêchait la conversion des hérétiques. Dieu, pour punir cet impie, permit à quinze mille démons d'entrer en son corps ; ses parents l'amenèrent au bienheureux Père pour le délivrer de ces malins esprits. Il se mit en oraison et exhorta toute la compagnie de réciter avec lui le Rosaire tout haut, et voilà qu'à chaque Ave Maria, la Sainte Vierge faisait sortir cent démons du corps de cet hérétique en forme de charbons ardents. Après qu'il fut délivré, il abjura ses erreurs, se convertit et se fit enrôler en la confrérie du Rosaire avec plusieurs de son parti, qui furent touchés de ce châtiment et de la vertu du Rosaire.
Comme la foi est la seule clef qui nous fait entrer dans tous les mystères de Jésus et de Marie renfermés au saint Rosaire, il faut le commencer en récitant le Credo avec une grande attention et dévotion, et plus notre foi sera vive et forte, et plus le Rosaire sera méritoire. Il faut que cette foi soit vive et animée par la charité, c'est-à-dire que pour bien réciter le saint Rosaire, il faut être en grâce de Dieu ou dans la recherche de cette grâce ; il faut que la foi soit forte et constante, c'est-à-dire qu'il ne faut pas chercher dans la pratique du saint Rosaire seulement son goût sensible et sa consolation spirituelle, c'est-à-dire qu'il ne faut pas l'abandonner parce qu'on a une foule de distractions involontaires dans l'esprit, un dégoût étrange dans l'âme, un ennui accablant et un assoupissement presque continuel dans le corps ; il n'est pas besoin de goût ni de consolation, ni de soupirs, ni d'élans, ni de larmes, ni d'application continuelle de l'imagination, pour bien réciter son Rosaire. La foi pure et la bonne intention suffisent. « Sola fides sufficit ».
Si la Salutation angélique rend gloire à la Sainte-Trinité, elle est aussi la louange la plus parfaite que nous puissions adresser à Marie. Sainte Mechtilde, désirant savoir par quel moyen elle pourrait mieux témoigner la tendresse de sa dévotion à la Mère de Dieu, fut ravie en esprit ; et sur cette pensée, la Sainte Vierge lui apparut portant sur son sein la Salutation angélique écrite en lettres d'or et lui dit : « Sachez, ma fille, que personne ne peut m'honorer par un salut plus agréable que celui que m'a fait présenter la très adorable Trinité et par lequel elle m'a élevée à la dignité de Mère de Dieu. Par le mot “Ave”, qui est le nom d'Ève, Éva, j'appris que Dieu, par sa toute-puissance, m'avait préservée de tout péché et des misères auxquelles la première femme fut sujette. Le nom de “Marie”, qui signifie dame de lumières, marque que Dieu m'a remplie de sagesse et de lumière, comme un astre brillant, pour éclairer le ciel et la terre. Ces mots : “pleine de grâces”, me représentent que le Saint-Esprit m'a comblée de tant de grâces que je puis en faire part abondamment à ceux qui en demandent par ma médiation. En disant : “Le Seigneur est avec vous”, on me renouvelle la joie ineffable que je ressentis lorsque le Verbe éternel s'incarna dans mon sein. Quand on me dit : “vous êtes bénie entre toutes les femmes”, je loue la divine miséricorde qui m'a élevée à ce haut degré de bonheur. À ces paroles : “Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni”, tout le ciel se réjouit avec moi de voir Jésus mon Fils adoré et glorifié pour avoir sauvé les hommes ».
Sainte Mechtilde |
Entre les choses admirables que la Sainte Vierge a révélées au bienheureux Alain de la Roche (et nous savons que ce grand dévot à Marie a confirmé par serment ses révélations), il y en a trois des plus remarquables : la première, que c'est un signe probable et prochain de réprobation éternelle, que d'avoir de la négligence, de la tiédeur et de l'aversion pour la Salutation angélique qui a réparé le monde — la seconde, que ceux qui ont de la dévotion pour cette admirable salutation portent un très grand signe de prédestination — la troisième, que ceux qui ont reçu du ciel la faveur d'aimer la Sainte Vierge et de la servir par affection, doivent être extrêmement soigneux de continuer à l'aimer et à la servir jusqu'à ce qu'elle les ait fait placer dans le ciel par son Fils au degré de gloire convenable à leurs mérites (Alanus).
Tous les hérétiques, qui sont tous des enfants du diable et qui portent les marques évidentes de la réprobation, ont horreur de l'Ave Maria ; ils apprennent encore le Pater, mais non pas l'Ave Maria ; ils aimeraient mieux porter sur eux un serpent qu'un chapelet ou un rosaire.
Saint Dominique a partagé la vie de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge en quinze mystères, qui nous représentent leurs vertus et leurs principales actions comme quinze tableaux dont les traits doivent nous servir de règle et d'exemple pour la conduite de notre vie. Ce sont quinze flambeaux pour guider nos pas dans ce monde ; quinze miroirs ardents pour connaître Jésus et Marie, pour nous connaître nous-mêmes et pour allumer le feu de leur amour dans nos cœurs ; quinze fournaises pour nous consumer entièrement de leurs célestes flammes. La Sainte Vierge a enseigné à Saint Dominique cette excellente méthode de prier et lui a ordonné de la prêcher, afin de réveiller la piété des chrétiens et de faire revivre l'amour de Jésus-Christ dans leurs cœurs. Elle l'enseigna aussi au bienheureux Alain de la Roche. « C'est une prière très utile, lui dit-elle, c'est un service qui m'est fort agréable, que de réciter cent cinquante Salutations angéliques. Il me l'est encore davantage, et ceux-là feront encore beaucoup mieux qui réciteront les salutations avec la méditation de la vie, de la passion et de la gloire de Jésus-Christ, car cette méditation est l'âme de ces oraisons ». En effet, le Rosaire, sans la méditation des mystères sacrés de notre salut, ne serait presque qu'un corps sans âme, une excellente matière sans sa forme qui est la méditation, qui le distingue des autres dévotions.
La première partie du Rosaire contient cinq mystères, dont le premier est l'Annonciation de l'archange Gabriel à la Sainte Vierge ; le second, la Visitation de la Sainte Vierge à sainte Élisabeth ; le troisième, la Nativité de Jésus-Christ ; le quatrième, la Présentation de l'Enfant Jésus au temple et la purification de la Sainte Vierge ; le cinquième, le Recouvrement de Jésus dans le temple parmi les docteurs. On appelle ces Mystères joyeux à cause de la joie qu'ils ont donnée à tout l'univers. La Sainte Vierge et les anges furent comblés de joie au moment heureux où le Fils de Dieu s'incarna. Sainte Élisabeth et Saint Jean-Baptiste furent remplis de joie par la visite de Jésus et de Marie. Le ciel et la terre se sont réjouis à la naissance du Sauveur. Siméon fut consolé et comblé de joie, quand il reçut Jésus dans ses bras. Les docteurs étaient ravis d'admiration en entendant les réponses de Jésus ; et qui exprimera la joie de Marie et de Joseph en retrouvant Jésus après trois jours d'absence ?
La seconde partie du Rosaire se compose aussi de cinq mystères que l'on appelle Mystères douloureux, parce qu'ils nous représentent Jésus-Christ accablé de tristesse, couvert de plaies, chargé d'opprobres, de douleurs et de tourments. Le premier de ces mystères est la prière de Jésus et son Agonie au jardin des Oliviers ; le second, sa Flagellation ; le troisième, son Couronnement d'épines ; le quatrième, le Portement de Croix ; le cinquième, son Crucifiement et sa mort sur le Calvaire.
La troisième partie du Rosaire contient cinq autres mystères qu'on appelle glorieux, parce que nous y contemplons Jésus et Marie dans le triomphe et dans la gloire. Le premier est la Résurrection de Jésus-Christ ; le second, son Ascension au ciel ; le troisième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres ; le quatrième, l'Assomption de la glorieuse Vierge ; le cinquième, son Couronnement. Voilà les quinze fleurs odoriférantes du Rosier mystique sur lesquelles les âmes pieuses s'arrêtent comme de sages abeilles, pour en cueillir le suc admirable et en composer le miel d'une dévotion solide.
C'est pour nous aider dans l'important ouvrage de notre prédestination, que la Sainte Vierge a ordonné à Saint Dominique d'exposer aux fidèles qui récitent le Rosaire les mystères sacrés de la vie de Jésus-Christ, non seulement afin qu'ils l'adorent et le glorifient, mais principalement afin qu'ils règlent leur vie et leurs actions sur ses vertus. Or, comme les enfants imitent leurs parents en les voyant et en conversant avec eux ; qu'ils apprennent leur langage en les entendant parler ; qu'un apprenti, en voyant travailler son maître, apprend son art ; de même les fidèles confrères du Rosaire, en considérant sérieusement et dévotement les vertus de Jésus-Christ, dans les quinze mystères de sa vie, deviennent semblables à ce divin Maître, avec le secours de sa grâce et par l'intercession de la Sainte Vierge.
Pour vous animer encore davantage à cette dévotion des grandes âmes, j'ajoute que le Rosaire récité avec la méditation des mystères : 1 nous élève insensiblement à la connaissance parfaite de Jésus-Christ ; 2 purifie nos âmes du péché ; 3 nous rend victorieux de tous nos ennemis ; 4 nous rend la pratique des vertus facile ; 5 nous embrase de l'amour de Jésus-Christ ; 6 nous enrichit de grâces et de mérites ; 7 nous fournit de quoi payer toutes nos dettes à Dieu et aux hommes, et enfin, nous fait obtenir de Dieu toutes sortes de grâces.
La Sainte Vierge a révélé au bienheureux Alain qu'aussitôt que Saint Dominique prêcha le Rosaire, les pécheurs endurcis furent touchés et pleurèrent amèrement leurs crimes ; les jeunes enfants même firent des pénitences incroyables, la ferveur fut si grande, partout où il prêchait le Rosaire, que les pécheurs changèrent de vie et édifièrent tout le monde par leurs pénitences et l'amendement de leur vie. Si vous sentez votre conscience chargée de quelques péchés, prenez votre Rosaire, en récitant une partie en l'honneur de quelques mystères de la vie, de la passion ou de la gloire de Jésus-Christ, et soyez persuadé que, pendant que vous méditerez et honorerez ces mystères, Il montrera ses plaies sacrées à son Père au ciel. Il plaidera pour vous et vous obtiendra la contrition et le pardon de vos péchés. Il dit un jour au bienheureux Alain : « Si ces misérables pécheurs récitaient souvent mon Rosaire, ils participeraient aux mérites de ma passion, et, comme leur Avocat, j'apaiserais la divine Justice ».
Cette vie est une guerre et une tentation continuelles ; nous n'avons pas à combattre des ennemis de chair et de sang, mais les puissances mêmes de l'enfer. Quelles armes prendrons-nous, pour les combattre, que l'oraison que notre grand Capitaine nous a enseignée, que la Salutation angélique, qui a chassé les démons, détruit le péché et renouvelé le monde, que la méditation de la vie, de la passion de Jésus-Christ, de la pensée de laquelle nous devons nous armer, comme nous ordonne saint Pierre, pour nous défendre des mêmes ennemis qu'il a vaincus et qui nous attaquent tous les jours. « Depuis que le démon, dit le cardinal Hugues, a été vaincu par l'humilité et la passion de Jésus-Christ, il ne se peut quasi attaquer à une âme armée de la méditation de ses mystères ou, s'il l'attaque, il en est vaincu honteusement ». "Induite vos armaturam Dei" (Eph 6,11).
Armez-vous donc de ces armes de Dieu, du saint Rosaire, et vous briserez la tête du démon, et demeurerez stables contre toutes ses tentations. C'est d'où vient que le Rosaire même matériel est si terrible au diable, et que les saints s'en sont servis pour l'enchaîner et le chasser des corps des possédés, comme plusieurs histoires rendent témoignage.
Un homme, dit le bienheureux Alain, ayant en vain tenté toutes sortes de pratiques de dévotion pour être délivré du malin esprit qui le possédait, s'avisa de mettre à son col son Rosaire, ce qui le soulagea, et ayant éprouvé que lorsqu'il l'ôtait de son cou, le démon le tourmentait cruellement, résolut de le porter au cou jour et nuit, ce qui chassa le diable pour toujours, ne pouvant supporter une si terrible chaîne. Le bienheureux Alain témoigne qu'il a délivré un grand nombre de possédés, en leur mettant ainsi le Rosaire au cou.
Le Révérend Père Dorland rapporte que la Sainte Vierge dit un jour au vénérable Dominique, chartreux, dévot du saint Rosaire, qui résidait à Trèves l'an 1481 : « Toutes les fois qu'un fidèle récite le Rosaire avec les méditations des mystères de la vie et de la passion de Jésus-Christ, en état de grâce, il obtient pleine et entière rémission de tous ses péchés ». Elle dit aussi au bienheureux Alain : « Sachez qu'encore qu'il y ait quantité d'indulgences données à mon Rosaire, j'y en ajouterai davantage pour chaque cinquantaine à ceux qui le réciteront sans péché mortel, à genoux, dévotement, et quiconque persévèrera dans la dévotion du saint Rosaire avec ces articles et méditations, je lui obtiendrai, pour récompense de ce bon service, pleine rémission de la peine et de la coulpe de tous ses péchés à la fin de la vie. Et que cela ne te semble pas incroyable ; il m'est facile, puisque je suis la Mère du Roi des cieux, qui m'appelle pleine de grâce, et, si j'en suis remplie, j'en ferai une ample effusion à mes chers enfants ».
Saint Dominique et Notre-Dame du Rosaire |
Le saint, sans être touché des paroles tendres de ces esprits malheureux, leur répondit qu'il ne cesserait de les tourmenter jusqu'à ce qu'ils eussent répondu à la question. Les démons lui dirent qu'ils y répondraient, mais en secret, et à l'oreille, et non pas devant tout le monde. Le saint incite et leur commande de parler et répondre tout haut. Les diables ne voulurent plus dire mot, quelque commandement qu'il leur fit. Il se mit à genoux et fit cette prière à la Sainte Vierge : « O excellentissima Virgo Maria, per virtutem psalterii et rosarii tui, compelle hos humani generis hostes questioni meae satisfacere. — Ô très sainte Vierge Marie, par la vertu du saint Rosaire, ordonnez à ces ennemis du genre humain de répondre à ma question ». Cette prière étant faite, voilà qu'une flamme ardente sortit des oreilles, des narines et de la bouche du possédé, qui fit trembler tout le monde, mais qui ne fit de mal à personne. Alors les diables s'écrièrent : « Dominique, nous te prions, par la passion de Jésus-Christ et par les mérites de sa sainte Mère et de tous les saints, que tu nous permettes de sortir de ce corps sans rien dire ; car les anges, quand tu le voudras, te le révèleront. Ne sommes-nous pas des menteurs ? Pourquoi veux-tu nous croire ? Ne nous tourmente pas davantage, aie pitié de nous ». « Malheureux que vous êtes, indignes d'être exaucés », dit saint Dominique, qui, se mettant encore à genoux, fit sa prière à la Sainte Vierge : Ô Mater sapientiae dignissima et de cujus salutatione quomodo illa fieri debeat jam edoctus est populus ; pro salute populi circunstantis rogo : Coge hosce tuos adversarios, ut plenam et sinceram veritatem palam hic profiteantur ». Il n'eut pas plus tôt fini sa prière, qu'il vit la Sainte Vierge auprès de lui, entourée d'une grande multitude d'anges, qui, avec une verge d'or qu'elle tenait à la main, frappait le démoniaque en lui disant : « Réponds à mon serviteur Dominique, selon sa demande ». Il faut remarquer que le peuple n'entendait ni ne voyait point la Sainte Vierge ; il n'y avait que Saint Dominique.
Alors les démons commencèrent à s'écrier en disant: « Ô notre ennemie, ô notre ruine, ô notre confusion, pourquoi êtes-vous venue exprès du ciel pour nous tourmenter si fort ? Faut-il que, malgré nous, ô avocate des pécheurs qui les retirez des enfers, ô chemin très assuré du paradis, nous soyons obligés de dire toute la vérité ? Faut-il que nous confessions devant tout le monde ce qui sera la cause de notre confusion et de notre ruine ? Malheur à nous, malheur à nos princes des ténèbres. Écoutez donc, chrétiens. Cette Mère de Jésus-Christ est toute puissante pour empêcher que ses serviteurs ne tombent en enfer ; c'est elle qui, comme un soleil, dissipe les ténèbres de nos mines, qui rompt nos pièges et rend toutes nos tentations inutiles et sans effet. Nous sommes contraints d'avouer qu'aucun de ceux qui persévèrent dans son service n'est damné avec nous. Un seul de ses soupirs, qu'elle offre à la Sainte-Trinité, surpasse toutes les prières, les vœux et les désirs de tous les saints. Nous la craignons plus que tous les bienheureux ensemble et nous ne pouvons rien contre ses fidèles serviteurs. Plusieurs chrétiens mêmes qui l'invoquent à la mort, et qui devraient selon nos lois ordinaires être damnés, sont sauvés par son intercession. Ah ! si cette Mariette (c'est ainsi que leur rage la faisait appeler) ne s'était opposée à nos desseins et à nos efforts, nous aurions depuis longtemps renversé et détruit l'Église et fait tomber tous ses ordres dans l'erreur et l'infidélité. Nous protestons de plus, par la violence qu'on nous fait, qu'aucun de ceux qui persévèrent à dire le Rosaire n'est damné ; car elle obtient à ses dévots serviteurs une vraie contrition de leurs péchés par laquelle ils en obtiennent le pardon et l'indulgence ». Alors Saint Dominique fit réciter le Rosaire à tout le peuple, fort lentement et dévotement, et, à chaque Ave Maria que le saint et le peuple récitaient (chose étonnante), il sortait du corps de ce malheureux une grande multitude de démons, en forme de charbons ardents. Les démons étant tous sortis, et l'hérétique fut tout à fait délivré, la Sainte Vierge donna, quoique invisiblement, sa bénédiction à tout le peuple, qui en ressentit une joie très sensible. Ce miracle fut cause qu'un grand nombre d'hérétiques se convertirent et se mirent de la confrérie du saint Rosaire.
Voyons donc la manière qu'il faut les réciter pour plaire à Dieu et devenir plus saints. Premièrement il faut que la personne qui récite le saint Rosaire soit en état de grâce ou du moins dans la résolution de sortir de son péché, parce que toute la théologie nous enseigne que les bonnes œuvres et les prières faites en péché mortel, sont des œuvres mortes, qui ne peuvent être agréables à Dieu ni mériter la vie éternelle ; c'est en ce sens qu'il est écrit : « Non est speciosa laus in ore peccatoris : La louange ne sied pas à la bouche du pécheur » (Si 15,9). La louange et le salut de l'ange et l'Oraison même de Jésus-Christ n'est pas agréable à Dieu lorsqu'elle sort de la bouche d'un pécheur impénitent : « Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me » (Mc 7,6) Ces personnes qui se mettent de mes confréries (dit Jésus-Christ), qui récitent tous les jours le chapelet ou le Rosaire, sans aucune contrition de leurs péchés, m'honorent de leurs lèvres, mais leur cœur est bien éloigné de moi. [2] J'ai dit : « ou du moins dans la résolution de sortir du péché », 1 parce que s'il fallait absolument être en grâce de Dieu pour faire des prières qui lui fussent agréables, il s'ensuivrait que ceux qui sont en péché mortel ne devraient point du tout prier, quoiqu'ils en aient plus de besoins que les justes, ce qui est une erreur condamnée par l'Église, et, ainsi, il ne faudrait jamais conseiller à un pécheur de dire son chapelet ou son Rosaire parce qu'il lui serait inutile ; 2 parce que, si avec la volonté de demeurer dans le péché, et sans aucune intention d'en sortir, on s'enrôlait dans une confrérie de la Sainte Vierge, ou on récitait le chapelet, le Rosaire ou quelque autre prière, on se rendrait du nombre des faux dévots de la Sainte Vierge, et dévots présomptueux et impénitents, qui, sous le manteau de la Sainte Vierge, avec le scapulaire sur leur corps ou le Rosaire à la main, crient : Sainte Vierge, bonne Vierge, je vous salue, Marie, et cependant crucifient et déchirent cruellement Jésus-Christ par leurs péchés et tombent malheureusement, du milieu des plus saintes confréries de la Sainte Vierge, dans le milieu des flammes de l'enfer.
Nous conseillons le saint Rosaire à tout le monde : aux justes pour persévérer et croître dans la grâce de Dieu, et aux pécheurs pour sortir de leurs péchés. Mais à Dieu ne plaise que nous exhortions un pécheur à faire du manteau de la protection de la Sainte Vierge, un manteau de damnation pour voiler ses crimes, et à changer le Rosaire, qui est un remède à tous maux, en un poison mortel et funeste. Corruptio optimi pessima. Il faut être un ange en pureté, dit le savant Hugues, cardinal, pour approcher de la Sainte Vierge et réciter la Salutation angélique. Elle fit un jour voir à un impudique, qui récitait le saint Rosaire régulièrement tous les jours, de beaux fruits dans un vaisseau souillé d'ordures ; il en eut horreur, et elle lui dit : « Voilà comme tu me sers, tu me présentes de belles roses dans un vaisseau sale et corrompu. Juge si je puis les avoir agréables ».
Il ne suffit pas, pour bien prier, d'exprimer nos demandes par la plus excellente de toutes les manières d'oraison qui est le Rosaire, mais il faut encore y apporter une grande attention, car Dieu écoute plutôt la voix du cœur que celle de la bouche. Prier Dieu avec des distractions volontaires serait une grande irrévérence, qui rendrait nos Rosaires infructueux et nous remplirait de péchés. Comment ose-t-on demander à Dieu qu'il nous écoute, si nous ne nous écoutons pas nous-mêmes, et si, pendant que nous prions cette redoutable majesté qui fait tout trembler, nous nous arrêtions volontairement à courir après un papillon ? C'est éloigner de soi la bénédiction de ce grand Seigneur et la changer dans la malédiction portée contre ceux qui font l'œuvre de Dieu négligemment : Maledictus qui facit opus Dei negligenter (Jr 48,10).
Vous ne pouvez pas, à la vérité, réciter votre Rosaire sans avoir quelques distractions involontaires ; il est même bien difficile de dire un Ave Maria sans que votre imagination toujours remuante ne vous ôte quelque chose de votre attention ; mais vous pouvez le réciter sans distractions volontaires, et vous devez prendre toutes sortes de moyens pour diminuer les involontaires et fixer votre imagination. À cet effet, mettez-vous en la présence de Dieu, croyez que Dieu et sa sainte Mère vous regardent, que votre bon Ange à votre main droite prend vos Ave Maria comme autant de roses, s'ils sont bien dits, pour en faire une couronne à Jésus et à Marie, et qu'au contraire, le démon est à votre gauche et rôde autour de vous, pour dévorer vos Ave Maria et les marquer sur son livre de mort, s'ils ne sont pas dits avec attention, dévotion et modestie ; surtout, ne manquez pas de faire les offrandes des dizaines en l'honneur des mystères, et de vous représenter, dans l'imagination, Notre-Seigneur et sa sainte Mère dans le mystère que vous honorez.
S'il faut que vous combattiez pendant tout votre Rosaire, contre les distractions qui vous viennent, combattez vaillamment les armes au poing, c'est-à-dire en continuant votre Rosaire, quoique sans aucun goût ni consolation sensible : c'est un terrible combat, mais salutaire à l'âme fidèle. Si vous mettez les armes bas, c'est-à-dire si vous quittez votre Rosaire, vous êtes vaincu, et pour lors, le diable, comme vainqueur de votre fermeté, vous laissera en paix et vous reprochera au jour du jugement votre pusillanimité et infidélité. « Qui fidelis est in minimo et in majori fidelis est : Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera aussi dans les plus grandes » (Lc 16,10) Celui qui est fidèle à rejeter les plus petites distractions à la moindre partie de ses prières, sera aussi fidèle dans les plus grandes. Rien n'est si sûr, puisque le Saint-Esprit l'a dit. Courage donc, bon serviteur et servante fidèle à Jésus-Christ et à la Sainte Vierge, qui avez pris la résolution de dire votre Rosaire tous les jours. Que la multitude des mouches (j'appelle ainsi les distractions qui vous font la guerre pendant que vous priez) ne soit pas capable de vous faire lâchement quitter la compagnie de Jésus et de Marie, dans laquelle vous êtes en disant votre Rosaire. Je mettrai ci-après des moyens de diminuer les distractions.
De toutes les manières de réciter le saint Rosaire, la plus glorieuse à Dieu, la plus salutaire à l'âme et la plus terrible au diable, c'est de le psalmodier ou réciter publiquement à deux chœurs. Dieu aime les assemblées. Tous les anges et les bienheureux assemblés dans le ciel y chantent incessamment ses louanges. Les justes assemblés en plusieurs communautés sur la terre y prient en commun jour et nuit. Notre-Seigneur a expressément conseillé cette pratique à ses apôtres et disciples, et leur promit que toutes les fois qu'ils seraient au moins deux ou trois assemblés en son nom, il se trouverait au milieu de ceux qui sont assemblés pour prier en son mon et réciter sa même prière. Quel bonheur d'avoir Jésus-Christ en sa compagnie ! Pour le posséder, il ne faut que s'assembler pour dire le chapelet. C'est la raison pourquoi les premiers chrétiens s'assemblaient si souvent pour prier ensemble, malgré les persécutions des empereurs, qui leur défendaient les assemblées. Ils aimaient mieux s'exposer à la mort que de manquer à s'assembler pour avoir la compagnie de Jésus-Christ.
Cette manière de prier est plus salutaire à l'âme : 1 parce que l'esprit est ordinairement plus attentif dans une prière publique que dans une particulière ; 2 quand on prie en commun, les prières de chaque particulier deviennent communes à toute l'assemblée et ne font toutes ensemble qu'une même prière, en sorte que, si quelque particulier ne prie pas si bien, un autre dans l'assemblée qui prie mieux supplée à son défaut. Le fort supporte le faible, le fervent embrase le tiède, le riche enrichit le pauvre, le mauvais passe parmi le bon. Comment vendre une mesure d'ivraie ? Il ne faut pour cet effet que la mêler avec quatre ou cinq boisseaux de bon blé ; le tout est vendu. 3 Une personne qui récite son chapelet toute seule n'a que le mérite d'un chapelet ; mais si elle le dit avec trente personnes, elle a le mérite de trente chapelets. Ce sont les lois de la prière publique. Quel gain ! quel avantage ! 4 Urbain huitième, étant fort satisfait de la dévotion du saint Rosaire qu'on récitait à deux chœurs, en plusieurs lieux de Rome, particulièrement au couvent de la Minerve, donna cent jours d'indulgences toutes les fois qu'on le réciterait à deux chœurs : Toties quoties. Ce sont les termes de son bref qui commence : Ad perpetuum rei memoriam, an 1626. Ainsi, toutes les fois qu'on dit le chapelet en commun, on gagne cent jours d'indulgences. 5 C'est que cette prière publique est plus puissante, pour apaiser la colère de Dieu et attirer sa miséricorde, que la prière particulière, et l'Église, conduite par le Saint-Esprit, s'en est servie dans tous les temps de calamités et de misères publiques. Le pape Grégoire 13 déclare, par sa bulle, qu'il faut pieusement croire que les prières publiques et processions des confrères du saint Rosaire avaient beaucoup contribué à obtenir de Dieu la grande victoire que les chrétiens gagnèrent au golfe de Lépante sur l'armée navale des Turcs, le 1er dimanche d'octobre en 1571.
Enfin le Rosaire récité en commun est bien plus terrible au démon, puisqu'on fait, par ce moyen, un corps d'armée pour l'attaquer. Il triomphe quelquefois fort facilement de la prière d'un particulier, mais si elle est unie à celle des autres, il n'en peut venir à bout que difficilement. Il est aisé de rompre une houssine toute seule ; mais si vous l'unissez avec plusieurs autres et en faites un faisceau, on ne peut plus la rompre. « Vis unita fit fortior ». Les soldats s'assemblent en corps d'armée pour battre leurs ennemis ; les méchants s'assemblent souvent pour faire leurs débauches et leurs danses ; les démons même s'assemblent pour nous perdre ; pourquoi donc les chrétiens ne s'assembleront-ils pas pour avoir la compagnie de Jésus-Christ, pour apaiser la colère de Dieu, pour attirer sa grâce et sa miséricorde, et pour vaincre et terrasser plus puissamment les démons ? Cher confrère du Rosaire, si vous demeurez à la ville ou à la campagne, auprès de l'église de la paroisse ou d'une chapelle, allez-y au moins tous les soirs, avec permission de monsieur le recteur de ladite paroisse, et là en compagnie de tous ceux qui voudront y venir réciter le chapelet à deux chœurs ; faites la même chose dans votre maison ou celle d'un particulier du village, si vous n'avez pas la commodité de l'église ou de la chapelle.
Extrait : "Le Rosaire de la Très Sainte Vierge"
Le Rosaire proprement dit, c'est-à-dire cet ensemble de prières composé de quinze oraisons dominicales, de cent cinquante salutations angéliques. En y ajoutant la méditation des principaux mystères de la vie de Jésus-Christ notre Sauveur et de sa divine Mère Marie, ne fut jamais en usage avant Saint Dominique. Ce fait est affirmé, entre autres, par saint Antoine, archevêque de Florence, qui dit que la Sainte Vierge elle-même l'enseigna an saint Patriarche comme une manière de prier très agréable à elle et à son divin Fils. Et comme une arme très puissante pour combattre les hérésies, déraciner les vices, et faire fleurir les vertus ; pour obtenir les secours et la miséricorde de Dieu, et défendre l'Église contre ses ennemis. Cette vérité est encore confirmée par le silence de tous les écrivains qui traitèrent de l'histoire de l'Église, avant saint Dominique, sans faire mention du Rosaire dans aucun de leurs écrits. Presque tous les écrivains postérieurs au XIIe siècle partagent cette opinion. Et ce qui la prouve mieux que tout le reste, c'est que les Souverains Pontifes, comme Léon X, Adrien VI, Clément VII, Paul III, Jules III, Paul IV, Pie IV et enfin le grand et immortel Pie V, ce glorieux ornement de l'Ordre de Saint-Dominique, font remonter à ce Saint l'origine de la dévotion du Rosaire. Après le témoignage de tant de Pontifes et d'écrivains célèbres, il n'y a plus lieu de douter que le Rosaire n'ait été introduit pour la première fois et promulgué par le fondateur de l'Ordre des Frères Prêcheurs.
Mais voyons brièvement quel mal cette sainte pratique était destinée à combattre.
Au XIIe siècle, l'Église se trouvait en butte aux plus violentes attaques d'une hérésie nouvelle, celle des Albigeois, qui était composée des plus monstrueuses erreurs. Cette hérésie naquit dans le comté de la malheureuse Toulouse et grandit en peu de temps au point d'envahir plus de mille cités. La corruption des hommes, surtout dans les lieux qui servaient de repaire à ce monstre, était arrivée à son comble. L'empire du mal s'étendait presque partout ; l'avarice, le mensonge, la dissolution, le délire insensé, en un mot, tout le cortège des vices recouvrait la face de la terre, au point qu'on pouvait s'écrier avec le prophète Osée : « qu'il n'y avait plus ni vérité ni miséricorde dans l'univers ; que le monde était submergé par la malice et que tous les hommes qui se conformaient à son esprit étaient tombés dans la corruption et dans l'abomination. » Quel fut le salutaire remède à tant de maux ? ce fut le Très-Saint Rosaire : en voici la raison :
Le Juge suprême et éternel ne pouvant plus supporter un tel excès d'iniquités avait déjà tendu l'arc de sa colère, et armé son bras tout puissant de trois dards terribles ; déjà il était sur le point de les lancer pour détruire une seconde fois la race humaine, qui s'était souillée de toutes sortes d'iniquités. C'est dans cette attitude qu'il apparut à saint Dominique, pendant que, selon sa coutume, il se tenait en prière et déplorait amèrement les malheurs qui ravageaient le monde catholique. Tout à coup le Saint voit la très Sainte Vierge se jeter aux genoux de Jésus et lui dire : « mon Fils, daignez ne pas oublier votre ancienne pitié et votre miséricorde ; vous ne voulez pas la mort des pécheurs, mais qu'ils se convertissent et qu'ils vivent. Eh bien moi, moi-même, je ramènerai les coupables à la pénitence, les hérétiques et les infidèles à la foi ; Moi, moi-même je réformerai le monde, au moyen d'une dévotion que j'enseignerai à votre fidèle serviteur Dominique ; celui-là, ô mon Fils, est le plus grand zélateur de votre gloire ; celui-là est l'ami le plus fervent de la splendeur de votre maison : envoyez-le aux nations, mon Rosaire à la main, et bientôt vous verrez les mœurs réformées, les hérésies extirpées et la superstition païenne abolie. » Après ces paroles, la Mère de Dieu se releva et se tourna vers Dominique en lui disant : « Voilà mon Rosaire, prends-le, va le prêcher partout et il deviendra un remède prompt et efficace contre tous les maux (...) » « Ainsi, disait Marie au Saint inconsolable, ainsi, avec mon Rosaire tu abattras l'erreur, tu mettras le vice en fuite, et tu rappelleras sur la terre le beau chœur des aimables vertus. Avec lui tu raviveras la foi, tu réveilleras l'espérance des fidèles attiédis, et tu ranimeras l'amour de Dieu qui est comme éteint dans le Christianisme. Avec lui, tu feras refleurir la mortification des sens, la piété dans les âmes, la pureté dans les cœurs, et parmi des hommes grossiers et terrestres, tu feras renaître des mœurs toutes célestes. Pour tout dire en un mot, mon Rosaire sera un remède prompt et efficace à tant de maux (...). » Dominique obéit, prend le Rosaire et, comme un autre Mathathias, se remet en campagne tout rempli d'une sainte ardeur, s'écriant d'une voix inspirée : que celui qui se sent du zèle pour l'honneur de Dieu aujourd'hui si méprisé et pour la splendeur ternie de sa maison, s'unisse à moi, me suive, et je saurai faire cesser le triomphe des ennemis de la foi et de la piété. Voilà l'arme irrésistible que vient de me fournir cette puissante Vierge tant outragée par les impies. Nous combattrons avec elle la perfidie des hérétiques et la malice des pécheurs, et bientôt vous les verrez vaincus et convertis. En parlant ainsi, Dominique lève son bras muni de cette arme céleste, commence le combat contre les uns et contre les autres, les pousse, les cerne et les presse. Aux discussions et aux conférences, il ajoute la prédication du Rosaire. II explique aux peuples les mystères de l'Homme-Dieu et les gloires ineffables de sa divine Mère. Comme le retentissement des trompettes sacrées des lévites fit écrouler en un instant les superbes murailles de Jéricho, ainsi le son merveilleux de cette prière divine terrassa l'hérésie sacrilège des Albigeois et détruisit pleinement le tyrannique empire de Satan, même dans les cœurs les plus impies et les plus rebelles. En effet, comme s'exprime l'oracle du Vatican, les chrétiens, enflammés par la méditation des mystères, et par cette nouvelle manière de prier, commencèrent à voir les ténèbres infernales se dissiper ; et ce changement fut si prodigieux, que, dans les lieux où l'hérésie se montrait d'abord escortée par des populations entières, elle se vit bientôt après abandonnée par plus de cent mille de ses partisans ; et le vice fut attaqué avec un tel succès, qu'il ne trouva bientôt plus que quelques rares adeptes qui voulussent lui donner retraite, là où, peu auparavant, il avait commandé en maître dans chaque maison. Ô force ! ô vertu ! ô puissance du Rosaire ! Et quel est le chrétien qui, au souvenir de ces merveilles, ne se sent poussé et pressé d'embrasser cette dévotion et de le réciter dévotement chaque jour, pour louer et vénérer par lui la puissante Reine des Cieux, Marie qui daigna faire connaître à Dominique ce moyen souverainement efficace pour réformer le monde ? Mais, si vous désirez vraiment, chrétien, mon frère, voir se renouveler en vous les étonnants et prodigieux effets qui se manifestèrent au temps du Patriarche Dominique, vous devez le réciter avec dévotion et ferveur, et surtout, il est nécessaire que vous appliquiez un peu votre esprit à la méditation des mystères, pour en retirer de grands fruits d'humilité, de patience, de pénitence et de généreux détachement des choses d'ici-bas. Ainsi ont fait les chrétiens du temps de Dominique, et ainsi devez-vous faire, si vous voulez avec le Rosaire déjouer les dangereux artifices du démon, dompter vos passions désordonnées et attirer sur vous la divine miséricorde.
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Le chapelet ("petit chapeau", "petite couronne") quant à lui se compose d'une série de Mystères seulement, définis selon les jours de la semaine :
- Mystères joyeux : lundi et jeudi.
- Mystères douloureux : mardi et vendredi.
- Mystères glorieux : mercredi, samedi et dimanche.
Nous estimons que le Saint Rosaire est le moyen le plus efficace et le meilleur pour obtenir l'aide maternelle de la Vierge. (Pie XII, Pape - Encyclique Ingruentium malorum, 1951)
Donnez-moi une armée qui récite le chapelet et je ferai la conquête du monde. De toutes les prières, le rosaire est la plus belle et la plus riche en grâces, celle qui plaît le plus à la très Sainte Vierge Marie. Aimez-donc le rosaire et récitez le avec piété tous les jours ; c'est le testament que je vous laisse afin qu'il vous fasse souvenir de moi. (Saint Pie X)
Donnez-moi une armée qui récite le chapelet et je ferai la conquête du monde. De toutes les prières, le rosaire est la plus belle et la plus riche en grâces, celle qui plaît le plus à la très Sainte Vierge Marie. Aimez-donc le rosaire et récitez le avec piété tous les jours ; c'est le testament que je vous laisse afin qu'il vous fasse souvenir de moi. (Saint Pie X)
Le Rosaire est le fouet du démon. (Adrien VI)
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