L'inspiration de Saint Matthieu (Le Caravage) |
Extrait de "Le discernement des esprits" du P. Jean-Baptiste Scaramelli :
CE QU'ON ENTEND PAR ESPRITS ET COMBIEN ON EN COMPTE DE SORTES
L'apôtre S. Jean nous avertit de ne pas nous lier trop aisément au premier esprit venu, mais d'examiner tout d'abord avec grand soin si cet esprit vient de Dieu ou s'il a une cause différente et mauvaise : Ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les esprits, s'ils sont de Dieu.
S. Augustin expliquant ces paroles prévoit qu'un de ses auditeurs lui fait cette remarque : Je voudrais bien éprouver les esprits si j'étais sûr de ne pas me tromper. Car si je ne sais pas reconnaître les esprits qui viennent de Dieu, je serai surpris par ceux qui n'en viennent pas et je serai séduit. Que faire pour ne pas errer ? Cet auditeur ne savait pas que l'Écriture sainte, les Pères, les Docteurs et les Saints nous fournissent des règles pour reconnaître les esprits qui viennent de Dieu et ceux qui n'en viennent pas. Le bon discernement des esprits consiste dans la sage application de ces règles. Nous nous efforcerons de faire cette sage application dans le cours de ce livre.
Mais il n'est pas possible de comprendre en quoi consiste le discernement des esprits et comment les directeurs des âmes peuvent l'acquérir, si l'on ne sait pas ce qu'il faut entendre par esprits. Ce mot a plusieurs acceptions. Il s'applique à Dieu, à la troisième Personne de la très Sainte Trinité, à tous les anges, bons ou mauvais, et aux âmes douées de raison. Il s'applique encore dans l'Écriture aux choses matérielles, comme l'air agité par le vent : Il fit venir un vent (adduxit spiritum) sur la terre, et les eaux diminuèrent ; à certaines dispositions de l'âme : Elle n'avait plus son esprit, comme, on le dit de la reine de Saba, surprise et émue de la magnificence de la cour de Salomon. Les médecins se servent du mot esprit pour désigner de petits corps légers, subtils et invisibles qui, circulant dans tous les membres de notre corps, donnent de l'aisance à leurs mouvements et de l'activité a leurs fonctions. Dieu, les anges, l'âme et ces différentes choses sont appelés esprits : mais ce ne sont pas de ces esprits dont nous parlons présentement. Ici, nous entendons par esprits une impulsion, un mouvement ou une inclination intérieure de notre âme vers quelque chose qui, quant à l'entendement, est vrai ou faux, et quant à la volonté est bon ou mauvais. Ainsi, si quelqu'un est porté à mentir, nous disons qu'il a l'esprit de mensonge ; s'il est porté intérieurement à mortifier son corps, nous disons qu'il a l'esprit de pénitence ; s'il est incliné à s'élever au-dessus des autres, nous disons qu'il a l'esprit d'orgueil ; s'il est dominé par une certaine envie de paraître bon, beau, spirituel aux yeux du public, nous disons qu'il a l'esprit de vanité, ou de vaine gloire. Or cette impulsion interne vers des choses tantôt vicieuses ou vertueuses, tantôt fausses ou véritables, consiste en deux actes dont l'un appartient à l'intelligence : c'est celui par lequel nous nous sentons inclinés à croire ou à rejeter ce qui est vrai ou faux ; l'autre appartient à la volonté et nous porte à embrasser ou à repousser ce qui est bon ou mauvais. C'est précisément cette disposition de l'intelligence et ce mouvement de la volonté que nous appelons esprits. Si le mouvement de la volonté se porte vers un objet mauvais, on le qualifie mauvais esprit ; si c'est vers un objet bon, il est dit bon esprit. Il en est de même pour l'intelligence ; si elle est portée à croire le vrai, nous la disons poussée par l'esprit droit ; si elle est poussée à croire le faux, elle est dite dominée par l'esprit mauvais.
C'est pour cela que le Sauveur, reprenant Jacques et Jean qui, indignés contre la ville de Samarie, voulaient faire descendre le feu du ciel sur elle et la réduire en cendres, leur dit : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. C'est-à-dire, vous ne savez pas encore quelles doivent être les inclinations de votre cœur ; mes disciples ne doivent pas être si ardents et si enclins à punir ; mais ils sont portés à la mansuétude, à la douceur et au pardon. L'Apôtre des Gentils, parlant de lui-même aux fidèles de Corinthe, dit : Pour nous, nous n'avons point reçu l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui est de Dieu. C'est-à-dire : je n'ai pas reçu ces connaissances et ces affections vaines que le monde sait si bien communiquer, mais les connaissances surnaturelles et les pieux sentiments que Dieu donne. Enfin le disciple bien-aimé, en nous avertissant de ne pas ajouter foi à toutes sortes d'esprits, n'a-t-il pas voulu nous signifier que nous ne soyons pas faciles à tenir pour bonnes toutes les suggestions de l'intelligence, ni toutes les inclinations de la volonté que nous découvrons, soit en nous, soit chez les autres ? Il faut donc conclure que l'esprit dont nous parlons n'est qu'une impulsion, une excitation, un mouvement intérieur qui nous porte à croire ou à rejeter, à faire ou à omettre telle ou telle chose, et que cet esprit est bon ou mauvais suivant l'impulsion qu'il imprime à notre intelligence ou à notre volonté.
S. Bernard compte six sortes d'esprits qui peuvent donner une impulsion à l'homme dans ses opérations : « Mais parce qu'il y a différentes sortes d'esprits, il nous faut de toute nécessité en faire le discernement, d'autant plus que nous avons appris de l'apôtre qu'il ne faut pas croire à tout esprit ». Puis, descendant au détail, il fait connaître par l'autorité de la Sainte Écriture quels sont ces esprits. Le premier est l'esprit divin qui parle au cœur, selon cette parole du saint roi David : J'écouterai ce que dira au-dedans de moi le Seigneur Dieu. Le second est l'esprit angélique qui, lui aussi, parle au-dedans de nous, comme le prophète Zacharie l'avoue pour l'avoir éprouvé : Et voilà que l'ange qui parlait en moi. Le troisième est l'esprit diabolique auquel Dieu permet de suggérer bien des pensées mauvaises, comme l'atteste le Prophète Roi : L'indignation, la colère, et la tribulation envoyées par des anges mauvais. Le quatrième est l'esprit de la chair, par lequel plusieurs sont dominés, ainsi que l'assure l'Apôtre : Vainement enflé des pensées de sa chair. Le cinquième est l'esprit du monde dont l'Apôtre se sentait exempt : Pour nous, nous n'avons point reçu l'esprit de ce monde. Le sixième est l'esprit humain, dont parle l'Apôtre quand il dit que l'homme en est lui-même un témoin, puisqu'il le sent au-dedans de lui : Qui des hommes sait ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l’homme qui est en lui ?
L'esprit divin est un mouvement intérieur qui nous incline toujours vers ce qui est vrai et nous éloigne de ce qui est faux, nous pousse au bien et nous retire du mal. C'est pourquoi il est toujours saint. Ce mouvement, Dieu l'imprime parfois directement et par lui-même, en répandant dans notre âme une clarté céleste propre à la réveiller et en louchant notre cœur par de saintes affections. D'autres fois, il se sert de l'intermédiaire des anges. Alors, l'esprit est dit angélique. Dieu a assigné des anges à notre garde afin qu'ils allument dans nos cœurs l'amour de la vertu, l'horreur des vices et nous reprennent de nos excès, en un mot pour qu'ils engendrent dans nos cœurs l'esprit de droiture : Et l'ange qui parlait en moi revint, dit le prophète Zacharie, et me réveilla comme un homme qu'on réveille de son sommeil. Ce réveil fait par la main des anges est l'esprit angélique.
L'esprit diabolique est une impulsion ou un mouvement intérieur qui nous porte toujours vers ce qui est faux ou mauvais et nous éloigne du bien. À cause de cela, il est toujours mauvais. Le démon est la cause de ces mouvements dépravés, il les suscite ou par lui-même ou par l'intermédiaire de la chair et du monde qui sont ses satellites, comme le dit S. Bernard « Ce sont là, les deux satellites du malicieux prince des ténèbres. Par son esprit méchant, il domine l'esprit de la chair et celui du monde. » L'esprit de la chair, dit encore S. Bernard, est en nous un penchant vers les plaisirs des sens, qu'il s'agisse du palais, du tact, de la vue, de l'ouïe, ou de l'odorat : « Toutes les fois qu'une pensée charnelle vient, comme il arrive souvent, agiter et importuner notre esprit, par exemple au sujet du boire et du manger, du dormir ou de tout autre soin que réclame le corps, et allume en nous un désir bien naturel, il est indubitable que c'est l'esprit de la chair qui parle. » L'esprit du monde est une propension interne vers l'ambition, les honneurs, la gloire, les places, les dignités, les biens et les richesses. C'est pourquoi le saint docteur continue ainsi « Mais, lorsque dans notre cœur, il se rencontre une pensée vaine, non de volupté charnelle, mais d'ambition mondaine, de suffisance, de hauteur, ou autre de ce genre, c'est l'esprit du monde qui parle et qu'il faut repousser avec d'autant plus de soin qu'il s'agit d'un ennemi plus dangereux. » Après avoir dit que quand nous nous sentons portés aux plaisirs, aux honneurs et aux richesses, le démon opère en nous en s'aidant de ses deux perfides compagnons, la chair et le monde, le doux et pieux docteur ajoute que quand nous éprouvons intérieurement des mouvements d'indignation, d'impatience, d'envie, d'inquiétude, de défiance, de rancune et d'amertume à l'égard du prochain, c'est le malin esprit qui opère directement et par lui-même : « Parfois, lorsque ses deux satellites ont été mis en fuite, le prince lui-même s'irrite et se dresse contre nous, comme un lion rugissant. Il provoque en nous, non la volupté de la chair ou la vanité du siècle, mais des mouvements de colère, d'impatience, d'envie, d'amertume ; il nous les suggère sans motif sérieux, à l'occasion d'une parole, d'un acte peu sympathique ou peu discret. Le moindre signe, le moindre mouvement lui suffisent pour nous inspirer des sentiments de colère ou des soupçons. »
Enfin l'esprit humain est une inclination de notre nature corrompue par le péché originel vers les choses qui favorisent le bien-être du corps. Notre nature, quand elle est mue par Dieu et par les anges, se porte au bien ; elle penche vers le mal quand le démon ou ses satellites l'y provoquent ; laissée à elle-même, elle incline vers des choses qui flattent le corps et qui d'ordinaire ne sont pas bonnes. Or, cette incitation naturelle que nous éprouvons en nous, c'est l'esprit humain qui règne au-dedans de nous. S. Bernard dit que c'est l'esprit le plus mauvais, parce qu'il nous pénètre et qu'avec lui nous nous louions nous-mêmes. C'est pour cela qu'il conclut ainsi : « Il suit de là que de toutes ces impulsions, la principale vient de l'homme ; car il peut tomber de lui-même sans une impulsion extérieure, et celle-ci ne peut le faire tomber sans lui. Quelle est donc l'impulsion qui exige le plus de résistance ? C'est sans doute celle qui, plus fâcheuse, suffit à abattre l'homme intérieur et sans laquelle les autres ne peuvent rien. »
Mais remarquez que ces six esprits peuvent aisément et doivent même se réduire à trois, l'esprit angélique revient à l'esprit divin, puisque les anges n'opèrent en nous qu'au nom de Dieu. L’esprit de la chair et celui du monde reviennent à l'esprit diabolique, puisque c'est par la chair et le monde, ses deux satellites, que le démon a coutume de nous attaquer et d'infiltrer dans nos âmes son esprit venimeux. Tous les esprits se réduisent donc a trois : l'esprit divin, l'esprit diabolique et l'esprit humain, c'est pourquoi Cassien dit « Voilà ce qu'il nous faut savoir avant tout : que nos pensées peuvent avoir une triple origine et venir de Dieu, ou du démon, ou de nous. » Ainsi parlent communément les ascétiques et les mystiques, et c'est ainsi que nous parlerons dans la suite du présent traité.
COMMENT SE FORMENT EN NOUS L'ESPRIT DIVIN, L'ESPRIT DIABOLIQUE, ET L'ESPRIT HUMAIN
Nous avons montré que les causes ou principes des trois esprits, divin, diabolique et humain, sont Dieu, le démon et notre nature contaminée par le péché d'Adam. Il nous reste maintenant à faire connaître comment chacune de ces trois causes opère en nous pour nous communiquer son propre esprit. Commençons par Dieu, et rappelons-nous que pour accomplir des actes vertueux et saints (qu'ils appartiennent à l'intelligence ou à la volonté), il ne suffit pas d'avoir acquis par la grâce sanctifiante une existence en quelque sorte divine et d'avoir reçu l'habitude infuse des vertus théologales et morales, ni même d'avoir été enrichi des dons les plus précieux du Saint-Esprit. II faut de plus, et de toute nécessité, les secours actuels de la grâce divine qui ne sont autre chose que certaines lumières qui nous persuadent le vrai, nous montrent combien la vertu est aimable et le vice détestable, et certains mouvements intérieurs qui nous font aimer la vertu et abhorrer le vice. Car, de même que pour accomplir les actes naturels, il ne suffit pas d'avoir reçu la nature humaine avec ses sens et ses puissances capables d'agir, mais qu'il nous faut de plus les esprits vitaux qui, se répandant dans nos membres, disposent nos puissances à accomplir promptement leurs opérations ; de même, pour faire les actes surhumains et divins, il ne suffit pas d'avoir participé à la nature divine par toutes les vertus, les puissances et les dons surnaturels ; mais il faut les secours de la grâce actuelle qui, à la façon des esprits vitaux, donnent de la vigueur à la volonté pour faire le bien. Les animaux mystérieux que vit avec étonnement Ézéchiel, avaient des mains, des pieds et même des ailes, et cependant il leur fallait pour marcher une impulsion interne qui les poussât vers le but de leur voyage : « La où était l'impétuosité de l'esprit, là ils allaient. » Ainsi, pour faire des actes saints, les vertus et les dons infus, qui sont comme des pieds et des ailes pour aller à Dieu, ne sont pas suffisants. Il est requis davantage ; il faut que Dieu, par les secours de sa lumière et de ses pieuses affections, nous pousse au bien. Le lecteur a donc compris que Dieu engendre son esprit en nous, en nous donnant ses grâces actuelles, puisque c'est dans les lumières qu'il répand sur nous et dans les bons mouvements qu'il donne à notre cœur que consistent ces inclinations au bien, cette horreur du mal que nous appelons l'esprit divin, ainsi que nous l'avons montré dans le chapitre précédent. Et, parce que Dieu nous éclaire et nous meut par lui-même ou par ses anges, il s'ensuit que nous recevons l'esprit divin de lui immédiatement ou par l'intermédiaire des anges.
Voyons maintenant, comment le démon nous infiltre son esprit diabolique, venin pestiféré qui donne la mort à une quantité innombrable d'âmes. Je veux d'abord faire quelques remarques nécessaires en cette matière. On peut supposer que dans la chute des anges rebelles, tous ne furent pas précipités dans les abîmes, ou que, si tous y furent précipités, un bon nombre en sont sortis et se trouvent dans l'air qui entoure la terre et qui forme notre atmosphère. Or, ils y sont en si grand nombre que s'ils avaient un corps, ils obscurciraient le soleil en plein midi, ainsi que le dit Bellarmin. Haymon, s'appuyant sur les philosophes et les docteurs, dit que les atomes répandus dans l'air ont une densité moindre que celle des démons qui y circulent en cherchant à nous nuire. Leur occupation est de tenter les hommes sans relâche, soit en les portant au mal, soit en les détournant du bien. Un emploi aussi méchant leur vient, comme le dit S. Thomas, de l'envie qu'ils nous portent et de l'orgueil qui les tient révoltés contre Dieu : « Ces attaques proviennent, à proprement parler, de la malice des démons qui, par jalousie, s'efforcent d'entraver tout progrès chez l'homme et qui, par orgueil, simulent la puissance divine, en choisissant ceux d'entre eux qui doivent attaquer les hommes, tout comme les anges sont choisis par Dieu pour remplir les différents ministères qui ont pour but de nous sauver. » Pleins d'envie, ils ne peuvent pas souffrir que nous occupions un jour les places glorieuses dont ils ont été justement chassés. Pleins d'orgueil, ils veulent se rendre semblables à Dieu. Comme Dieu a confié à ses anges la garde des villes, des États et de tous leurs habitants, ainsi les malins esprits députent des démons particuliers qui veillent à la perte des provinces, des États, des villes de la terre et de chacun des hommes qui y résident. De sorte que, comme le dit Albert-le-Grand, suivi en cela par la plupart des théologiens, nous avons tous à côté de nous un démon qui veille à notre ruine.
Cela étant, pour comprendre comment se forme en nous l'esprit diabolique, il n'y a qu'à saisir la manière dont se forment les tentations du démon. Les démons, qui nous environnent en si grand nombre, pénètrent dans notre cerveau dont l'entrée ne leur est pas interdite, et, par l'impulsion qu'ils donnent aux esprits, ils produisent tantôt des ressemblances d'objets trompeurs, tantôt des imaginations de choses illicites, et les combinent de manière que ces objets nous soient présentés comme très convenables et nous excitent à nous y attacher. En outre, ils pénètrent le sens interne où réside l'appétit sensitif et, par l'agitation de ces mêmes esprits et de leurs humeurs, ils éveillent des affections déréglées pour ces objets et allument des passions criminelles. Ces pensées, tantôt fausses, tantôt mauvaises, et ces affections perverses sont précisément les propensions, les penchants, les tendances vers le mal que nous appelons l'esprit diabolique. Mais remarquez, selon la doctrine de S. Bernard, que, quand le démon nous attaque directement, il introduit toujours dans nos âmes un esprit d'amertume, parce qu'alors il excite des pensées troubles, des affections inquiètes, des agitations pénibles, la méfiance, le découragement, le désespoir, l'envie, la haine, la rancune, l'ennui et la mélancolie, autant de sources de tourments ; tandis que quand il charge par ses deux satellites, la chair et le monde, il nous injecte toujours un esprit doux, mais flatteur et faux ; parce que, dans ce cas, il éveille dans notre esprit des apparences et des désirs agréables de plaisirs, d'honneurs, de prééminences, de faste et de richesses, faisant miroiter devant nos yeux une fausse félicité qui, ensuite, finira par une infortune temporelle et éternelle : « La suggestion elle-même, dit le saint docteur, fera connaître quel est l'esprit qui parle. L'esprit de la chair inspire la mollesse ; celui du monde parle de choses vaines, et l'esprit malin parle toujours avec amertume. »
Enfin, pour bien comprendre comment notre nature corrompue par le péché originel produit en nous l'esprit humain, il faut se rappeler ce qu'était la nature humaine avant le péché d'Adam et ce qu'elle est actuellement. Avant que notre malheureux père tombât dans cette célèbre faute, la concupiscence obéissait humblement à la raison et ne pouvait se soulever tumultueusement contre l'empire de la volonté ; parce qu'en vertu du grand don de l'intégrité qu'elle possédait alors, les pensées étaient bien réglées, les humeurs corporelles et les passions bien ordonnées et soumises aux ordres de la raison. Mais par le péché d'Adam, notre nature reçut une blessure mortelle ; elle perdit les dons de la grâce, spécialement celui de la justice originelle et de l'intégrité, et elle demeura grandement affaiblie dans l'ordre naturel. C'est depuis lors que notre intelligence est obscurcie, que notre imagination est devenue volage et notre volonté languissante et faible. La concupiscence déliée commença à se soulever avec toutes les passions contre la volonté et contre la raison, et à ne plus vouloir endurcir le frein ni souffrir le commandement. Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, malheureux que nous sommes, et voila comment notre nature toute bouleversée incline vers les choses amies de la chair, du monde et du démon. Or, ces attraits et ces mouvements, le plus souvent défectueux, en tant que provenant de notre nature, s'appellent l'esprit humain.
À cause de cela, dit S. Bernard, il n'est pas facile de discerner si les mouvements intérieurs de notre esprit proviennent de la nature humaine ou du démon, de la chair, du monde conjurés pour nous perdre. Notre nature corrompue inclinant vers les objets que lui présentent ses trois grands ennemis, il ne paraît pas possible de connaître si la cause de ces mouvements défectueux vient de sa propre corruption ou de leur instigation « Or, à mon avis, il n'est pas aisé de discerner quand notre esprit parle de lui-même, ou quand il subit l'influence de quelqu'un des trois autres. » Le saint docteur dit ensuite qu'un pareil discernement a peu d'importance, parce que ces impulsions ayant un même objet et étant toutes également dangereuses et nuisibles, elles doivent être toutes rejetées avec soin : « Mais, qu'importe que ce soit l'un ou l'autre, si en définitive ils disent tous la même chose ? À quoi sert-il de connaître celui qui parle, pourvu que l'on sache ce qu'il y a de dangereux dans ce qu'il dit ? Si c'est un ennemi, résistez-lui avec fermeté ; si c'est votre esprit, reprenez-le et déplorez avec grande pitié de le voir réduit à une telle misère et à une si pitoyable servitude.
Cependant, comme en certains cas il peut être utile à la bonne direction des âmes de savoir d'où proviennent ces mauvais mouvements, si c'est de la nature au-dedans, ou du démon au-dehors, j'indiquerai ici les diverses conjectures que l'on peut faire à ce sujet. Ce qui vient de nous et de notre nature, nous le concevons spontanément et nous l'abandonnons de même ; mais ce qui nous est suggéré du dehors par nos ennemis s'imprime en nous avec force et nous ne pouvons pas aisément en empêcher les progrès, parce que c'est un autre qui opère en nous, malgré notre résistance. En outre, les impulsions de la nature ont d'ordinaire quelque cause connaturelle qui les éveille, mais les suggestions du démon naissent le plus souvent à l'improviste, sans aucune raison, ou par de légères occasions. Quelques-uns ajoutent d'autres conjectures. Si la tentation a eu pour principe des pensées mauvaises ou des imaginations dépravées éveillées sans aucune raison ou par des causes insignifiantes, ce sera un signe que la tentation a le démon pour auteur ; car, dans ce cas, on voit bien qu'une cause naturelle fait défaut et ne peut exciter un pareil incendie. Mais si la tentation commence par la révolte des sens et vient ensuite à exciter dans notre esprit des pensées criminelles, il conviendra d'en accuser la commotion naturelle des humeurs et des esprits, et, conséquemment, la dépravation de notre nature encline au mal. C'est d'après cette règle que S. Philippe de Néri découvrit qu'une tentation impure lui avait été suggérée par l'ennemi infernal, qui s'était montré à lui près de l'amphithéâtre de Rome sous les apparences d'un pauvre. Ils ajoutent aussi que si la personne tentée a recours à Dieu au temps de ses tentations et qu'elles s'évanouissent, c'est un signe qu'elles viennent du démon ; parce que nos ennemis craignent fort la prière fervente et dévote, et quand ils nous voient avec cette arme à la main prompts à la défense, ils perdent courage et se retirent. Mais si après avoir eu recours à une prière fervente, la tentation ne cesse pas, c'est un indice qu'elle est née en nous par la fragilité de la nature ; puisque Dieu, ne voulant pas employer des moyens extraordinaires, aide notre volonté afin qu'elle résiste, et qu'il laisse la nature suivre son cours. En un mot, que le directeur observe comment les tentations sont venues et comment elles se sont prolongées, et il aura assez de lumières pour en reconnaître les auteurs ; parce que, en réalité, certains mouvements violents, imprévus, obstinés et que rien de sérieux n'occasionne, n'ont pas d'ordinaire pour origine la nature dont le propre est de procéder avec plus de calme et naturellement dans ses mouvements, même quand ils sont déréglés. Sans doute ces règles ne sont pas infaillibles : mais cependant, avec un long maniement des âmes, le directeur peut parvenir par leur moyen à connaître de quels principes proviennent certaines impulsions criminelles dont les âmes souffrent. En se servant à propos de ces données, il peut appliquer à ces âmes les remèdes appropriés à leur besoin.
Le lecteur remarquera que bien que j'aie mis l'essence des esprits dans les mouvements actuels internes que nous avons l'habitude d'éprouver, et que j'aie constitué d'après la diversité de ces mouvements la diversité des esprits, on a aussi coutume d'appliquer le nom d'esprits aux causes et principes de ces mouvements. Ainsi, non seulement on donne le nom d'esprit divin à l'impulsion sainte que l'homme éprouve en lui-même, mais on le donne encore à Dieu en tant qu'il met cette incitation dans le cœur de l'homme ; on donne le nom d'esprit diabolique à l'instigation au mal que nous subissons quelquefois intérieurement, mais on appelle aussi esprit diabolique le diable en tant qu'il donne ses méchants coups d'aiguillon dans nos cœurs. Il en est de même pour l'esprit humain.
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