dimanche 8 septembre 2019

Discours sur la Naissance de Marie



Extrait de "Les Gloires de Marie" de Saint Alphonse de Liguori :





Marie est née Sainte et grande Sainte, parce que la grâce dont Dieu l'enrichit dès le commencement fut grande, et que Marie correspondit aussitôt avec une grande fidélité.


Les hommes ont coutume de célébrer par des marques de joie et d'allégresse le jour de la naissance de leurs enfants, mais ils devraient bien plutôt se livrer à la douleur, puisqu'ils naissent non-seulement privés de mérite et de raison, mais encore infectés du péché, enfants de colère, et par conséquent condamnés aux misères et à la mort. Mais quand il s'agit de la Nativité de la Sainte Vierge, il est bien juste de la célébrer par des réjouissances et des louanges publiques et solennelles, puisque Marie naquit enfant, il est vrai, mais grande en mérites et en vertus. Marie naquit Sainte et grande Sainte. Pour comprendre quel fut le degré de sainteté qu'elle posséda en naissant, considérons : 1° Combien fut grande la première grâce dont Dieu enrichit. Marie : 2° Combien fut grande la fidélité avec laquelle Marie y correspondit aussitôt.

1er Point. La première grâce dont Dieu enrichît Marie fut grande, puisqu'il est certain que Marie fut l'âme la plus belle qu'il ait jamais créée ; bien plus, il est certain, qu'après l'incarnation du Verbe « cette œuvre fut la plus grande et la plus digne de Dieu qu'il ait faite en ce monde, » dit S. Pierre Damien. Ainsi la grâce ne descendit pas en Marie goutte à goutte, comme dans les autres Saints, mais (Ps. 71. 6) selon la prophétie de David, l'âme de Marie fut comme une toison « (S. Basile) qui reçut toute l'abondante pluie de la grâce, sans en perdre une goutte. » Marie le déclare elle-même dans l'Ecclésiastique : Je possède pleinement ce que les autres Saints ne possèdent qu'en partie. (Eccli. 24. 16) S. Vincent Ferrier dit « qu'avant la naissance de Marie, sa sainteté surpassa celle de tous les Saints et de tous les Anges réunis. » Ce sentiment est prouvé par le Père Pèpe, dans son excellent ouvrage intitulé : des Grandeurs de Jésus et de Marie ; et il assure que cette opinion si glorieuse pour la Vierge est aujourd'hui commune et certaine auprès des Théologiens modernes, entre autres Cartagena, Suarez, Spinelli, Recupito, Guerra, etc., qui l'ont examinée mûrement, et plus que les anciens docteurs. Il rapporte que la Mère de Dieu envoya le Père Guttièrez remercier de sa part le Père Suarez d'avoir si bien défendu cette opinion très probable, laquelle, comme l'atteste aussi le Père Segnery dans son Opuscule sur Marie, fut dans la suite soutenue unanimement par l'académie de Salamanque.
Or, puisque ce sentiment est commun et certain, pourquoi ne trouvera-t-on pas beaucoup plus probable le nôtre , que Marie, dès le premier instant de son Immaculée Conception, reçut cette grâce supérieure à la grâce de tous les Saints et de tous les Anges réunis ? Ce sentiment est vivement soutenu par le Père Suarez, Spinelli, Recupito et de la Colombière ; mais, outre l'autorité des Théologiens, deux raisons fortes et convaincantes le démontrent. La première, c'est que Marie fut choisie de Dieu pour être la Mère du Verbe ; le bienheureux Denys le Chartreux en conclut qu'ayant été établie dans un ordre supérieur à toutes les créatures, puisque la dignité de Mère de Dieu, dit Suarez, appartient en quelque sorte à l'ordre de l'union hypostatique ; la Vierge dut être dès le commencement de sa vie enrichie de dons d'un ordre tellement supérieur, qu'ils surpassent incomparablement les dons accordés aux autres créatures. En effet, on ne saurait douter qu'au même temps où la personne du Verbe éternel fut dans les décrets de Dieu prédestinée pour se faire homme, la Mère qui devait lui donner l'existence humaine ait aussi été désignée, et cette Mère fut précisément Marie. Or, S. Thomas nous apprend que le Seigneur donne à chacun une grâce proportionnée à la dignité à laquelle il le destine (S. Thom. 3. p. q. 27. a. 5. ad. I). S. Paul l'avait dit avant lui (I. Cor. 3. 6), en déclarant que les Apôtres reçurent de Dieu des dons proportionnés au grand ministère pour lequel ils furent choisis. S. Bernardin de Sienne ajoute que, « (Serm. 10. a. 2. c. 1) quand une personne est choisie de Dieu pour un état de vie, elle reçoit de lui, non-seulement les dispositions nécessaires à cet état, mais encore tout ce qu'il faut pour l'exercer dignement. » Or, « (S. Thom. 3. p. q. 27. a. 4) puisque Marie fut élue pour être Mère de Dieu, il convenait bien que Dieu l'ornât dès le premier instant d'une grâce immense et d'un ordre supérieur à celui de la grâce de tous les autres hommes et des Anges, car la grâce devait en elle correspondre à la dignité immense et très haute à laquelle Dieu l'élevait, » comme le concluent tous les Théologiens avec S. Thomas. Ainsi « (Idem. a. 5. ad. 2) Marie, avant d'être Mère de Dieu, fut ornée d'une Sainteté si parfaite, qu'elle la rendit propre à cette dignité, » dit ce saint docteur.
David a dit que les fondements de la Cité de Dieu, qui est Marie , devaient être établis sur le sommet des montagnes. (Ps. 86. 1. et 5) C'est-à-dire, que le commencement de sa vie devait être plus élevé en sainteté que les dernières années des Saints les plus consommés en Sainteté. David en donne pour raison que Dieu devait s'incarner dans son sein virginal, homonatus est in eâ. Ainsi, il convenait que Dieu donnât à cette Vierge, dès l'instant qu'il la créa, une grâce correspondante à la dignité de Dieu.
C'est encore là ce qu'a voulu nous faire entendre Isaïe (c. 2. v. 2), quand il dit que, « dans les temps futurs devait s'élever la montagne de la maison du Seigneur (c'est-à-dire la sainte Vierge), sur le sommet de toutes les autres montagnes, et que toutes les nations y devaient  accourir pour recevoir les divines miséricordes. » S. Grégoire l'explique de Marie : « (l. 1. in. Reg. c. 1) C'est la montagne que Dieu a voulu choisir pour sa demeure. » Voilà pourquoi Marie fut appelée cyprès de la montagne de Sion : cèdre, mais cèdre du Liban : olive, mais olive spécieuse : élue comme le soleil ; parce que de même que le soleil par sa lumière surpasse tellement les étoiles en clarté qu'elles disparaissent devant lui, « (S. Pierre Damien, Serm. de Ass.) de même la Vierge Mère du Sauveur surpasse en sainteté toute la cour céleste. » Marie fut si élevée en sainteté, dit S. Bernard, « qu'il ne convenait ; point à Dieu d'avoir une autre Mère que Marie , et qu'il ne convenait point à Marie d'avoir un autre Fils que Dieu. »
La seconde raison par laquelle on prouve que Marie , dès le premier instant de sa vie, fut plus sainte que tous les Saints réunis , se fonde sur le grand office de Médiatrice des hommes, qu'elle eut dès le commencement. Cette qualité demandait qu'elle possédât dès lors plus de grâces, que tous les hommes ensemble. Tous les Théologiens et les saints Pères s'accordent à donner à Marie ce titre de Médiatrice, par la raison que par sa puissante intercession et par son mérite de congruo (de convenance), elle a obtenu le salut à tous les hommes, en procurant au monde perdu le bienfait signalé de la Rédemption. Je dis, mérite de convenance, parce que Jésus-Christ seul est notre Médiateur par voie de justice, et par le mérite de condignité (de condigno), comme parle l'école, il a offert ses mérites au Père éternel, qui les a acceptés pour notre salut. Mais MARIE n'est Médiatrice de grâce, que par voie de simple intercession, et du mérite de convenance, parce qu'elle a offert à Dieu, disent les Théologiens avec S. Bonaventure, ses mérites pour le salut de tous les hommes ; et Dieu, par sa grâce, les a acceptés avec les mérites de JÉSUS-CHRIST, selon S. Arnauld et Richard de Saint Victor (c. 26. in Cant) : de sorte que tout bien, tout don de vie éternelle que chaque Saint a reçu de Dieu, lui a été accordé par le moyen de Marie.
Voilà précisément ce que veut nous faire entendre l'Église, quand elle applique à Marie ces passages de l'Ecclésiastique : « En moi toute grâce de voie et de vérité. En moi toute espérance de vie et de vertu. Je suis la Mère du pur amour, de la crainte, de la science, de la sainte espérance. (Eccli. 24. 24. etc.) » c'est-à-dire, que par Marie se dispensent toutes les grâces à ceux qui sont encore dans la voie, sur la terre ; par Marie se donne la lumière de la vérité : par Marie nous espérons obtenir la vie de grâce sur la terre, celle de la gloire dans le ciel : par le moyen de Marie on acquiert les vertus, et notamment les vertus théologales, qui sont les vertus principales des Saints : Marie par son intercession obtient à ses serviteurs les dons du pur amour, de la lumière céleste, et de la sainte confiance. Saint Bernard eu conclut, que « (Ep. 174) l'Église croit et nous enseigne que Marie est la médiatrice universelle de notre salut. »
C'est pourquoi Saint Sophrone, Patriarche de Jérusalem, assure que « (Serm. de Ass.) l'Archange Gabriel appela Marie pleine de grâce, parce que, dit ce Saint, la grâce a été donnée avec limites à tous les autres, mais à Marie elle a été donnée tout entière, » « (S. Basil.) afin qu'elle pût ensuite être la digne médiatrice entre Dieu et les hommes. » « (S. Laurent Justinien, Serm. de Ann.) Si la sainte Vierge n'eût pas été remplie de la divine grâce, comment aurait-elle pu être l'échelle du Paradis, l'avocate du monde, et la vraie médiatrice des hommes avec Dieu ? »
Reprenons cet argument. Puisque Marie, dès le commencement, en sa qualité de Mère destinée au Rédempteur, reçut l'office de Médiatrice de tous les hommes, et par conséquent de tous les Saints, il fut bien nécessaire qu'elle eût dès le commencement une grâce plus grande que tous les Saints pour lesquels elle devait intercéder. Je m'explique : puisque la médiation de Marie devait rendre tous les hommes agréables à Dieu, il fallut bien que MARIE fût plus sainte et plus agréable à Dieu que tous les hommes ensemble ; sans cela, comment aurait-elle pu intercéder pour eux ? Pour qu'un intercesseur obtienne du Prince grâce pour tous les vassaux, il est absolument nécessaire qu'il soit plus cher à son Prince que tous les autres vassaux. Ainsi, « (S. Ans. de Exc. V. c. II) Marie mérita d'être faite la digne réparatrice du monde perdu, parce qu'elle fut la plus sainte et la plus pure de toutes les créatures. »
MARIE fut, il est vrai, la Médiatrice des hommes, dira-t-on ; mais comment peut-on l'appeler la Médiatrice des anges ? Plusieurs Théologiens prétendent que Jésus-Christ mérita la grâce de la persévérance aux anges ; ainsi, comme Jésus a été leur médiateur de condigno, de même Marie peut s'appeler leur médiatrice de congruo, puisqu'elle a par ses prières accéléré la venue du Rédempteur : du moins comme elle a mérité de congruo de devenir la Mère du Messie, elle mérita aussi aux anges la réparation des places perdues par les démons. Ainsi elle leur mérita du moins cette gloire accidentelle. C'est ce qu'ont dit Richard de Saint Victor, et Saint Anselme (Ricc. de S. V. in Cant. 4 ; S. Ans. de Exc. Virg. c. II).

Concluons donc que Marie, soit comme médiatrice des hommes, soit comme destinée à être la Mère du Rédempteur, reçut dès le premier instant de sa vie une grâce plus grande que celle de tous les Saints réunis. Qu'il dut être grand aux yeux du ciel et de la terre le spectacle de la belle âme de cette enfant si privilégiée dans le sein même de sa Mère! Elle était aux yeux de Dieu la plus aimable des créatures, comme déjà comblée de grâces et de mérites ; elle était plus remplie d'amour pour Dieu que toute autre créature qui jusqu'alors eût jamais existé ; de sorte que si la Vierge fût née immédiatement après son immaculée conception, elle serait déjà venue au monde plus riche en mérites et plus sainte que tous les Saints réunis. À une si grande sainteté ajoutons encore ce qu'elle acquit de mérites pendant les neuf mois qu'elle demeura dans le sein de sa Mère, et jugeons quel fut le degré de sa sainteté, quand elle vint au monde. Considérons maintenant combien fut grande la fidélité avec laquelle Marie correspondit aussitôt à la grâce divine.

2e Point. Ce n'est pas une simple opinion, dit le Père de la Colombière, mais c'est l'opinion de tout le monde, que Marie, en recevant la grâce sanctifiante dans le sein de sa Mère, reçut en même temps l'usage de la raison avec une grande lumière divine correspondante à la grâce dont elle fut enrichie. Nous pouvons donc croire que dès le premier instant que sa belle âme fut unie à son corps très pur, elle fut éclairée de toutes les lumières de la divine sagesse, pour connaître les vérités éternelles, la beauté des vertus, surtout l'infinie bonté de son Dieu, qui méritait d'être aimé de tout le monde, mais plus particulièrement de MARIE, à raison des privilèges singuliers dont il l'avait favorisée et distinguée du reste des créatures, en la préservant de la tache du péché originel, eu la destinant à être la Mère du Verbe et la Reine de l'univers.
Dès ce premier instant, MARIE, pleine de reconnaissance envers son Dieu, commença à faire valoir ce trésor de grâces qu'elle avait reçu ; elle s'appliqua tout entière à plaire à Dieu et à l'aimer ; elle l'aima dès lors de toutes ses forces, continua de l'aimer ainsi pendant les neuf mois qu'elle vécut avant de naître, et ne cessa pas un instant de s'unir toujours plus à Dieu par de ferventes actes d'amour. Exempte de la tache originelle, elle était aussi dégagée de tout attachement à la terre, de tout mouvement déréglé, de toute distraction, de toute rébellion des sens qui eussent pu l'empêcher de s'avancer toujours plus dans l'amour divin ; tous ses sens d'accord avec son esprit se portaient vers Dieu, et sa belle âme, libre de tout obstacle, ne cessait de voler vers Dieu, de l'aimer et de croître dans cet amour. Voilà pourquoi elle fut comparée au Platane élevé le long des eaux (Eccli. 29. 19), puisqu'elle fut cette digne plante de Dieu qui s'accrut toujours arrosée du courant des grâces divines. Elle s'appela aussi du nom de Vigne (Eccli. 24. 23), non-seulement parce qu'elle fut si humble aux yeux du monde, mais encore, parce que, semblable à la vigne qui croît toujours, selon le proverbe, jusqu'à la hauteur de l'arbre auquel elle s'attache, Marie avança toujours dans la perfection, et fut toujours unie à son Dieu, qui était son unique soutien ; car c'est de Marie que parle l'Esprit-Saint (Cant. 5), et Saint Ambroise l'explique en disant : « Quelle est celle qui s'avance appuyée sur le Verbe de Dieu, comme un Cep de vigne se soutient et s'élève en s'attachant à un grand arbre ? »
Plusieurs Théologiens très estimés disent que l'âme qui possède une habitude de vertus, si elle correspond toujours fidèlement aux grâces actuelles qu'elle reçoit de Dieu, ne cesse de produire un acte égal en intensité à l'habitude qu'elle a ; de sorte qu'elle acquiert chaque fois un nouveau et double mérite, égal à la masse de tous les mérites acquis jusqu'alors. Cette augmentation fut, dit-on, accordée aux anges, quand ils étaient dans la voie, or, si elle lut accordée aux anges, qui pourra jamais dire qu'elle ait été refusée à la Mère de Dieu, tandis qu'elle vécut sur la terre, mais spécialement dans le temps dont je parle, où elle demeura dans le sein de sa mère, temps auquel elle fut certainement plus fidèle que les anges à correspondre à la grâce? Marie donc pendant tout ce temps redoubla à chaque instant cette grâce prodigieuse qu'elle reçut avec l'être ; parce qu'y correspondant parfaitement et de toutes ses forces à chaque acte qu'elle faisait, elle redoublait par conséquent ses mérites à chaque instant. Si donc au premier instant elle eut mille degrés de grâce, elle en eut 2 mille au second, 4 mille au troisième, 8 mille au quatrième, 16 mille au cinquième, 32 mille au sixième, ainsi de suite, non pendant un jour, ni une semaine seulement ; mais pendant neuf mois entiers. Comptez, si vous le pouvez, ces grâces multipliées, et voyez quels trésors de grâces, de mérites et de sainteté Marie apporta au monde le jour de sa naissance.
Réjouissons-nous donc avec elle de ce qu'elle est née si sainte, si chère à Dieu, et comblée de tant de grâces. Réjouissons-nous pour elle, et aussi pour nous, puisqu'elle vient au monde pleine de grâce, non-seulement pour sa propre gloire, mais aussi pour notre avantage. S. Thomas remarque dans l'opuscule 4, que Marie fut pleine de grâce en trois manières. D'abord elle fut pleine de grâce dans l'âme, tellement que dès qu'elle exista, sa belle âme fut tout entière à Dieu. En second lieu, elle fut si remplie de grâce en son corps, que de sa chair très pure elle mérita de revêtir le Verbe éternel. Troisièmement, elle en fut remplie pour l'avantage de tous les hommes, c'est-à-dire, afin que tous pussent y participer. Quelques Saints ont eu une si grande abondance de grâces, qu'elle suffit pour les sauver eux-mêmes, et plusieurs autres, mais non pas tous les hommes : une telle grâce né fut accordée qu'à Jésus et à Marie, de sorte que, ce que S. Jean dit de Jésus-Christ, nous avons tout reçu de sa plénitude (Joan. 1. 16), les Saints le disent de Marie, selon S. Thomas de Villeneuve. « Il n'est personne, ajoute S. Anselme , qui ne participe à la grâce de Marie. » Quel fut jamais l'homme, qui n'a pas éprouvé les faveurs et les bienfaits de Marie ? Observons toutefois que de Jésus nous recevons la grâce comme de l'auteur de la grâce ; de Marie, comme intermédiaire : de Jésus, comme Sauveur ; de Marie, comme avocate : enfin nous la recevons de Jésus comme de la source, et nous la recevons de Marie, comme du canal par où elle nous vient.
S. Bernard dit que « (Serm. de Aquoed.) Dieu établit Marie comme le canal des miséricordes qu'il voulait dispenser aux hommes, et la remplit de grâces, pour que de sa plénitude elle pût communiquer à chacun sa part ; en conséquence il nous exhorte tous à considérer avec quel amour Dieu veut que nous honorions cette Vierge incomparable, puisque c'est en elle qu'il a mis tout le trésor de ses grâces, afin que tout ce que nous trouverons d'espérance, de grâce et de salut en nous, nous croyions le tenir de Marie et de son intercession, et que nous lui en rendions grâces. » Malheur à l'âme qui se ferme ce canal de grâces, en négligeant de se recommander à la Reine des cieux ! Holopherne voulant se rendre maître de la ville de Béthulie, fit intercepter les aqueducs (Judith. 7. 6) ; c'est aussi ce que fait le démon quand il veut s'emparer d'une âme ; il lui fait abandonner la dévotion envers Marie : ce canal lui étant une fois fermé, elle ne tardera pas à perdre la lumière, la crainte de Dieu, et enfin le salut éternel. On verra dans l'exemple suivant, combien est compatissant le saint Cœur de Marie, et quelle ruine se prépare celui qui abandonne la dévotion envers la Mère de grâce.


Exemple

Trithème Canisius, et autres, rapportent qu'à Magdebourg, en Saxe, un homme nommé Udon avait dans sa jeunesse si peu d'intelligence qu'il était la risée et le jouet de tous ses compagnons. Affligé de son peu de capacité, il alla se jeter aux pieds d'une image de la Vierge, pour se recommander à elle. Marie lui apparut en songe, et lui dit : Je vais te consoler : sache que je ne veux pas seulement t'obtenir de Dieu une habileté qui suffise pour te mettre à couvert du mépris et des avanies ; je veux encore qu'elle te rende l'admiration de tout le monde : je te promets de plus qu'après la mort de l'évêque tu seras élu en sa place. Tout ce que la Vierge lui annonça arriva ; il avança à grands pas dans les sciences, et obtint l'évêché. Elevé à cette dignité, il fut si ingrat envers Dieu et sa généreuse bienfaitrice, qu'ayant abandonné toute dévotion, il devint le scandale de tout le monde. Une nuit qu'il était en compagnie sacrilège, il entendit une voix qui lui dit : C'est assez, Udon, cesse d'offenser ton Dieu : c'est assez. La première fois qu'il entendit ces paroles, il se mit en colère, croyant que c'était un homme, qui les lui disait pour le corriger. Mais elles lui furent répétées deux et trois nuits de suite. Il commença à craindre que ce ne fût une voix du Ciel et continua néanmoins ses dérèglements. Trois mois après que Dieu lui eût donné ces avertissements, toujours inutiles, voici comment le Seigneur le punit. Un pieux chanoine nommé Frédéric, se trouvant le soir dans l'Église de S. Maurice, où il priait le Seigneur de remédier au scandale que donnait le Prélat, entendit tout à coup la porte de l'Église s'ouvrir avec bruit ; plusieurs Saints y entrèrent. Jésus-Christ les suivait accompagné de Marie. Alors le Juge ordonna qu'on produisît le coupable, et c'était le malheureux Udon. S. Maurice demanda justice contre la vie infâme du Prélat, de la part de son peuple qu'il scandalisait. À ces mots ils s'écrièrent tous : Seigneur, il mérite la mort. Qu'on le fasse mourir, dit alors le souverain Juge. Mais avant qu'on exécutât la sentence (voyez quelle est la commisération de Marie), cette Vierge compatissante pour ne pas être présente à cet acte terrible de justice, sortit de l'Église. Ensuite un ministre s'approcha d'Udon, et lui trancha la tête ; après quoi, la vision disparut. L'endroit où s'était passée cette scène épouvantable était obscur. Le chanoine tout tremblant prend une bougie, et va l'allumer à une lampe ; il revient, et voit le corps d'Udon, la tête tranchée, et le pavé tout couvert de sang. Le lendemain, dès qu'il fit jour, et que le peuple fut assemblé dans l'Église, le chanoine rapporta toute la vision et le fait de cette horrible tragédie. Un chapelain d'Udon qui ne savait encore rien de ce qui était arrivé dans l'Église vit le même jour ce malheureux Prélat enseveli dans les abîmes de l'enfer. Son cadavre fut jeté dans un marais, son sang resta sur le pavé, pour servir de monument éternel de la justice divine, et on le tient toujours couvert d'un tapis. Depuis cette époque on découvre ce sang le jour de l'intronisation de chaque nouvel évêque, afin que ce spectacle l'engage à bien vivre, le préserve d'être ingrat, et l'excite à correspondre aux grâces du Seigneur et de sa très sainte Mère.


Prière

Céleste Enfant, vous qui êtes destinée à devenir la Mère de mon Rédempteur et la grande Médiatrice des misérables pécheurs, ayez pitié de moi. Vous voyez à vos pieds encore un ingrat, qui recourt à vous, et qui implore votre protection. Je mériterais, il est vrai, par mes ingratitudes passées, d'être abandonné de vous et de mon Dieu ; mais j'ai toujours ouï dire (et pourrais-je ne le pas croire, en sachant combien est grande votre miséricorde ?), que vous ne rejetez point quiconque se recommande à vous avec confiance. Vous donc, la plus sublime des créatures, puisque Dieu seul est au-dessus de vous, et que les plus grands Saints vous sont inférieurs, vous, ô Sainte des Saints, ô Marie , abîme de grâce, secourez un malheureux qui, par sa faute, a perdu la grâce. Je sais que vous êtes si agréable à Dieu qu'il ne vous refuse rien. Je sais que vous prenez plaisir à soulager les malheureux pécheurs. Ô Marie, montrez combien est grand votre crédit auprès de Dieu, en m'obtenant une lumière et une flamme divine, si puissante, que de pécheur que je suis, elle me change en Saint, et que détachant de la terre toutes mes affections, elle embrase mon cœur du divin amour. Faites-le, ô Marie, puisque vous le pouvez. Faites-le pour l'amour de ce Dieu qui vous a faite si grande, si puissante et si miséricordieuse. Je l'espère fermement. Ainsi soit-il.



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