lundi 25 septembre 2017

Sa Sainteté le Pape Pie XII et la médecine, Discours et Allocutions divers






DISCOURS AUX MEMBRES DE L'UNION

MÉDICO-BIOLOGIQUE SAINT-LUC D'ITALIE


(12 novembre 1944)



Ce discours à l'Union médico-biologique Saint-Luc d'Italie donne au Saint-Père l'occasion de rappeler les grands principes qui doivent diriger l'activité des médecins chrétiens dans la pratique et l'enseignement de la médecine.



Votre présence, chers fils, rappelle à Notre esprit le souvenir d'une scène qui se déroula à Paris en décembre 1804. Dans le grand salon du Louvre, où de nombreuses délégations accouraient rendre hommage au Vicaire du Christ et recevoir sa bénédiction, on présenta au Souverain Pontife Pie VII cinq jeunes médecins — parmi lesquels le célèbre Laënnec — membres de la Congrégation Auxilium christianorum fondée peu d'années auparavant dans cette métropole. Le pape ne put retenir un premier mouvement de surprise : « Oh ! dit-il en souriant, medicus pius, res miranda ! »

Importance et utilité de l'Union médico-biologique

Dans la lourde atmosphère d'une éducation intellectuelle matérialiste, une association comme la vôtre, l'Union italienne médico-biologique Saint-Luc, contribue à faire circuler une sorte de courant d'air pur et salubre ; avant tout, en dirigeant les esprits vers les vérités fondamentales de la saine raison et de la foi dans lesquelles les grandes questions de l'éthique médicale trouvent leurs solutions ; en second lieu, en affirmant et en pratiquant les principes chrétiens dans l'exercice effectif de la médecine et dans la formation des jeunes étudiants.


I. LES GRANDS PRINCIPES DIRECTIFS DE L'ACTIVITÉ DU MÉDECIN CHRÉTIEN

Bien différent de ses confrères en habits de fête qui dans la fameuse Leçon d'anatomie de Rembrandt semblent par-dessus tout soucieux de transmettre leurs traits à la postérité, un de ces personnages attire, au contraire, l'attention de ceux qui le contemplent par la vivacité et la profondeur de son expression. Le visage tendu, retenant sa respiration, il plonge son regard dans l'entaille ouverte, anxieux de lire le secret de ces entrailles, avide d'arracher à la mort les mystères de la vie. Science admirable déjà dans son domaine propre pour tout ce qu'elle révèle, l'anatomie a la vertu d'introduire l'esprit dans des régions encore plus vastes et plus élevées. Il le savait bien, il le sentait bien le grand Morgagni, quand, durant une dissection, laissant tomber de ses mains le bistouri, il s'écria : « Ah ! si je pouvais aimer Dieu comme je le connais ! » Si l'anatomie manifeste la puissance du Créateur dans le travail de la matière, la physiologie pénètre dans les fonctions du magnifique organisme, la biologie y découvre les lois de la vie, ses conditions, ses exigences et ses généreuses libéralités. Arts providentiels, la médecine et la chirurgie appliquent toutes ces sciences à défendre le corps humain, aussi fragile que parfait, à réparer ses pertes, à guérir ses infirmités. En outre, le médecin, plus que les autres, intervient partout, non moins avec son cœur qu'avec son intelligence ; il ne traite pas une matière inerte, si précieuse qu'elle soit ; un homme comme lui, son semblable, son frère, souffre entre ses mains. Bien plus, ce patient n'est pas une créature isolée, c'est une personne qui a sa place et sa fonction dans la famille, sa mission, si humble soit-elle, dans la société. Plus encore, le médecin chrétien ne perd jamais de vue que son malade, son blessé, qui, grâce à ses soins, continuera de vivre un temps plus ou moins long, ou bien en dépit de son dévouement mourra, est en marche vers une vie immortelle et que des dispositions du malade au moment du passage définitif dépend son malheur ou son bonheur éternel.

Règles concernant l'homme considéré isolément

Composé de matière et d'esprit, élément lui-même de l'ordre universel des êtres, l'homme est, en effet, dirigé dans sa course ici-bas vers un terme qui est au-delà du temps, vers une fin qui est au-dessus de la nature.
De cette compénétration de la matière et de l'esprit dans la parfaite unité du composé humain, de cette participation à toute la création visible, il découle que le médecin est souvent appelé à donner des conseils, à prendre des décisions, à formuler les principes qui, tout en visant directement au soin du corps, de ses membres et de ses organes, intéressent cependant l'âme et ses facultés, la destinée surnaturelle de l'homme et sa mission sociale.
Or, faute d'avoir toujours présente à la pensée cette composition de l'homme, sa place et sa fonction dans l'ordre universel des êtres, sa destinée spirituelle et surnaturelle, le médecin encourra facilement le danger de s'embarrasser dans des préjugés plus ou moins matérialistes, d'en suivre les conséquences fatales d'utilitarisme, d'hédonisme, d'indépendance absolue vis-à-vis de la loi morale.
Un capitaine peut fort bien savoir donner des instructions précises sur la façon de manœuvrer les machines et de disposer les voiles pour la navigation ; mais s'il ne connaît pas le but et s'il ne sait pas demander à ses instruments ou aux étoiles qui resplendissent au-dessus de sa tête la position et la route de son navire, où donc le conduira sa course folle ?
Cependant, cette conception de l'être et de sa fin ouvre la voie à de plus hautes considérations.
La complexité de ce composé de matière et d'esprit, comme aussi de cet ordre universel, est telle que l'homme ne peut se diriger vers la fin totale et unique de son être et de sa personnalité que grâce à l'action harmonieuse de ses multiples facultés corporelles et spirituelles, et qu'il ne peut non plus occuper sa place normale ni en s'isolant du reste du monde ni en s'y perdant, comme se perdent dans une agglomération amorphe des myriades de molécules identiques. Or, cette complexité réelle, cette harmonie nécessaire présentent leurs difficultés, dictent au médecin son devoir.
En formant l'homme, Dieu a réglé chacune de ses fonctions ; il les a distribuées parmi les divers organes ; par là même, il a déterminé la distinction entre celles qui sont essentielles à la vie et celles qui n'intéressent que l'intégrité du corps, quelque précieux que puissent être son activité, son bien-être, sa beauté ; en même temps, il a fixé, prescrit et limité l'usage de chaque organe ; il ne peut donc permettre à l'homme de régler la vie et les fonctions de ses organes suivant son bon plaisir, d'une façon contraire aux buts internes et constants qui leur ont été assignés. L'homme, d'autre part, n'est pas le propriétaire, le maître absolu de son corps, il en est seulement l'usufruitier. De là dérivent toute une série de principes et de normes qui règlent l'usage et le droit de disposer des organes et des membres du corps, et qui s'imposent également à l'intéressé et au médecin appelé à le conseiller.

Règles pour la solution des conflits d'intérêt

Les mêmes règles doivent, en outre, être appliquées pour la solution des conflits entre des intérêts divergents, suivant l'échelle des valeurs, en respectant toujours les commandements de Dieu. C'est pourquoi il ne sera jamais permis de sacrifier les intérêts éternels aux biens temporels, même les plus estimables, de même aussi qu'il ne sera pas permis de faire passer ces derniers après les vulgaires caprices et les exigences des passions. En de telles crises, parfois tragiques, le médecin se trouve être bien souvent le conseiller et, pour ainsi dire, l'arbitre qualifié.
Même circonscrits et restreints à la personne elle-même, si complexe dans son unité, les conflits inévitables entre des intérêts divergents font surgir des problèmes assez délicats. Combien plus ardus sont ensuite ceux que la société soulève, quand elle fait valoir des droits sur le corps, sur son intégrité, sur la vie même de l'homme ! Or, il est parfois bien difficile de déterminer en théorie les limites ; dans la pratique, le médecin et toute personne directement intéressée peuvent se voir dans la nécessité d'examiner et d'analyser ces exigences et ces prétentions, de mesurer et d'évaluer leur moralité et la force morale de leur caractère obligatoire.

Société et individu, et leur position juridique différente

Ici également, la raison et la foi tracent les limites entre les droits respectifs de la société et de l'individu. Sans doute, l'homme est, par sa nature, destiné à vivre en société, mais, ainsi que l'enseigne la seule raison, en principe, la société est faite pour l'homme et non l'homme pour la société. Ce n'est pas d'elle, mais du Créateur qu'il détient le droit sur son propre corps et sur sa vie, et c'est au Créateur qu'il répond de l'usage qu'il en fait. Il s'ensuit que la société ne peut directement le priver de ce droit, aussi longtemps qu'il n'aura pas encouru une telle punition, comme sanction d'un crime grave et proportionné à cette peine.
En ce qui concerne le corps, la vie et l'intégrité corporelle de chaque homme, la position juridique de la société est essentiellement différente de celle des individus eux-mêmes. Bien que limité, le pouvoir de l'homme sur ses membres et sur ses organes est un pouvoir direct, parce qu'ils sont partie constitutive de son être physique. Il est clair, en effet, que leur différenciation dans une parfaite unité n'ayant pas d'autre but que le bien de l'organisme physique tout entier, chacun de ces organes et de ces membres peut être sacrifié, s'il met le tout en un péril qu'on ne pourrait conjurer autrement. Bien différent est le cas de la société qui n'est pas un être physique dont les parties seraient les individus, mais une simple communauté de fin et d'action ; à ce titre, elle peut exiger de ceux qui la composent et sont appelés ses membres tous les services qu'exige le véritable bien commun.
Telles sont les bases sur lesquelles doit être fondé tout jugement concernant la valeur morale des actes et des interventions, permis ou imposés par les pouvoirs publics sur le corps humain, sur la vie et l'intégrité de la personne.

La douleur et la mort

Les vérités exposées jusqu'ici peuvent être connues à la seule lumière de la raison. Mais il est une loi fondamentale qui s'offre au regard du médecin plus que des autres, dont le sens intégral et la fin ne peuvent être éclairés et expliqués qu'à la lumière de la Révélation : nous voulons parler de la douleur et de la mort.
Sans doute, la douleur physique a, elle aussi, une fonction naturelle et salutaire : elle est un signal d'alarme qui révèle la naissance et le développement, souvent insidieux, d'un mal occulte et incite à s'en procurer le remède. Mais le médecin rencontre inévitablement la douleur et la mort au cours de ses recherches scientifiques comme un problème dont son esprit ne possède pas la clé, et dans l'exercice de sa profession comme une loi inéluctable et mystérieuse en face de laquelle souvent son art demeure impuissant et sa compassion stérile. Il peut bien établir son diagnostic d'après tous les éléments du laboratoire et de la clinique, formuler son pronostic suivant toutes les exigences de la science ; mais au fond de sa conscience, dans son cœur d'homme et de savant, il sent que l'explication de cette énigme s'obstine à le fuir. Il en souffre ; l'angoisse le tenaille inexorablement, aussi longtemps qu'il ne demande pas à la foi une réponse qui, bien qu'incomplète, telle qu'elle est dans le mystère des desseins de Dieu et se manifestera dans l'éternité, est capable cependant de tranquilliser son âme.
Voici cette réponse. Dieu, en créant l'homme, l'avait par un don de sa grâce exempté de la loi naturelle à laquelle est soumis tout être vivant corporel et sensible ; il n'avait pas voulu mettre dans son destin la douleur
et la mort. C'est le péché qui les y a introduits. Mais lui, le Père des miséricordes, les a pris dans ses mains, il les a fait passer par le corps, les veines, le cœur de son Fils bien-aimé, Dieu comme lui, fait homme pour être le Sauveur du monde. Ainsi la douleur et la mort sont devenues pour chaque homme qui ne repousse pas le Christ des moyens de rédemption et de sanctification. Ainsi, le chemin du genre humain qui se déroule dans toute sa longueur sous le signe de la croix et sous la loi de la douleur et de la mort, en mûrissant et en purifiant l'âme ici-bas, la conduit au bonheur sans limites d'une vie qui n'a pas de fin.
Souffrir, mourir : c'est, pour adopter l'expression hardie de l'Apôtre des gentils, la « folie de Dieu », folie plus sage que toute la sagesse des hommes (cf. 1Co 1, 21 s.). À la pâle lueur de sa faible foi, le pauvre poète a pu chanter : « L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert ».
À la lumière de la Révélation, le pieux auteur de l'Imitation de Jésus-Christ a pu écrire le sublime chapitre XII de son second livre : De regia via sanctae crucis, tout resplendissant de la plus admirable compréhension et de la plus haute sagesse chrétienne de la vie.
En face donc de l'impérieux problème de la douleur, quelle réponse le médecin pourra-t-il se donner à lui-même, donner au malheureux que la maladie abat dans une sombre torpeur ou qui s'insurge dans une vaine rébellion contre la souffrance et la mort ? Seul, un cœur pénétré d'une foi vive et profonde saura trouver des accents d'intime sincérité et conviction, capables de faire accepter la réponse du divin Maître lui-même : « Il est nécessaire de souffrir et de mourir pour entrer ainsi dans la gloire » (cf. Luc, Lc 24, 26, 46). Il luttera en employant tous les moyens et tous les expédients de sa science et de son habileté contre la maladie et la mort ; non avec la résignation d'un pessimisme découragé ni avec la résolution désespérée, qu'une philosophie moderne croit devoir exalter, mais avec la calme sérénité de celui qui voit et qui sait ce que la douleur et la mort représentent dans les desseins salutaires du Sauveur omniscient et infiniment bon et miséricordieux.

La science médicale chrétienne

Il est donc manifeste que la personne du médecin comme toute son activité se meuvent constamment dans l'ambiance de l'ordre moral et sous l'empire de ses lois. Dans aucune déclaration, dans aucun conseil, dans aucune ordonnance, dans aucune intervention, le médecin ne peut se trouver en dehors du terrain de la morale, libéré et indépendant des principes fondamentaux de l'éthique et de la religion ; il n'y a, non plus, aucun acte ni aucune parole dont il ne soit pas responsable devant Dieu et sa propre conscience.
Il est vrai que certains repoussent comme une absurdité et une chimère, en théorie et en pratique, l'idée de science médicale chrétienne. À leur avis, il ne peut pas plus y avoir de médecine chrétienne qu'il n'y a de physique ou de chimie chrétiennes, théoriques ou appliquées : le domaine des sciences exactes et expérimentales — disent-ils — s'étend en dehors du terrain religieux et moral, et c'est pour cela qu'elles ne connaissent ni ne reconnaissent que leurs propres lois constantes. Étrange et injustifié rétrécissement du champ visuel du problème ! Ne voient-ils pas que les objets de ces sciences ne sont pas isolés dans le vide, mais qu'ils font partie du monde universel des êtres ? que ces objets ont dans l'ordre des biens et des valeurs une place et un rang déterminés ? qu'ils sont en contact permanent avec les objets des autres sciences, en particulier qu'ils sont soumis à la loi de la perpétuelle et transcendante finalité qui les relie à un tout ordonné ?
Nous admettons cependant que lorsqu'on parle d'orientation chrétienne de la science, on a en vue non pas tant la science en elle-même que ses représentants et disciples, dans lesquels elle s'épanouit et se manifeste. La physique et la chimie elles-mêmes, que les savants et les professionnels consciencieux font servir au profit et au bénéfice de chaque individu et de la société, peuvent, par contre, devenir entre les mains d'hommes pervers des agents et des instruments de corruption et de ruine. Il est donc d'autant plus clair qu'en médecine l'intérêt suprême de la vérité et du bien s'opposent à une prétendue libération objective ou subjective des multiples rapports et liens qui la maintiennent dans l'ordre général.


II. APPLICATION DES PRINCIPES À LA PRATIQUE ET À L'ENSEIGNEMENT

Mais votre Union des médecins et biologistes chrétiens n'est pas seulement précieuse parce que les doctes discussions qu'on soulève et agite dans son sein, la fidèle adhésion à l'enseignement de l'Église que professent ses membres assurent à chacun d'eux une plus large connaissance, une plus profonde compréhension des vérités fondamentales qui délimitent et dominent le domaine de leurs études et de leur activité. Elle offre aussi un autre avantage : celui de faciliter dans la pratique professionnelle la solution, conformément à la loi morale, de cas particulièrement difficiles.
Il est impossible, dans un bref discours, d'énumérer et de mettre en valeur ces cas particuliers ; d'autre part, dans Notre exhortation de février dernier aux curés et prédicateurs de carême de Rome, Nous avons déjà eu l'occasion d'exposer une série de considérations concernant le Décalogue ; Nous estimons que le médecin catholique lui-même peut en tirer quelques enseignements utiles pour l'exercice de sa profession.

Le commandement de l'amour

Le plus grand de tous les commandements est l'amour : l'amour de Dieu et, comme émanant de lui, l'amour du prochain. Le véritable amour, éclairé par la raison et par la foi, ne rend pas les hommes aveugles, mais plus clairvoyants ; et jamais le médecin catholique ne pourra rencontrer meilleur conseiller que ce véritable amour pour dicter ses avis ou pour entreprendre et mener à bonne fin la guérison d'un malade :
Dilige et fac quod vis, « aime et fais ce que tu veux », cette pensée de saint Augustin — axiome incisif, souvent cité hors de propos — trouve ici sa pleine et légitime application. Quelle récompense ce sera pour le médecin consciencieux d'entendre au jour de l'éternelle rétribution le remerciement du Seigneur : « J'étais malade et vous m'avez visité » (Mt 25,36). Pareil amour n'est pas faible : il ne se prête à aucun diagnostic de complaisance ; il est sourd à toutes les voix des passions qui voudraient se procurer sa complicité ; il est plein de bonté, sans égoïsme, sans colère ; il ne se réjouit pas de l'injustice ; il croit tout, espère tout, supporte tout ; c'est ainsi que l'Apôtre des gentils dépeint la charité chrétienne dans son hymne admirable de l'amour (cf. 1Co 13, 4-7).

L'intelligibilité de la vie humaine

Le cinquième commandement — non occides (Ex 20, 13) — synthèse des devoirs qui regardent la vie et l'intégrité du corps humain, est fécond en enseignements, aussi bien pour le maître qui enseigne du haut d'une chaire universitaire que pour le médecin praticien. Tant qu'un homme n'est pas coupable, sa vie est intangible ; est donc illicite tout acte tendant directement à la détruire, que cette destruction soit comprise comme fin ou comme moyen en vue de cette fin, qu'il s'agisse d'une vie embryonnaire ou dans son plein développement, ou bien déjà arrivée à son terme. Dieu seul est maître de la vie d'un homme qui n'est pas coupable d'une faute entraînant la peine de mort. Le médecin n'a pas le droit de disposer de la vie du petit enfant ni de celle de sa mère ; et nul au monde, aucune personne privée, aucun pouvoir humain ne peuvent l'autoriser à détruire directement cette vie. Sa tâche n'est pas de détruire les vies, mais de les sauver.
Principes fondamentaux et immuables que l'Église, au cours des dernières décennies, s'est vue dans la nécessité de proclamer à plusieurs reprises et avec toute la clarté requise contre les opinions et les méthodes contraires. Dans les réponses et dans les décrets du magistère ecclésiastique, le médecin catholique trouve à cet égard un guide sûr pour son jugement théorique et sa conduite pratique.

La génération et l'éducation des enfants

Cependant, il y a dans l'ordre moral un vaste domaine qui requiert chez le médecin une clarté particulière quant à ses principes et de la sûreté quant à son action : c'est le domaine dans lequel fermentent les mystérieuses énergies mises par Dieu dans l'organisme de l'homme et de la femme pour la procréation de nouvelles vies.
C'est une puissance naturelle dont le Créateur lui-même a déterminé la structure et les formes essentielles d'activité avec une fin précise et des devoirs correspondants qui incombent à l'homme pour tout usage conscient de cette faculté. Le but premier voulu par la nature dans cet usage (auquel les fins secondaires sont essentiellement subordonnées), c'est la propagation de la vie et l'éducation des enfants. Seul le mariage, réglé par Dieu lui-même dans son essence et dans ses propriétés, assure l'une et l'autre fin, autant pour le bien et la dignité de la progéniture que pour ceux des parents. Telle est l'unique règle qui éclaire et régit toute cette délicate matière ; la règle à laquelle dans tous les cas concrets, dans toutes les questions spéciales, il convient de se conformer ; la règle enfin dont la fidèle observance garantit sur ce point la santé morale et physique de chaque homme et de la société.

Funestes transgressions des lois de la nature

Il ne devrait pas être difficile au médecin de comprendre cette constante finalité profondément enracinée dans la nature, pour l'affirmer et l'appliquer avec une intime conviction dans son activité scientifique et pratique.
Bien souvent, c'est à lui plutôt qu'au théologien lui-même qu'on ajoutera foi lorsqu'il préviendra et avertira que quiconque offense et transgresse les lois de la nature aura tôt ou tard à en subir les funestes conséquences dans sa valeur personnelle et dans son intégrité physique et psychique.
Voici le jeune homme qui, sous l'impulsion des passions naissantes, recourt au médecin ; voici les fiancés qui, en vue de leurs noces prochaines, lui demandent des conseils que, plus d'une fois, malheureusement, ils désirent dans un sens contraire à la nature et à l'honnêteté ; voici les conjoints qui viennent chercher auprès de lui lumière et assistance, ou plus encore de la connivence, parce qu'ils prétendent ne pas pouvoir trouver d'autre solution ou d'autre voie de salut dans les conflits de la vie en dehors de l'infraction délibérée aux liens et aux devoirs inhérents à l'usage du mariage. Ils tenteront alors de faire valoir tous les arguments ou prétextes possibles (médicaux, eugéniques, sociaux, moraux) pour induire le médecin à donner un conseil ou à apporter une aide qui permettra la satisfaction de l'instinct naturel, en le privant cependant de la possibilité d'atteindre le but de la force génératrice de vie. Comment pourra-t-il rester ferme en face de tous ces assauts s'il n'a pas, lui non plus, la claire connaissance et la conviction personnelle que le Créateur lui-même a lié, pour le bien du genre humain, l'usage volontaire de ces énergies à leur fin immuable par un lien indissoluble qui n'admet aucun relâchement ni aucune rupture ?

L'obligation de manifester la vérité

Le huitième commandement a également sa place dans la déontologie médicale. En vertu de la loi morale, le mensonge n'est permis à personne ; il y a toutefois des cas où le médecin, même s'il est interrogé, ne peut, tout en ne disant pas pourtant une chose absolument fausse, manifester cruellement toute la vérité, spécialement quand il sait que le malade n'aurait pas la force de la supporter. Mais il y a d'autres cas dans lesquels il a indubitablement le devoir de parler clairement, devoir devant lequel doit céder toute autre considération médicale ou humanitaire. Il n'est pas permis de bercer le malade ou les parents dans une sécurité illusoire, au risque de compromettre ainsi le salut éternel du patient ou l'accomplissement des obligations de justice ou de charité. Serait dans l'erreur celui qui voudrait justifier ou tenir une telle conduite, sous prétexte que le médecin s'exprime toujours de la façon qu'il estime la plus opportune dans l'intérêt personnel du malade, et que c'est la faute des autres s'ils prennent trop à la lettre ses paroles.

Le secret professionnel

Parmi les devoirs qui découlent du huitième commandement, il faut noter aussi l'observance du secret professionnel qui doit servir et sert non seulement à l'intérêt privé, mais plus encore au bien commun. Même dans ce domaine peuvent surgir des conflits entre le bien privé et le bien public, ou entre les divers éléments et aspects du bien public lui-même, conflits dans lesquels il peut être parfois extrêmement difficile de mesurer et de peser justement le pour et le contre parmi les raisons de parler ou de se taire. Dans une telle perplexité, le médecin consciencieux demande aux principes fondamentaux de la morale chrétienne les règles qui l'aideront à s'acheminer dans la bonne voie. Ces règles, en affirmant nettement l'obligation pour le médecin de garder le secret professionnel, surtout dans l'intérêt du bien commun, ne lui reconnaissent pas cependant une valeur absolue ; cela ne serait pas conforme au bien commun lui-même, si ce secret devait être mis au service du crime ou de la fraude.

Formation scientifique du médecin et son constant perfectionnement

Nous ne voudrions pas, enfin, omettre de dire un mot sur l'obligation du médecin, non seulement de posséder une solide culture scientifique, mais encore de continuer toujours à développer et à compléter ses connaissances et ses aptitudes professionnelles. Il s'agit ici d'un devoir moral au sens strict du mot, d'un lien qui lie en conscience devant Dieu, parce qu'il concerne une activité qui touche de près les biens essentiels de l'individu et de la communauté. Il comporte :
— Pour l'étudiant en médecine, au temps de sa formation universitaire, l'obligation de s'appliquer sérieusement à l'étude, en vue d'acquérir les connaissances théoriques requises et l'habileté pratique nécessaire dans leur application.
— Pour le professeur d'université, le devoir d'enseigner et de communiquer aux élèves l'un et l'autre savoir de la meilleure manière, et de ne délivrer à personne un certificat de capacité professionnelle sans s'être au préalable assuré de cette capacité par un examen consciencieux et approfondi.
— Pour le médecin qui exerce déjà sa profession, l'obligation de se tenir au courant du développement et des progrès de la science médicale, au moyen de la lecture d'ouvrages et de revues scientifiques, de la participation à des congrès et à des cours académiques, de conversations avec des confrères et de consultations auprès de professeurs de Facultés de médecine. Cette constante étude de perfectionnement oblige le médecin en exercice, dans la mesure où elle lui est pratiquement possible et pour autant que le demande le bien des malades et de la communauté.

Ce sera un grand honneur pour votre union de prouver par des faits que ses membres non seulement ne le cèdent à personne en science et en habileté professionnelle, mais encore s'y distinguent au premier rang.
Ainsi, elle contribuera efficacement à susciter et à renforcer la confiance dans les principes moraux qu'elle professe ; et il en résultera comme conséquence que tous ceux qui souhaitent des conseils vraiment utiles et sages, une assistance efficace, des soins consciencieux, trouveront dans le fait pour un médecin d'appartenir à votre association une garantie qui ne décevra pas leur attente.
De l'Évangile de saint Luc, Luc, que saint Paul appelle « très cher médecin » (Col 4, 14), a écrit dans son Évangile : « Puis le soleil s'étant couché, tous ceux qui avaient chez eux des malades, quel que fût leur mal, les lui amenèrent, et Jésus, imposant la main à chacun d'eux, les guérit » (Lc 4, 40). Sans posséder une si prodigieuse vertu, le médecin catholique qui est tel que l'exigent sa profession et la vie chrétienne verra toutes les misères chercher auprès de lui un refuge et demander à sa main bienfaisante de s'étendre et de se poser sur elles. Et Dieu bénira sa science et son habileté, afin qu'il puisse en guérir un grand nombre et là où cela ne lui sera pas donné, de procurer au moins aux affligés soulagement et réconfort.

Avec le souhait qu'une grâce si précieuse vous soit abondamment accordée dans votre activité multiple, Nous vous donnons de grand cœur à vous tous ici présents, à vos familles, à tous ceux qui font l'objet de vos vœux et de vos affections, aux malades confiés à vos soins, Notre paternelle Bénédiction apostolique.




ALLOCUTION À UN GROUPE DE MÉDECINS SPÉCIALISTES


30 janvier 1945 (1)



À cent vingt médecins spécialistes appartenant aux nations alliées, le Saint-Père rappelle les devoirs du médecin à l'égard de l'âme de ses malades.

L'exemple du bon Samaritain

Votre présence, Messieurs, Nous remet en mémoire d'une façon saisissante une parabole prononcée, voici presque deux mille ans, par le Christ, le divin Médecin, lorsqu'il cheminait avec tant de bonté au milieu des hommes. C'est l'histoire du bon Samaritain ; elle a été conservée pour la postérité avec son saisissant réalisme dans l'Évangile écrit par saint Luc, qui 'lui-même était médecin. La scène vous est familière à tous.
Une route solitaire, un blessé gisant, abandonné et couvert de sang, au bord de la route, évidemment victime de valeurs qui l'ont dépouillé après une lutte d'une sauvage violence. Le bon Samaritain, se hâtant vers sa demeure, l'aperçoit ; il s'écarte de son chemin, descend de sa monture, va à l'étranger qui souffre, examine avec sympathie ses blessures, y verse doucement de l'huile et du vin pour les laver et les panser, hisse le blessé sur son cheval et le conduit jusqu'à l'auberge la plus proche où il donne des ordres pour qu'on le soigne spécialement. Rien ne doit être épargné pour sa complète guérison.
Le cadre peut différer de par les circonstances communes de votre expérience. Mais l'esprit de dévouement prompt et désintéressé, celui des principes élevés qui inspirent de se sacrifier soi-même dans l'intérêt d'autrui, l'esprit de tendresse et d'amour, c'est ce même esprit qui a caractérisé votre profession à toutes les périodes de l'histoire humaine. L'humanité serait bien à plaindre s'il n'en était pas ainsi.

Il faut respecter dans le malade ses intérêts et sa destinée surnaturels

Car le médecin ne traite pas une matière inerte qui serait sans valeur. Celui qui souffre entre ses mains est une créature humaine, un homme comme lui. Comme lui, ce malade a un devoir à remplir dans une famille où des cœurs aimants l'attendent avec anxiété ; il a une mission à remplir, si humble soit-elle, dans la société humaine. De plus, le souffrant, l'estropié, le fiévreux, a un rendez-vous avec l'éternité ; et quand le dernier souffle quittera son corps, il commencera une vie immortelle dont la joie ou le tourment seront le reflet du succès ou de la faillite devant Dieu de sa mission terrestre. Précieuse créature issue de l'amour de Dieu et de sa toute-puissance !
L'âme et la poussière se sont unies pour former cette image de l'Infini ; elles vivent dans le temps et dans l'espace et pourtant elles sont orientées vers un terme qui les dépasse toutes deux : portion de l'univers créée et destinée cependant à partager la gloire et le bonheur du Créateur ; dès lors, cet homme qui se confie aux soins d'un médecin est quelque chose de plus qu'un amas de nerfs, de tissus, de sang et d'organes. Bien qu'on fasse venir le médecin pour qu'il guérisse le corps, il lui faut souvent donner des conseils, prendre des décisions, formuler des principes qui affectent l'homme au spirituel et ont rapport avec son éternelle destinée. En dernière analyse, c'est l'homme qu'il faut traiter ; un homme fait d'une âme et d'un corps, qui a des intérêts temporels, mais aussi éternels ! Et de même que ses intérêts temporels et ses devoirs envers sa famille et la société ne peuvent être sacrifiés aux fantaisies capricieuses et aux désirs exaspérés de la passion, de même ses intérêts éternels et ses devoirs envers Dieu ne peuvent jamais être subordonnés à la poursuite d'un avantage temporel quel qu'il soit.
« De là, disions-Nous récemment en Nous adressant aux médecins appartenant à l'Union italienne Saint-Luc, de là dérivent toute une série de principes et de normes qui règlent l'usage et le droit de disposer des organes et des membres du corps, et qui s'imposent également à l'intéressé et au médecin appelé à le conseiller. » (2)
Car l'homme n'est pas réellement le propriétaire et le maître absolu de son corps : il en a seulement l'usage et Dieu ne peut lui permettre d'en user de façon contraire aux fins intrinsèques et naturelles qu'il a assignées aux fonctions des différentes parties du corps.
Il est clair alors, comme Nous l'observions à la même occasion, que la profession médicale place bien nettement ceux qui l'exercent dans la sphère de l'ordre moral, afin qu'ils soient dans leur activité toujours dirigés par ses lois. Qu'il s'agisse d'enseigner, de donner un conseil, de prescrire un traitement ou d'appliquer un remède, le médecin ne peut pas franchir la frontière de la loi morale, en se désolidarisant des principes fondamentaux de l'éthique et de la religion. Sa vocation est noble, sublime ; sa responsabilité envers la société est grave ; mais Dieu ne manquera pas de le bénir de ses efforts dévoués et sans limites pour alléger les souffrances de ses frères en humanité sur cette terre, pourvu toutefois qu'il n'échoue pas dans la conquête des joies incomparables du ciel. C'est Notre prière très instante que cette bénédiction vous soit à tous accordée en abondance par la bonté miséricordieuse de Dieu.


Notes

(1) D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VI, p. 297 ; cf. traduction française des Actes de SS Pie XII, t. III, p. 41.
(2) Allocution du 12 novembre 1944 ; cf. Documents Pontificaux 1944, p. 203.





ALLOCUTION À UN GROUPE DE 170 MÉDECINS CHIRURGIENS

DES FORCES ALLIÉES


(13 février 1945)



Nous avons plaisir à vous souhaiter la bienvenue, membres distingués du corps médical de l'armée et à vous dire personnellement Notre satisfaction d'apprendre la tenue de votre congrès ici, à Rome. En dépit des nécessités d'une guerre violente qui ne connaît pas de répit, vous avez jugé possible, pour ne pas dire indispensable, de vous réunir durant quelques jours pour discuter des problèmes de votre profession et perfectionner par cette aide mutuelle les moyens de les résoudre. Cela montre que vous êtes très sensibles au premier devoir de tout médecin, à savoir d'augmenter continuellement sa somme de connaissances et de se tenir parfaitement au courant des progrès scientifiques qui se sont accomplis dans le champ de sa spécialité.

La maladie et la mort


Ce devoir naît immédiatement de la responsabilité du médecin envers l'individu et la communauté. Dieu n'est pas l'auteur de la mort. Ce monstre a réussi à entrer dans le monde par le péché, ce péché originel qui, en éteignant la vie surnaturelle dans l'âme humaine, s'assura aussi une forte prise sur son corps en le privant de ce don de l'immortalité que Dieu avait voulu lui accorder à l'encontre des exigences de la nature.
Et l'homme commença cette lutte plus ou moins continue, plus ou moins vive, contre la faiblesse physique, la douleur, la souffrance et la décomposition qui, s'accusant toujours davantage, marquent les étapes de son chemin, jusqu'à ce qu'il atteigne le point où l'inexorable sentence, suspendue sur toute chair, lui permette de trouver le soulagement béni. Mais dans cette lutte, Dieu n'a pas abandonné la créature de son tout-puissant amour. « Le Très-Haut fait sortir de terre les remèdes, l'homme sensé ne les méprise pas. C'est lui aussi qui donne aux hommes la science pour qu'ils se glorifient de ses œuvres puissantes » (Si 38, 4, 6). Ainsi s'exprime le livre de l'Ecclésiastique et l'écrivain inspiré poursuit : « Mon fils, quand tu es malade, ne te laisse pas aller..., aie recours au médecin, car le Seigneur l'a créé lui aussi, ne l'écarté pas, car tu as besoin de lui... » (Si 38, 9, 12).
Oui, il est indispensable, et le besoin qu'en a l'homme sera la mesure des devoirs du docteur. Combien est élevé, combien digne de tout honneur le caractère de votre profession ! Le médecin a été désigné par Dieu pour satisfaire aux besoins de l'humanité souffrante. Lui qui a créé cet être consumé par la fièvre ou couvert de blessures qui est là entre vos mains, lui qui l'aime d'un amour éternel, il vous confie la tâche ennoblissante de le rendre à la santé.

Charité dévouée et désintéressée du médecin

Vous apporterez dans la chambre du malade et sur la table d'opération quelque chose de la charité de Dieu, de l'amour et de la tendresse du Christ, le Maître médecin de l'âme et du corps.
Cette charité n'est pas un sentiment superficiel et non effectif ; elle n'écrit pas un diagnostic pour plaire ou se faire bien voir ; elle se refuse à considérer aussi bien les séduisants atours de la richesse que le misérable et déplaisant spectacle de la pauvreté et du dénuement ; elle est sourde aux invitations d'une méprisable passion qui chercherait une coopération dans le mal. Car c'est un amour qui embrasse tout l'homme, un frère en humanité dont le corps malade est encore vivifié par une âme immortelle que lient à la volonté de son divin Maître tous les droits dérivant de la création et de la rédemption. Cette volonté est clairement écrite pour ceux qui veulent bien la lire, d'abord dans la fin essentielle que la nature a manifestement attribuée aux organes humains, puis de façon positive, dans le décalogue. Cet amour sincère exclura toute raison, si grave soit-elle, qu'on pourrait alléguer pour autoriser un malade ou un médecin, à faire ou à conseiller quelque chose qui contreviendrait à cette volonté suprême de Dieu.

Dieu, seul maître du corps et de la vie de l'homme

Voilà pourquoi un médecin digne de sa profession, s'élevant jusqu'au sommet du dévouement désintéressé et intrépide à sa noble mission de guérir et de conserver la vie, méprisera toute suggestion qui lui sera faite de détruire la vie, si frêle et si humainement inutile que cette vie puisse paraître, sachant qu'à moins qu'un homme soit coupable de quelque crime méritant la peine de mort, Dieu seul et nul pouvoir terrestre ne peut disposer de la vie. En tant que ministre spécial du Dieu de la nature, le médecin n'encouragera jamais ce qui frustrerait délibérément l'inestimable pouvoir de la nature de transmettre la vie. D'une loyauté sans compromission à l'égard de ces principes et des autres principes fondamentaux de l'éthique et de la morale chrétienne, la profession médicale sera le plus ferme soutien de l'individu et de la société, le plus solide rempart contre les ennemis de l'extérieur et de l'intérieur, un véritable canal de bénédictions terrestres et célestes pour la nation qu'elle honore. L'habileté du médecin l'élèvera à une place éminente au milieu des hommes et en présence des grands on le louera ; les présents du roi lui seront réservés (cf. Si ou Eccli., 38, 2).

Que la bénédiction du Roi des rois descende sur vous, sur tous ceux qui vous sont chers, sur vos bien-aimés pays, et y demeure à jamais ! C'est le souhait et la prière qui montent de Notre cœur plein d'affection paternelle.

PIE XII, Pape.




DISCOURS AUX MÉDECINS NEUROLOGUES


(14 septembre 1952)



Le Pape a reçu 300 membres du premier Congrès international d'histopathologie du système nerveux ; à cette occasion, il a précisé les limites morales des méthodes de recherche et de traitement, notamment en mettant en garde contre « la méthode pansexuelle d'une certaine psychanalyse », le Souverain Pontife a déclaré :

Ce « premier Congrès international d'histopathologie du système nerveux » réussit à dominer une matière vraiment très vaste. Par un exposé et une démonstration approfondie, il fallait placer dans une perspective exacte les causes et les premiers débuts des maladies du système nerveux proprement dit et des maladies qu'on appelle psychiques. Aussi a-t-on présenté un rapport et organisé un échange de vues au sujet des connaissances et découvertes récentes sur les lésions du cerveau et d'autres organes, lésions qui sont l'origine et la cause des maladies nerveuses comme des psychopathies. En fait, il s'agissait de découvertes acquises en partie par des moyens entièrement nouveaux et par de nouvelles méthodes. Le nombre et la provenance des participants et en particulier des rapporteurs montre que les savants de pays et de nations les plus divers ont échangé leurs expériences pour leur enrichissement mutuel et pour servir l'intérêt de la science, l'intérêt du malade individuel, l'intérêt de la communauté.

Vous n'attendrez pas de Nous que Nous traitions des questions médicales qui vous occupent. C'est votre domaine. Vous avez pendant ces jours pris une vue d'ensemble de votre vaste champ de recherches et de travaux. Nous voudrions maintenant — pour répondre au vœu que vous avez vous-mêmes exprimé — attirer votre attention sur les limites de ce champ, non les limites des possibilités médicales, des connaissances médicales théoriques et pratiques, mais les limites des droits et des devoirs moraux. Nous voudrions aussi Nous faire l'interprète de la conscience morale du chercheur, du savant et du praticien, de la conscience morale de l'homme comme du chrétien, qui d'ailleurs suivent ici la même voie.

Dans vos rapports et vos discussions, vous avez entrevu beaucoup de chemins nouveaux, mais il reste une quantité de questions qui ne sont pas encore résolues. L'esprit de recherche, son audace décidée incitent à s'engager sur les routes fraîchement découvertes, à les pousser plus avant, à créer d'autres itinéraires, à rénover les méthodes. Le médecin sérieux et compétent verra souvent avec une sorte d'intuition spontanée la licéité morale de l'action qu'il se propose et il agira selon sa conscience. Mais il se présente aussi des possibilités d'action où il n'a pas cette sécurité, où peut-être il voit ou croit voir avec certitude le contraire, où il doute et oscille entre le oui et le non. L'homme dans le médecin, en ce qu'il a de plus sérieux et de plus profond, ne se contente pas d'examiner au point de vue médical ce qu'il peut tenter et réussir, il veut aussi voir clair dans la question des possibilités et de l'obligation morales. Nous voudrions, en quelques traits, exposer les principes essentiels qui permettent de répondre à cette question. L'application aux cas particuliers, vous la ferez vous-mêmes en tant que médecins, parce que souvent seul le médecin pénètre à fond le donné médical, en soi et ses effets, et parce que sans une connaissance exacte du fait médical il est impossible de déterminer quel principe moral s'applique aux traitements en cause. Le médecin envisage donc l'aspect médical du cas ; le moraliste, les normes morales. Ordinairement, en s'expliquant et en se complétant mutuellement, ces données rendront possible un jugement sûr sur la licéité morale du cas dans sa situation tout à fait concrète.

Pour justifier en morale de nouveaux procédés, de nouvelles tentatives et méthodes de recherche et de traitement médicaux, on invoque surtout trois principes :
1° l'intérêt de la science médicale,
2° l'intérêt individuel du patient à traiter,
3° l'intérêt de la communauté.


I. L'intérêt de la science comme justification de la recherche et de l'emploi de nouvelles méthodes :


La connaissance scientifique a sa valeur propre dans le domaine de la science médicale — non moins qu'en d'autres domaines scientifiques comme, par exemple, en physique, chimie, cosmologie, psychologie, — valeur qu'il ne faut certes pas minimiser et qui s'impose tout à fait indépendamment de l'utilité et de l'utilisation des connaissances acquises. Aussi la connaissance comme telle et la plénitude de la connaissance de toute vérité ne soulèvent-elles aucune objection morale. En vertu du même principe, la recherche et l'acquisition de la vérité en vue de parvenir à une connaissance et à une compréhension nouvelles, plus vastes et plus profondes de cette même vérité, sont en soi d'accord avec l'ordre moral.

Mais cela ne signifie pas que toute méthode, ou même une seule méthode bien déterminée de recherche scientifique et technique, offre toute garantie morale ou plus encore que toute méthode devient licite par le fait même qu'elle accroît et approfondit nos connaissances. Parfois il arrive qu'une méthode ne puisse être mise en œuvre sans léser le droit d'autrui ou sans violer une règle morale de valeur absolue. En ce cas, bien qu'on envisage et qu'on poursuive à bon droit l'accroissement de la connaissance, cette méthode n'est pas moralement admissible. Pourquoi donc ? Parce que la science n'est pas la valeur la plus haute, à laquelle tous les autres ordres de valeurs — ou dans un même ordre de valeurs, toutes les valeurs particulières — seraient soumises. Donc la science elle-même comme aussi sa recherche et son acquisition doivent s'insérer dans l'ordre des valeurs. Ici se dressent des frontières bien définies, que même la science médicale ne peut transgresser sans violer les règles morales supérieures. Les relations de confiance entre médecin et patient, le droit personnel du patient à la vie, physique et spirituelle, dans son intégrité psychique ou morale, voilà, parmi beaucoup d'autres, des valeurs qui dominent l'intérêt scientifique. Cette constatation deviendra plus évidente encore par la suite.

Bien qu'on doive reconnaître dans l'« intérêt de la science » une valeur authentique, que la loi morale ne défend pas à l'homme de garder, d'accroître, d'approfondir, on ne peut cependant pas concéder l'affirmation suivante : « À supposer évidemment que l'intervention du médecin soit déterminée par un intérêt scientifique et qu'il observe les règles professionnelles, il n'y a pas de limites aux méthodes d'accroissement et d'approfondissement de la science médicale ». Même à cette condition-là, on ne peut concéder tout simplement ce principe.


II. L'intérêt du patient comme justification de nouvelles méthodes médicales de recherche et de traitement :


Les considérations de base peuvent ici se formuler de la manière suivante : « Le traitement médical du malade exige telle mesure déterminée. Par le fait même, sa licéité morale est prouvée. » Ou bien : « Telle méthode nouvelle, jusqu'ici négligée ou peu utilisée, donnera des résultats possibles, probables ou certains. Par là même, toutes les considérations éthiques sur la licéité de cette méthode sont dépassées et doivent être traitées comme sans objet. »

Comment ne pas voir que le vrai et le faux sont ici mêlés ? L'« intérêt du patient » fournit en de très nombreux cas la justification morale de la conduite du médecin. La question porte ici encore, sur la valeur absolue de ce principe ; prouve-t-il par lui-même, fait-il en sorte que l'intervention envisagée par la médecine soit conforme à la loi morale ?

D'abord il faut supposer que le médecin, comme personne privée, ne peut prendre aucune mesure, tenter aucune intervention sans le consentement du patient. Le médecin n'a sur le patient que le pouvoir et les droits que celui-ci lui donne, soit explicitement, soit implicitement et tacitement. Le patient, de son côté, ne peut conférer plus de droits qu'il n'en possède. Le point décisif, dans ce débat, c'est la licéité morale du droit qu'a le patient de disposer de lui-même. Ici se dresse la frontière morale de l'action du médecin, qui agit avec le consentement de son patient.

En ce qui concerne le patient, il n'est pas maître absolu de lui-même, de son corps, de son esprit. Il ne peut donc disposer librement de lui-même, comme il lui plaît. Le motif même, pour lequel il agit, n'est à lui seul, ni suffisant ni déterminant. Le patient est lié à la téléologie immanente fixée par la nature. Il possède le droit d'usage, limité par la finalité naturelle, des facultés et des forces de sa nature humaine. Parce qu'il est usufruitier et non propriétaire, il n'a pas un pouvoir illimité de poser des actes de destruction ou de mutilation de caractère anatomique ou fonctionnel. Mais, en vertu du principe de totalité, de son droit d'utiliser les services de l'organisme comme un tout, il peut disposer des parties individuelles pour les détruire ou les mutiler, lorsque et dans la mesure où c'est nécessaire pour le bien de l'être dans son ensemble, pour assurer son existence, ou pour éviter, et, naturellement, pour réparer des dommages graves et durables, qui ne pourraient être autrement ni écartés ni réparés.
Le patient n'a donc pas le droit d'engager son intégrité physique et psychique en des expériences ou recherches médicales, quand ces interventions entraînent avec ou après elles des destructions, mutilations, blessures ou périls sérieux.

En outre, dans la mise en œuvre de son droit à disposer de lui-même, de ses facultés et de ses organes, l'individu doit observer la hiérarchie des ordres de valeurs, et, à l'intérieur d'un même ordre de valeurs, la hiérarchie des biens particuliers, pour autant que les règles de la morale l'exigent. Ainsi, par exemple, l'homme ne peut entreprendre sur soi ou permettre des actes médicaux — physiques ou somatiques — qui sans doute suppriment de lourdes tares ou infirmités physiques ou psychiques, mais entraînent en même temps une abolition permanente ou une diminution considérable et durable de la liberté, c'est-à-dire de la personnalité humaine dans sa fonction typique et caractéristique. On dégrade ainsi l'homme au niveau d'un être purement sensitif aux réflexes acquis ou d'un automate vivant. Un pareil renversement des valeurs, la loi morale ne le supporte pas ; aussi fixe-t-elle ici les limites et les frontières de l'« intérêt médical du patient ».

Voici un autre exemple : pour se délivrer de refoulements, d'inhibitions, de complexes psychiques, l'homme n'est pas libre de réveiller en lui, à des fins thérapeutiques, tous et chacun de ces appétits de la sphère sexuelle, qui s'agitent ou se sont agités en son être, et roulent leurs flots impurs dans son inconscient ou son subconscient. Il ne peut en faire l'objet de ses représentations et de ses désirs pleinement conscients, avec tous les ébranlements et les répercussions qu'entraîne un tel procède. Pour l'homme et le chrétien existe une loi d'intégrité et de pureté personnelles, d'estime personnelle de soi, qui interdit de se plonger aussi totalement dans le monde des représentations et des tendances sexuelles. L'« intérêt médical et psychothérapeutique du patient » trouve ici une limite morale. Il n'est pas prouvé, il est même inexact, que la méthode pansexuelle d'une certaine école de psychanalyse soit une partie intégrante indispensable de toute psychothérapie sérieuse et digne de ce nom ; que le fait d'avoir dans le passé négligé cette méthode ait causé de graves dommages psychiques, des erreurs dans la doctrine et dans les applications en éducation, en psychothérapie et non moins encore dans la pastorale ; qu'il soit urgent de combler cette lacune et d'initier tous ceux qui s'occupent de questions psychiques, aux idées directrices et même, s'il le faut, au maniement pratique de cette technique de la sexualité. (2)

Nous parlons ainsi parce que, aujourd'hui, ces affirmations sont trop souvent présentées avec une assurance apodictique. Il vaudrait mieux, dans le domaine de la vie instinctive, accorder plus d'attention aux traitements indirects et à l'action du psychisme conscient sur l'ensemble de l'activité imaginative et affective. Cette technique évite les déviations signalées. Elle tend à éclairer, guérir et diriger ; elle influence aussi la dynamique de la sexualité, sur laquelle on insiste tant et qui doit se trouver ou même se trouve réellement dans l'inconscient ou le subconscient.

Jusqu'à présent, Nous avons parlé directement du patient, non du médecin, et Nous avons expliqué en quel point le droit personnel du patient à disposer de lui-même, de son esprit, de son corps, de ses facultés, organes et fonctions, rencontre une limite morale. Mais en même temps Nous avons répondu à la question : où se trouve pour le médecin la frontière morale dans la recherche et l'utilisation des méthodes et procédés nouveaux dans « l'intérêt du patient » ? La frontière est la même que pour le patient ; c'est celle qui est fixée par le jugement de la saine raison, qui est tracée par les exigences de la loi morale naturelle, qui se déduit de la téléologie naturelle inscrite dans les êtres et de l'échelle de valeurs exprimée par la nature des choses. La frontière est la même pour le médecin et pour le patient, parce que, Nous l'avons déjà dit, le médecin, comme personne privée, dispose uniquement des droits concédés par le patient et parce que le patient ne peut donner plus que ce qu'il possède lui-même.

Ce que Nous disons ici doit s'étendre au représentant légal de celui qui est incapable de disposer de lui-même et de ses affaires : les enfants avant l'âge de raison, puis les faibles d'esprit, les aliénés. Ces représentants légaux, établis par une décision privée ou par l'autorité publique, n'ont sur le corps et la vie de leurs subordonnés d'autre droit qu'eux-mêmes, s'ils en étaient capables, et cela avec la même extension. Ils ne peuvent donc pas donner au médecin la permission d'en disposer en dehors de ces limites.


III. L'intérêt de la communauté comme justification de nouvelles méthodes de recherche et de traitement :


On invoque un troisième intérêt pour justifier moralement le droit de la médecine à de nouvelles tentatives et interventions, à des méthodes et procédés nouveaux : l'intérêt de la communauté, de la société humaine, le bonum commune, le bien commun, comme disent le philosophe et le sociologue.
Il est hors de doute qu'un tel bien commun existe : on ne peut non plus contester qu'il appelle et justifie des recherches ultérieures. Les deux intérêts déjà nommés, celui de la science et celui du patient, sont étroitement unis à l'intérêt général.

Cependant, pour la troisième fois, revient la question : « l'intérêt médical de la communauté » n'est-il, dans son contenu et son extension, limité par aucune barrière morale ? Y a-t-il « pleins pouvoirs » pour chaque expérience médicale sérieuse sur l'homme vivant ? Lève-t-il les barrières qui valent encore pour l'intérêt de la science ou de l'individu ? Ou sous une autre formulation : l'autorité publique — à qui précisément incombe le souci du bien commun — peut-elle donner au médecin le pouvoir de tenter des essais sur l'individu dans l'intérêt de la science et de la communauté, afin d'inventer et d'expérimenter des méthodes et procédés nouveaux, alors que ces essais dépassent le droit de l'individu à disposer de lui-même ; l'autorité publique peut-elle réellement, dans l'intérêt de la communauté, limiter ou supprimer même le droit de l'individu sur son corps et sa vie, son intégrité corporelle et psychologique ?

Pour prévenir une objection : on suppose toujours qu'il s'agit de recherches sérieuses, d'efforts honnêtes pour promouvoir la médecine théorique et pratique, non de quelque manœuvre, qui sert de prétexte scientifique pour couvrir d'autres buts et les réaliser impunément.

En ce qui concerne les questions posées, beaucoup ont estimé, et estiment encore aujourd'hui, qu'il faut y répondre par l'affirmative. Pour étayer leur conception, ils invoquent le fait que l'individu est subordonné à la communauté, que le bien de l'individu doit céder le pas au bien commun et lui être sacrifié. Ils ajoutent que le sacrifice d'un individu aux fins de la recherche et de l'exploration scientifique profite finalement à l'individu.

Les grands procès de l'après-guerre ont mis au jour une quantité effrayante de documents attestant le sacrifice de l'individu à l'« intérêt médical de la communauté ». On trouve, dans les actes, des témoignages et des rapports qui montrent comment, avec l'assentiment et même parfois sur un ordre formel de l'autorité publique, certains centres de recherches exigeaient systématiquement qu'on leur fournît les hommes des camps de concentration pour leurs expériences médicales, et comment on les livrait à ces centres : tant d'hommes, tant de femmes, tant pour telle expérience, tant pour telle autre. Il existe des rapports sur le déroulement et le résultat des expériences, sur les symptômes objectifs et subjectifs observés chez les intéressés au cours des différentes phases de l'expérimentation. On ne peut lire ces notes sans être saisi d'une profonde compassion pour ces victimes, dont beaucoup sont allées à la mort, et sans être pris d'épouvante devant pareille aberration de l'esprit et du cœur humain. Mais Nous pouvons aussi ajouter : les responsables de ces faits atroces n'ont rien fait de plus que de répondre par l'affirmative aux questions que Nous avons posées et de tirer les conséquences pratiques de cette affirmation.

L'intérêt de l'individu est-il à ce point subordonné à l'intérêt médical commun, ou transgresse-t-on ici, de bonne foi peut-être, les exigences les plus élémentaires du droit naturel, transgression que ne peut se permettre aucune recherche médicale ?

Il faudrait fermer les yeux à la réalité pour croire qu'à l'heure actuelle, on ne trouve plus personne dans le monde de la médecine pour tenir et défendre les idées qui sont à l'origine des faits que nous avons cités. Il suffit de suivre pendant quelque temps les rapports sur les essais et les expériences médicales, pour se convaincre du contraire. On se demande involontairement ce qui a autorisé tel médecin à oser telle intervention et ce qui pourrait jamais l'y autoriser. Avec une objectivité tranquille, l'expérience est décrite dans son déroulement et dans ses effets ; on note ce qui se vérifie et ce qui ne se vérifie pas. Sur la question de la licéité morale, pas un mot. Cette question existe cependant, et l'on ne peut la supprimer en la passant sous silence.

Pour autant que, dans les cas mentionnés, la justification morale de l'intervention se tire du mandat de l'autorité publique, et donc de la subordination de l'individu à la communauté, du bien individuel au bien social, elle repose sur une explication erronée de ce principe. Il faut remarquer que l'homme dans son être personnel n'est pas ordonné en fin de compte à l'utilité de la société, mais, au contraire, la communauté est là pour l'homme.

La communauté est le grand moyen voulu par la nature et par Dieu pour régler les échanges où se complètent les besoins réciproques, pour aider chacun à développer complètement sa personnalité selon ses aptitudes individuelles et sociales. La communauté considérée comme un tout n'est pas une unité physique qui subsiste en soi, et ses membres individuels n'en sont pas des parties intégrantes. L'organisme physique des êtres vivants, des plantes, des animaux ou de l'homme possède en tant que tout une unité qui subsiste en soi ; chacun des membres, par exemple la main, le pied, le cœur, l'œil, est une partie intégrante, destinée par tout son être à s'insérer dans l'ensemble de l'organisme. Hors de l'organisme, il n'a, par sa nature propre, aucun sens, aucune finalité ; il est entièrement absorbé par la totalité de l'organisme auquel il se relie.

Il en va tout autrement dans la communauté morale et dans chaque organisme de caractère purement moral.

Le tout n'a pas ici d'unité qui subsiste en soi, mais une simple unité de finalité et d'action. Dans la communauté, les individus ne sont que collaborateurs et instruments pour la réalisation du but communautaire.

Que s'ensuit-il pour l'organisme physique ? Le maître et l'usufruitier de cet organisme, qui possède une unité subsistante, peut disposer directement et immédiatement des parties intégrantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur finalité naturelle ; il peut intervenir également, aussi souvent et dans la mesure où le bien de l'ensemble le demande, pour en paralyser, détruire, mutiler, séparer les membres. Mais, par contre, quand le tout ne possède qu'une unité de finalité et d'action, son chef, c'est-à-dire dans le cas présent l'autorité publique, détient sans doute une autorité directe et le droit de poser des exigences à l'activité des parties, mais en aucun cas il ne peut disposer directement de son être physique. Aussi toute atteinte directe à son essence constitue un abus de compétence de l'autorité.

Or, les interventions médicales, dont il s'agit ici, atteignent immédiatement et directement l'être physique, soit de l'ensemble, soit des organes particuliers de l'organisme humain. Mais en vertu du principe précité, le pouvoir public n'a en ce domaine aucun droit, il ne peut donc pas le communiquer aux chercheurs et aux médecins. C'est de l'État pourtant que le médecin doit recevoir l'autorisation quand il intervient dans l'organisme de l'individu pour « l'intérêt de la communauté ». Car il n'agit pas alors comme homme privé, mais comme mandataire du pouvoir public. Celui-ci cependant ne peut pas transmettre le droit qu'il ne possède pas lui-même, excepté le cas déjà mentionné plus haut, où il se comporte en suppléant, comme représentant légal en lieu et place d'un mineur, aussi longtemps qu'il n'est pas en état de décider par lui-même, d'un mineur faible d'esprit ou d'un aliéné.

Même quand il s'agit de l'exécution d'un condamné à mort, l'État ne dispose pas du droit de l'individu à la vie.

Il est réservé alors au pouvoir public de priver le condamné du bien de la vie en expiation de sa faute, après que, par son crime, il s'est déjà dépossédé de son droit à la vie.

Nous ne pouvons Nous empêcher d'éclairer encore une fois la question traitée dans cette troisième partie à la lumière du principe, auquel on fait appel d'habitude dans les cas similaires : Nous voulons dire le principe de totalité. Il affirme que la partie existe pour le tout, et que par conséquent le bien de la partie reste subordonné au bien de l'ensemble ; que le tout est déterminant pour la partie et peut en disposer dans son intérêt. Le principe découle de l'essence des notions et des choses et doit par là avoir valeur absolue.

Respect au principe de totalité en soi ! Cependant, afin de pouvoir l'appliquer correctement, il faut toujours expliquer d'abord certains présupposés. Le présupposé fondamental est de mettre au clair la quaestio facti, la question de fait : les objets auxquels le principe est appliqué, sont-ils dans le rapport de tout à partie ? Un deuxième présupposé : mettre au clair la nature, l'extension et l'étroitesse de ce rapport. Se place-t-il sur le plan de l'essence, ou seulement sur celui de l'action, ou sur les deux ? S'applique-t-il à la partie sous un aspect déterminé ou sous tous ses rapports ? Et dans le champ où il s'applique, absorbe-t-il entièrement la partie ou lui laisse-t-il encore une finalité limitée, une indépendance limitée ? La réponse à ces questions ne peut jamais être inférée du principe de totalité lui-même : cela ressemblerait à un cercle vicieux. Elle doit se tirer d'autres faits et d'autres connaissances. Le principe de totalité lui-même n'affirme rien que ceci : là où se vérifie la relation de tout à partie, dans la mesure exacte où elle se vérifie, la partie est subordonnée au tout, celui-ci peut, dans son intérêt propre, disposer de la partie. Trop souvent, hélas ! quand on invoque le principe de totalité, on laisse de côté ces considérations : non seulement dans le domaine de l'étude théorique et le champ d'application du droit, de la sociologie, de la physique, de la biologie et de la médecine, mais aussi en logique, psychologie et métaphysique.

Et le Pape de conclure :

Notre dessein était d'attirer votre attention sur quelques principes de déontologie, qui définissent les frontières et les limites dans la recherche et l'expérimentation de nouvelles méthodes médicales appliquées immédiatement à l'homme vivant.
Dans le domaine de votre science, c'est une loi évidente que l'application de nouvelles méthodes à l'homme vivant doit être précédée de la recherche sur le cadavre ou le modèle d'étude et de l'expérimentation sur l'animal. Parfois, cependant, ce procédé s'avère impossible, insuffisant ou pratiquement irréalisable. Alors la recherche médicale tentera de s'exercer sur son objet immédiat, l'homme vivant, dans l'intérêt de la science, dans l'intérêt du patient, dans l'intérêt de la communauté. Cela n'est pas à rejeter sans plus, mais il faut s'arrêter aux limites tracées par les principes moraux que Nous avons expliqués.
Sans doute, avant d'autoriser en morale l'emploi de nouvelles méthodes, on ne peut exiger que tout danger, tout risque soient exclus. Cela dépasse les possibilités humaines, paralyserait toute recherche scientifique sérieuse et tournerait très souvent au détriment du patient. L'appréciation du danger doit être laissée dans ces cas au jugement du médecin expérimenté et compétent. Il y a cependant, Nos explications l'ont montré, un degré de danger que la morale ne peut permettre. Il peut arriver, dans des cas douteux, quand échouent les moyens déjà connus, qu'une méthode nouvelle, encore insuffisamment éprouvée, offre, à côté d'éléments très dangereux, des chances appréciables de succès. Si le patient donne son accord, l'application du procédé en question est licite. Mais cette manière de faire ne peut être érigée en ligne de conduite pour les cas normaux.
On objectera peut-être que les idées développées ici constituent un obstacle grave à la recherche et au travail scientifiques. Néanmoins, les limites que Nous avons tracées ne sont pas en définitive un obstacle au progrès. Dans le champ de la médecine, il n'en va pas autrement que dans les autres domaines de la recherche, des tentatives et des activités humaines : les grandes exigences morales forcent le flot impétueux de la pensée et du vouloir humains à couler, comme l'eau des montagnes, dans un lit déterminé ; elles le contiennent pour accroître son efficacité et son utilité ; elles l'endiguent pour qu'il ne déborde pas et ne cause pas de ravages, qui ne pourraient jamais être compensés par le bien spécieux qu'ils poursuivent. Apparemment, les exigences morales sont un frein. En fait, elles apportent leur contribution à ce que l'homme a produit de meilleur et de plus beau pour la science, pour l'individu, pour la communauté.

Que le Dieu tout-puissant, en sa Providence bienveillante, vous accorde à cette fin sa Bénédiction et sa Grâce.




DISCOURS AUX PARTICIPANTS DU PREMIER CONGRES

DE GÉNÉTIQUE MÉDICALE


8 septembre 1953 (1)



Pie XII recevant ces congressistes leur adressa le discours suivant :

Soyez les bienvenus, Messieurs, vous qui avez voulu profiter de votre Primum Symposium Internationale Geneticoe Medicse, pour Nous rendre visite. Nous répondons à votre délicate attention en manifestant Notre joie de pouvoir passer quelques instants avec vous.
Pendant ces dernières années, un certain nombre de Congrès de sciences naturelles se sont réunis ici. La caractéristique de votre science, ce qui la distingue parmi d'autres branches de la biologie et de la médecine, c'est sa jeunesse. Mais en dépit de son jeune âge, elle se signale par un développement rapide et les objectifs de longue portée, on serait presque tenté de dire téméraires, qu'elle s'est proposés.
Ces objectifs suscitent un vif intérêt de la part des institutions qui s'occupent de l'homme comme personne morale, de sa formation, de l'éducation qui doit façonner en lui un caractère mûr, ferme, conscient de ses responsabilités, de sa manière de penser et d'agir dans les questions décisives pour le temps comme pour l'éternité. En réponse au souhait que de votre part on Nous a adressé, Nous n'avons pas cru pouvoir refuser de vous dire quelques mots au sujet de vos travaux et de vos efforts.
En fait, parmi les branches si diverses de la biologie, les recherches les plus dynamiques sont peut-être celles de la génétique, c'est-à-dire de la science de la transmission héréditaire de caractères déterminés, qui s'effectue d'une génération à l'autre selon des règles fixes. Dans Notre exposé, Nous voudrions d'abord mentionner quelques points que Nous empruntons à la littérature du sujet ; ils sont donc du domaine de votre compétence et Nous vous laissons le soin d'en apprécier l'exactitude. À ces données, Nous voudrions rattacher quelques considérations de base, qui puissent servir de norme pour l'appréciation métaphysique et morale de tel ou tel principe théorique de la génération actuelle et plus encore pour leur application dans la réalité de la vie.

Le Pape résume les données essentielles de la génétique

Votre science a fait connaître la cellule initiale d'une nouvelle vie engendrée par le moyen de la fécondation.
Cette cellule vous dites qu'elle est formée par la fusion des noyaux des deux cellules sexuelles appartenant aux partenaires de sexe différent. Vous Nous apprenez que le nouvel être vivant se construit à partir de cette cellule initiale par divisions cellulaires normales et continues sous la direction des gènes contenus dans les noyaux et porteurs de l'héritage des ancêtres. Mais votre science donne une compréhension plus complète et plus profonde de cette cellule initiale dans son origine, sa structure, son dynamisme, sa finalité et sa richesse intime. Elle y voit à la fois un point d'arrivée et un point de départ. Le point d'arrivée d'une longue évolution antérieure et de la transmission du patrimoine héréditaire des deux branches de la parenté par la longue série des générations passées, depuis le début de l'espèce jusqu'au nouvel individu. Le point de départ de la série des descendants auxquels le patrimoine héréditaire peut et doit être transmis pour continuer sans cesse la série des générations.
Les ouvrages de génétique jettent ici un regard sur la profondeur et l'étendue de la structure et des lois de la vie : on évoque avec intensité à ce propos les mystères de la physique atomique. Ces ouvrages rendent compte des résultats acquis jusqu'à ce jour : des faits déjà bien établis, mais aussi des nombreux problèmes et des questions qui attendent encore une solution tant au point de vue de la théorie que de son application pratique.

La génétique a déjà pu formuler des lois :

La génétique ne renseigne pas seulement sur les faits, mais aussi sur la nature et les lois de l'hérédité. La transmission du patrimoine héréditaire, dit-elle, s'effectue selon des lois strictes, dont certaines sont bien connues, tandis que d'autres demandent un examen approfondi. Les lois mendéliennes, établies d'abord par l'Augustin Gregor Mendel qui a bien mérité de votre science et à qui on a dédié un Institut scientifique dans la ville de Rome, sont des schèmes de la transmission et de la répartition aux descendants des éléments porteurs de l'hérédité, c'est-à-dire des gènes. C'est un groupe de gènes qui se trouvent dans le noyau des cellules sexuelles, qui constitue le support matériel des caractères. La génétique affirme que l'héritage comprend l'ensemble des gènes de tous les chromosomes des cellules sexuelles ; elle indique les multiples combinaisons que produit la rencontre des gènes transmis ; elle parle d'homozygotes et d'hétérozygotes ; elle attire l'attention sur le fait que dans les hétérozygotes, c'est-à-dire lors de la rencontre de gènes porteurs de variétés des mêmes caractères, il arrive que certains gènes aient pour ainsi dire le dessous, de gènes « récessifs », et sont supplantés par les autres, des « dominants ». Cependant, ils se conservent intégralement dans l'héritage et sont transmis avec lui si bien que, aux générations suivantes, en l'absence de gènes dominants, ils peuvent réapparaître dans toute leur ancienne fraîcheur.
Vos ouvrages soulignent une caractéristique de la transmission héréditaire : les gènes se montrent quasi inattaquables et d'une immutabilité rigide. On aurait prouvé des milliers de fois que, par exemple, des aptitudes acquises ou des mutilations ne les modifient pas et ne passent pas à la postérité. La littérature du sujet désigne cette opinion sous le nom de « génétique classique ». Néanmoins, récemment, les généticiens russes l'auraient contesté et auraient nié la stabilité des facteurs héréditaires (2).

Toutefois, en dehors de l'hérédité, les êtres vivants sont doués d'un pouvoir d'adaptation

Cependant, tous reconnaissent sans contestation, la capacité d'adaptation et de réaction des facteurs héréditaires vis-à-vis des circonstances extérieures, en particulier des différents climats. Ainsi une seule et même plante, avec le même patrimoine, pourrait prendre suivant les climats, une apparence tellement différente que le profane la regarderait comme une plante d'une autre espèce. La génétique dit ici : le patrimoine ne contient fondamentalement aucune forme extérieure, mais seulement la capacité de réagir aux différents climats par telle ou telle forme extérieure ; le patrimoine ne contiendrait donc ainsi qu'une norme de réaction.
De telles modifications, explique la génétique, ne sont pas rares dans le processus de l'hérédité ; il n'y a là cependant aucun changement dans les éléments constitutifs du patrimoine. Les êtres vivants reçoivent leurs caractéristiques individuelles, le « phénotype », du patrimoine et du monde ambiant. Le patrimoine affirme-t-on, est plus ou moins plastique en ce sens qu'il peut être façonné par le monde ambiant. Chaque vivant, dans son état définitif, est le résultat de la collaboration du patrimoine et du milieu. Ni le milieu, ni le patrimoine ne sont tout.

Les facteurs héréditaires peuvent de leur côté subir de réelles « mutations »

Cependant, il existe aussi, toujours d'après la génétique, des changements dans le patrimoine lui-même et qu'on appelle « mutations ». Elles se produisent d'une manière essentiellement différente des modifications.
Les gènes, ces molécules géantes très compliquées, peuvent subir un changement de structure par l'intervention de divers agents naturels. Ainsi, par exemple sous l'action des rayons cosmiques. La molécule-gène modifiée dans sa structure fait apparaître dans les organismes en croissance des caractères différents.
Les caractères de l'être vivant, et ils sont des milliers, peuvent muter presque tous. On peut ainsi déclencher artificiellement les mutations, par exemple par certaines irradiations des cellules reproductrices sans que l'on puisse cependant déterminer d'avance le résultat de telles interventions. Au moyen des mutations, la nature et l'homme peuvent produire des « élites ». L'être adapté et armé pour la vie s'affirme devant les autres moins bien équipés. Souvent il arrivera que ces derniers dégénèrent, périssent et disparaissent.
Le fait et la théorie des modifications et des mutations montrent donc que l'inviolabilité du patrimoine, dont on a parlé au début subit cependant une certaine altération.

La génétique pose le problème de l'évolution

Ce que la biologie et la génétique en particulier, disent sur les cellules germinales, les facteurs de l'hérédité, les modifications, les mutations et la sélection dépasse les individus et les diverses espèces et déborde sur la question de l'origine et de l'évolution de la vie en général et de l'ensemble de tous les vivants. On pose la question : cet ensemble est-il constitué par le fait que tous les vivants proviennent d'un être unique et de son germe inépuisable par voie de descendance et d'évolution selon la manière et sous les influences que l'on a indiquées ? La question des grands ensembles explique pourquoi les ouvrages de certains généticiens associent la question de l'hérédité et celle de l'évolution et de la descendance. L'une déborde sur les autres.
Dans les ouvrages récents de génétique, on lit que rien n'explique mieux la connexion de tous les vivants que l'image d'un arbre généalogique commun. Mais en même temps on fait remarquer qu'il ne s'agit là que d'une image, d'une hypothèse, et non d'un fait démontré. On croit même devoir ajouter que si la plupart des chercheurs présentent la doctrine de la descendance comme un « fait », ceci constitue un jugement hâtif. On pourrait fort bien formuler aussi d'autres hypothèses. On dit en outre que des savants réputés le font sans pour cela contester que la vie ait évolué et que certaines découvertes puissent être interprétées comme des préformations du corps humain. Mais, continue-t-on, ces chercheurs ont souligné de la manière la plus nette qu'à leur avis, on ne sait absolument pas encore ce que signifient réellement et exactement les expressions « évolution », « descendance », « passage » ; que par ailleurs, on ne connaît aucun processus naturel par lequel un être en produit un autre de nature différente ; que le procédé par lequel une espèce en engendre une autre reste parfaitement impénétrable, malgré les nombreux stades intermédiaires ; qu'on n'a pas encore réussi expérimentalement à faire sortir une espèce d'une autre espèce ; et finalement que nous ne saurions absolument pas à quel endroit de l'évolution l'hominidé a passé tout-à-coup le seuil de l'humanité. On signale encore deux découvertes singulières au sujet desquelles la controverse jusqu'à présent ne se serait pas encore calmée ; il ne s'agirait pas ici du degré avancé du matériel découvert, mais de la datation de la couche géologique. La conclusion dernière qu'on en tire est celle-ci : selon que l'avenir montrera l'exactitude de l'une ou de l'autre interprétation, l'image usuelle de l'évolution de l'humanité y trouvera une confirmation ou bien il faudra s'en donner une image toute nouvelle. On croit devoir dire que les recherches sur l'origine de l'homme sont encore à leurs débuts ; la représentation que l'on s'en fait actuellement ne pourrait pas être considérée comme définitive. Voilà ce que l'on dit des relations entre la théorie de l'hérédité et celle de l'évolution.

On tente d'utiliser les données de la génétique pour perfectionner les êtres vivants

La littérature de la génétique montre que celle-ci n'a pas seulement un intérêt théorique, c'est-à-dire l'enrichissement de nos connaissances sur la nature et son activité, mais qu'elle possède en même temps une haute valeur pratique : d'abord dans le domaine des êtres privés de raison, elle permet une utilisation meilleure au profit de l'homme du règne végétal et animal.
Mais pour l'homme aussi, les lois de l'hérédité sont lourdes de signification. La cellule initiale du nouvel homme est déjà, au premier moment et au stade initial de son existence, d'une architecture étonnante et d'une spécificité des structures incroyablement riche. Elle est pleine de dynamisme téléologique gouverné par les gènes, et ces gènes sont le fondement de tant de bonheur ou de malheur, de ressources vitales ou de langueurs, de force ou de démission. Cette considération explique que les recherches sur l'hérédité rencontrent toujours plus d'intérêt et de points d'application. On essaie de garder ce qui est bon et valable, de l'affermir, de le promouvoir, de le perfectionner. Il faut prévenir la détérioration des facteurs héréditaires ; autant que possible, il faut pallier aux déficiences déjà manifestées et prendre garde que les facteurs héréditaires de moindre valeur s'abîment encore plus par la fusion avec ceux d'un partenaire homozygote.
Par contre, il faut veiller à ce que les caractères positifs de pleine valeur s'unissent avec un patrimoine semblable.
Telles sont les tâches que se proposent la génétique et l'eugénétique. De là leur spécialisation extraordinaire jusqu'à la génétique des groupes sanguins, l'étude des jumeaux et la génétique des jumeaux.
Voilà ce que Nous voulions emprunter à votre branche sans vouloir exprimer Notre opinion. L'appréciation des questions purement spécifiques est laissée à la compétence de votre science. Notre exposé avait pour but de fixer une base commune, sur laquelle Nous pourrions développer des considérations de principe que Nous voudrions ajouter maintenant.

La première exigence de toute science est le respect de la vérité objective

Les exigences fondamentales de la connaissance scientifique sont la vérité et la véracité


La vérité doit s'entendre comme l'accord du jugement de l'homme avec la réalité de l'être et de l'action des choses elles-mêmes, par l'opposition avec les représentations et les idées que l'esprit y introduit. Il régnait, et il règne encore aujourd'hui une conception selon laquelle le message que la réalité objective donne d'elle-même pénètre dans l'esprit comme à travers une lentille et, en cours de route, se modifie qualitativement et quantitativement. On parle, en ce cas, de pensée dynamique qui imprime sa forme à l'objet par opposition à la pensée statique qui le reflète simplement, à moins que, par principe, on ne prétende que la première est le seul type possible de connaissance humaine. La vérité serait alors en fin de compte l'accord de la pensée personnelle avec l'opinion publique ou scientifique du moment.
La pensée de tous les temps, basée sur la saine raison, et la pensée chrétienne en particulier sont conscientes de devoir maintenir le principe essentiel : la vérité est l'accord du jugement avec l'être des choses déterminé en lui-même — sans devoir nier pour cela ce qui dans la conception de la vérité citée plus haut et erronée dans son ensemble, est en partie justifiable. Nous avons aussi touché cette question dans Notre encyclique « Humani generis » du 12 août 1950 (3) et insisté alors sur un point que Nous croyons devoir répéter ici : la nécessité de garder intactes les grandes lois ontologiques, parce que, sans elles, il devient impossible de comprendre la réalité : Nous pensons surtout aux principes de contradiction, de raison suffisante, de causalité, de finalité.
Vos écrits Nous permettent de supposer que vous êtes d'accord avec Notre conception de la vérité. Vous voulez dans vos recherches atteindre la vérité et vous baser sur elle pour tirer vos conclusions et bâtir vos systèmes. Vous affirmez l'existence des gènes comme un fait et non comme une simple hypothèse. Vous admettez donc qu'il y a des faits objectifs, et que la science a la possibilité et l'intention de comprendre ces faits, non d'élaborer des fantasmes purement subjectifs.

Il faut distinguer le fait de l'interprétation du fait

La distinction entre les faits certains et leur interprétation ou leur systématisation est aussi fondamentale pour le chercheur que la définition de la vérité. Le fait est toujours vrai, parce qu'il ne peut y avoir d'erreur ontologique. Mais il n'en va pas ainsi sans plus dans son élaboration scientifique. Ici, on court le danger de formuler des conclusions prématurées et de commettre des erreurs de jugement.
Tout cela impose le respect des faits et de l'ensemble des faits, la prudence dans dénonciation de propositions scientifiques, la sobriété du jugement scientifique, la modestie si appréciée chez le savant et qu'inspire la conscience des limites du savoir humain ; cela favorise l'ouverture d'esprit et la docilité du véritable homme de science bien éloigné de tenir à ses propres idées quand elles s'avèrent insuffisamment fondées et, finalement, cela conduit à examiner sans parti pris les opinions d'autrui et à les juger.
Quand on possède cette disposition d'âme, au respect de la vérité s'unit tout naturellement la véracité, c'est-à-dire l'accord entre les convictions personnelles et les positions scientifiques exprimées par la parole et l'écrit.

Il faut concilier les données de sciences différentes, touchant un même objet

L'exigence de vérité et de véracité appelle encore une observation à propos de la connaissance scientifique : il est rare qu'une seule science s'occupe d'un objet déterminé. Elles sont souvent plusieurs qui le traitent chacune sous un aspect différent. Si leur enquête est correcte, la contradiction entre leurs résultats est impossible, car cela supposerait une contradiction dans la réalité ontologique. Or, la réalité ne peut se contredire.
Si malgré tout il surgit des contradictions, elles ne peuvent résulter que d'une observation fautive ou de l'interprétation erronée d'une observation exacte, ou encore du fait que le chercheur dépassant les limites de sa spécialité, s'est avancé sur un terrain qu'il ne connaît pas. Nous pensons que cette indication aussi s'impose avec évidence à toutes les sciences.

Aussi la génétique doit-elle tenir compte des données de la psychologie et de la métaphysique

Si donc la théorie de l'hérédité, appuyée sur la connaissance de la structure du noyau cellulaire, — et récemment aussi de la structure du cytoplasme — et des lois immanentes de la transmission héréditaire, est capable de dire pourquoi un homme présente des caractères déterminés, elle n'est pas encore en état pour autant d'expliquer toute la vie de cet homme. Elle a besoin d'être complétée par d'autres sciences au moment où se pose la question de l'existence et de l'origine du principe spirituel de la vie, l'âme humaine, essentiellement indépendante de la matière. Les conclusions de la génétique sur la cellule initiale et le développement du corps humain par division cellulaire normale, sous la direction des gènes, ce qu'elle affirme sur les modifications, les mutations, la collaboration du patrimoine et du milieu ne suffit pas à expliquer l'unité de la nature de l'homme, sa connaissance intellectuelle, et sa libre détermination. La génétique comme telle ne peut rien dire sur le fait qu'une âme spirituelle s'unit, dans l'unité d'une nature humaine, à un substrat organique qui jouit d'une autonomie relative. La psychologie et la métaphysique ou ontologie doivent intervenir ici non pour s'opposer à la génétique, mais en accord avec elle, en reprenant, mais aussi en complétant substantiellement ses données. Par contre, la philosophie ne peut non plus négliger la génétique, lorsque, dans l'analyse des activités psychiques, elle entend rester en contact avec la réalité. On ne peut vouloir déduire tout le psychisme, pour autant qu'il est conditionné par le corps, de l’« anima rationalis » comme « forma corporis » et affirmer que la « materia prima » amorphe reçoit toutes ses déterminations de l'âme spirituelle créée immédiatement par Dieu, et rien des gènes contenus dans le noyau cellulaire.

La science est basée sur l'observation personnelle des faits et sur le témoignage d'autrui

La multiplicité et la diversité des sources de connaissance appellent encore l'attention sur un fait d'une importance décisive, la distinction entre le savoir acquis par l'étude personnelle et celui que l'on doit au labeur d'autrui, donc à son témoignage. Quand on est sûr que ce témoignage est digne de foi, il constitue une source normale de connaissance, dont ni la vie pratique ni la science ne peuvent se passer. Abstraction faite de la nécessité impérieuse de recourir tant et tant de fois au témoignage d'autrui, l'attitude d'âme indiquée plus haut chez le vrai savant l'amène à constater que, sur son terrain, le spécialiste éprouvé entretient toujours avec la vérité objective une familiarité plus étroite que n'importe quel profane.

Il faut donc aussi tenir compte de la Révélation qui est le témoignage de Dieu même

Nous ne pouvons Nous empêcher d'appliquer au témoignage de Dieu ce que Nous venons de dire du témoignage humain. La Révélation et donc le témoignage formel et explicite du Créateur, touche aussi certains domaines des sciences naturelles et certaines thèses de votre spécialité, comme la théorie de la descendance. Or, le Créateur satisfait au suprême degré l'exigence de vérité et de véracité. Jugez donc vous-mêmes s'il est conforme à l'objectivité scientifique de décliner ce témoignage alors que sa réalité et son contenu offrent toutes les garanties.

Il faut continuer les recherches sur l'origine du corps humain dans cet esprit

En ce qui concerne la théorie de la descendance, la question essentielle est ici celle de l'origine de l'organisme physique de l'homme (non de son âme spirituelle). Si vos sciences s'occupent avec diligence de ce problème, la théologie, science qui a pour objet la Révélation, lui a accordé aussi une attention très vive.
Nous-même, par deux fois, en 1941 déjà dans une allocution à Notre Académie de Sciences (4), et en 1950 dans l'Encyclique citée tantôt (5). Nous avons invité à pousser les recherches dans l'espoir d'enregistrer peut-être un jour des résultats assurés, car, jusqu'à présent, rien de définitif n'a été obtenu.
Nous avons exhorté à traiter ces questions avec la prudence et la maturité de jugement qu'exige leur grande importance. Des ouvrages de votre spécialité, Nous avons tiré une citation où, après avoir envisagé toutes les découvertes actuelles et l'opinion des spécialistes à leur sujet, on incitait à la même sobriété et où on réservait un jugement définitif.
Si vous réfléchissez à ce que Nous avons dit de la recherche et de la connaissance scientifique, il devrait être entendu que ni du côté de la raison, ni du côté de la pensée orientée dans le sens chrétien, on ne met de barrière à la recherche, à la connaissance, à l'affirmation de la vérité. Il y a des barrières, mais elles ne servent pas à emprisonner la vérité. Elles ont pour but d'empêcher que des hypothèses non prouvées soient prises pour des faits établis que l'on oublie la nécessité de compléter une source de connaissance par une autre et qu'on interprète erronément l'échelle des valeurs et le degré de certitude d'une source de connaissance. C'est pour éviter ces causes d'erreur qu'il y a des barrières ; mais il n'y en a pas pour la vérité.

Pratiquement, la génétique essaie d'améliorer les conditions de vie

La génétique ne possède pas seulement une importance théorique ; elle est aussi éminemment pratique. Elle se propose de contribuer au bien des individus et à celui de la communauté, au bien commun. Elle veut s'acquitter de cette tâche principalement sur deux terrains, celui de la psychologie génétique, et celui de la pathologie générale.

L'hérédité joue un grand rôle dans le comportement général

C'est un fait d'expérience que les dispositions naturelles bonnes ou défectueuses, influencent très fortement l'éducation de l'homme et sa conduite future. Sans doute le corps avec ses aptitudes et ses organes n'est que l'instrument, tandis que l'âme est l'artiste qui joue de cet instrument ; sans doute l'habileté de l'artiste peut compenser maint défaut de l'instrument ; mais on joue mieux et plus facilement sur un instrument parfait ; et lorsque sa qualité descend en dessous d'une limite déterminée, il devient absolument impossible de l'utiliser — sans tenir compte du fait que, en dehors de toute comparaison, le corps et l'âme, la matière et l'esprit constituent dans l'homme une unité substantielle.

La génétique dicte les moyens à employer pour améliorer la tendance

Mais cependant, pour en rester à cette comparaison, la génétique enseigne à mieux comprendre l'instrument dans sa structure et ses variations et à le mettre en état de mieux jouer. En observant la lignée d'un homme, on peut, à condition de rester dans certaines limites, établir le diagnostic des dispositions qu'il a reçues dans son patrimoine et le pronostic des caractères hérités qui se manifesteront en bien et, ce qui est encore plus important, de ceux aussi qui trahissent une tare héréditaire.
Aussi limitée que puisse être l'influence directe sur le patrimoine héréditaire, la génétique pratique n'est pas du tout réduite au rôle de spectateur passif. La vie quotidienne déjà montre les effets extrêmement nuisibles de certaines façons d'agir des parents dans la transmission naturelle de la vie. De tels procédés avec les intoxications et les infections qu'ils provoquent sont à prohiber autant que possible et la génétique chercher et indique les moyens d'atteindre ce but. Ses conclusions portent en particulier sur les combinaisons de patrimoines de diverses lignées : elle signale celles qu'il faut favoriser, celles que l'on doit déconseiller au point de vue de la génétique et de l'eugénique.
La tendance fondamentale de la génétique et de l'eugénique est d'influencer la transmission des facteurs héréditaires pour promouvoir ce qui est bon et éliminer ce qui est nocif ; cette tendance fondamentale est irréprochable au point de vue moral.

Toutefois, il faut respecter les données de la morale

Mais certaines méthodes pour atteindre le but donné et certaines mesures de protection sont moralement contestables, de même par ailleurs qu'une estime déplacée pour les fins de la génétique et de l'eugénique. Permettez-Nous de citer les déclarations d'un des plus importants généticiens actuels : dans une lettre qu'il vient de Nous adresser, il regrette que malgré ses progrès énormes, la génétique « au point de vue technique et analytique se soit empêtrée dans de multiples erreurs doctrinales, telles le racisme, le mutationnisme appliqué à la phylogénèse pour expliquer en termes modernes l'évolutionnisme darwinien, le contrôle des naissances de tous les tarés ou présumés tels par des moyens préventifs ou des pratiques abortives, l'obligation du certificat prénuptial, etc. ».
En fait, il est certaines mesures de défense génétiques et eugéniques que le bon sens moral, et la morale chrétienne surtout, doivent rejeter en principe comme en pratique.

La stérilisation eugénique est condamnée

Au nombre des mesures qui lèsent la moralité, on compte le « racisme » déjà cité, la stérilisation eugénique.
Notre Prédécesseur, Pie XI, et Nous-même avons été amenés à déclarer contraire à la loi naturelle non seulement la stérilisation eugénique, mais toute stérilisation directe d'un innocent, définitive ou temporaire, de l'homme ou de la femme. Notre opposition à la stérilisation était et reste ferme, car, malgré la fin du « racisme », on n'a cessé de désirer de chercher à supprimer par stérilisation une descendance chargée de maladies héréditaires.

De même, on n'a pas le droit d'interdire le mariage sous prétexte d'eugénisme

Un autre chemin conduit au même but : l'interdiction du mariage ou son impossibilité physique par l'internement de ceux dont l'hérédité est tarée sont également à rejeter. L'objectif poursuivi est bon en soi, mais le moyen de l'obtenir lèse le droit personnel à contracter et à user du mariage. Quand le porteur d'une tare héréditaire n'est pas apte à se conduire humainement ni par conséquent, à contracter mariage, ou lorsque plus tard, il est devenu incapable de revendiquer par un acte libre le droit acquis par un mariage valide, on peut empêcher d'une manière licite de procréer une nouvelle vie. Hors de ces cas, l'interdiction du mariage et des rapports matrimoniaux pour des motifs biologiques, génétiques et eugéniques, est une injustice, quel que soit celui qui porte cette interdiction, un particulier ou les pouvoirs publics.
Certainement, on a raison, et dans la plupart des cas le devoir de faire remarquer à ceux qui sont certainement porteurs d'une hérédité très chargée, quel fardeau ils sont sur le point de s'imposer à eux-mêmes, au conjoint et à leur descendance ; ce fardeau deviendra peut-être intolérable. Mais déconseiller n'est pas interdire. Il peut y avoir d'autres motifs, surtout moraux et d'ordre personnel, qui l'emportent tellement qu'ils autorisent à contracter et à user du mariage même dans les circonstances indiquées.
Pour justifier la stérilisation eugénique directe ou l'alternative de l'internement, on prétend que le droit au mariage et aux actes qu'il implique n'est pas atteint par la stérilisation, même prénuptiale, totale, et certainement définitive. Cet essai de justification est condamné à l'échec. Si, pour un esprit sensé, le fait en question est douteux, l'inaptitude au mariage est elle aussi douteuse et c'est le moment d'appliquer le principe que le droit au mariage persiste aussi longtemps que le contraire n'est pas prouvé avec certitude.
Aussi dans ce cas, le mariage doit être permis ; mais la question de sa validité objective reste ouverte. Si, par contre, il ne subsiste aucun doute sur le fait susdit de la stérilisation, il est prématuré d'affirmer que le droit au mariage n'est malgré cela pas mis en question et, en tout cas, cette assertion permet les doutes les plus fondés.

Certaines pratiques de limitation des naissances sont également à condamner

Il reste à parler des autres tentatives aberrantes pour éviter les tares héréditaires et que le texte cité appelle « moyens préventifs et pratiques abortives ». Elles n'entrent même pas en question pour l'indication eugénique, parce qu'elles sont en soi à rejeter.

La génétique appliquée à l'homme doit demeurer soumise aux exigences de la nature humaine et de la morale chrétienne

Voilà, Messieurs, ce que Nous avions à vous dire. Les buts pratiques que poursuit la génétique sont nobles, dignes d'être reconnus et encouragés. Puisse-t-elle seulement, dans l'appréciation des moyens destinés à réaliser ces buts rester toujours consciente de la différence fondamentale entre le monde végétal et animal d'une part, et l'homme d'autre part. Là, les moyens d'améliorer les espèces et les races sont à son entière disposition. Ici par contre, dans le monde de l'homme, elle a toujours devant elle des êtres personnels, aux droits intangibles, des individus qui de leur côté sont tenus par des normes inflexibles, quand ils exercent leur aptitude à susciter une nouvelle vie.

Ainsi, le Créateur lui-même a établi dans le domaine moral des barrières, qu'il n'appartient à aucun pouvoir humain de lever

Puisse votre science trouver dans la moralité publique et l'ordre social, un appui ferme quand il s'agit, pour la vie matrimoniale en général, de pouvoir se développer facilement et librement d'après les lois que le Créateur lui-même a écrites dans le cœur de l'homme et qu'il a confirmées par sa Révélation. Peut-être trouverez-vous ici le secours le plus précieux pour vos efforts, auxquels Nous souhaitons et sur lesquels Nous appelons les plus abondantes bénédictions de Dieu.


Notes

(1)
(2) II s'agit ici des théories de Mitchourine et de Lysenko.
(3) Documents Pontificaux io ; o, p. 295.
(4) 30 novembre, A. A. S., 33, 1941, p. 506.
(5) A. A. S., 42, 1950, p. 575 s.






ALLOCUTION SUR LA GREFFE CHIRURGICALE

ET LA MORALE RELIGIEUSE


 (13 mai 1956)



L'Association italienne des donneurs de la cornée. l'Union italienne des aveugles, des savants cliniciens oculistes et membres de ta médecine légale et parmi eux de nombreux professeurs d'Universités, ont été reçus en audience par le Saint-Père, le 13 mai. Répondant à leurs désirs, le Pape, dans une allocution dont toute la presse a fait état, leur a adressé, en français, les paroles suivantes :

Vous Nous avez demandé, Messieurs, un mot d'orientation, d'approbation et d'encouragement pour votre Association qui veut aider les aveugles et ceux dont la fonction visuelle est atteinte au moyen des ressources techniques et scientifiques de la chirurgie moderne. C'est bien volontiers que Nous traitons dans cette brève allocution du but que vous vous proposez. La documentation abondante que vous Nous avez procurée dépasse de loin le thème précis que Nous avons l'intention de développer. Elle concerne l'ensemble du problème, de jour en jour plus aigu, de la transplantation de tissus d'une personne à l'autre, selon ses divers aspects biologique et médical, technique et chirurgical, juridique, moral et religieux. Nous Nous limitons aux aspects religieux et moraux de la transplantation de la cornée, non entre des hommes vivants (de celle-ci Nous ne parlerons pas aujourd'hui), mais du corps mort sur le vivant. Nous serons toutefois obligés de déborder ce cadre étroit pour parler de quelques opinions que Nous avons rencontrées à cette occasion. Nous avons examiné les divers rapports que vous Nous avez communiqués ; par leur objectivité leur sobriété, leur précision scientifiques, ses explications qu'ils donnent sur les présupposés nécessaires d'une transplantation de la cornée, sur son diagnostic et son pronostic ont fait sur Nous une profonde impression.

QUESTIONS DE TERMINOLOGIE

Avant d'aborder le thème proprement dit, qu'il nous soit permis de faire deux remarques plus générales ; La « terminologie » que Nous avons trouvée dans les rapports et dans les textes imprimés, distingue « autoinnesto », ou autogreffe, transferts de tissus d'une partie à l'autre du corps d'un seul et même individu ; « omoinnesto », ou homogreffe, transferts de tissus d'un individu à un autre de la même espèce ( c'est-à-dire ici d'homme à homme) ; « eteroinnesto », ou hétérogreffe, transferts de tissus entre deux Individus d'espèces différentes (c'est-à-dire ici entre un animal et un organisme humain). Ce dernier cas appelle quelques précisions du point de vue religieux et moral. On ne peut pas dire que toute transplantation de tissus (biologiquement possible) entre individus d'espèces différentes, soit moralement condamnable ; mais il est encore moins vrai qu'aucune transplantation hétérogène biologiquement possible ne soit Interdite ou ne puisse soulever d'objection. Il faut distinguer d'après les cas et voir quel tissu ou quel organe il s'agit de transplanter. La transplantation de glandes sexuelles animales sur l'homme est à rejeter comme immorale ; par contre, la transplantation de la cornée d'un organisme non humain à un organisme humain ne soulèverait aucune difficulté morale si elle était biologiquement possible et indiquée. Si l'on voulait fonder sur la diversité des espèces l'interdiction morale absolue de la transplantation, il faudrait en bonne logique déclarer immorale la thérapie cellulaire qui se pratique actuellement avec une fréquence croissante ; on emprunte souvent des cellules vivantes à un organisme non humain pour les transplanter dans un organisme humain où elles exercent leur action.

Nous avons trouvé aussi dans les explications terminologiques de l'ouvrage imprimé, le plus récent une remarque qui concerne le thème même de Notre présente allocution. On y précise que l'expression « innesto » utilisée pour désigner le transfert de parties d'un corps mort à un homme vivant, est inexacte et employée improprement. Le texte porte « impropriamente, viene chiamato « innesto » anche l'impiego di tessuti "fissati" (morti e conservati) ; mentre sarebbe più esatto parlare di "impianto" o di "inclusione" di un tessto, morto in un tessuto vivente » (1). Il vous appartient d'apprécier cet avis an point de vue médical ; au point de vue philosophique et théologique la critique est justifiée. Le transfert d'un tissu ou d'un organe d'un mort à un vivant n'est pas transfert d'homme à homme. Le mort était Un homme, mais Il ne l'est plus.

IL FAUT DISTINGUER ORGANISME PHYSIQUE ET ORGANISME MORAL

Nous avons relevé aussi dans la documentation imprimée une autre remarque qui prête à confusion et que Nous estimons devoir rectifier. Pour démontrer que l'extirpation d'organes nécessaires à la transplantation faite d'un vivant à l'autre est conforme à la nature et licite, on la met sur le même pied que celle d'un organe physique déterminé fait dans l'intérêt d'un organisme physique total. Les membres de l'individu seraient considérés ici comme parties et membres de l'organisme total que constitue « l'humanité » de la même manière — ou presque — qu'ils sont parties de l'organisme individuel de l'homme. On argumente alors en, disant que, s'il est permis en cas de nécessité de sacrifier un membre particulier (main, pied, œil, oreille, rein, glande sexuelle) à l'organisme de « l'homme », il serait également permis de sacrifier tel membre particulier à l'organisme « humanité » (dans la personne d'un ses membres malade et souffrant). Le but que vise cette argumentation, remédier au mal d'autrui ou du moins l'adoucir, est compréhensible et louable, mais la méthode proposée et la preuve dont on l'appuie sont erronées.

On néglige ici la différence essentielle entre un organisme physique et un organisme moral, ainsi que la différence qualitative essentielle entre les relations des parties avec le tout dans ces deux types d'organisme. L'organisme physique de l'homme est un tout quant à l'être ; les membres sont des parties unies et reliées entre elles quant à l'être physique même ; ils sont tellement absorbés par le tout, qu'ils ne possèdent aucune indépendance, ils n'existent que pour l'organisme total et, n'ont d'autre fin que la sienne.

Il en va tout autrement pour l'organisme moral qu'est l'humanité. Celui-ci ne constitue un tout que quant à l'agir et à la finalité ; les individus, en tant que membres de cet organisme, ne sont que des parties fonctionnelles ; le « tout » ne peut donc poser à leur égard que des exigences concernant l'ordre de l'action. Quant à leur être physique, les individus ne sont en aucune façon dépendants les uns des autres ni de l'humanité ; l'évidence immédiate et le bon sens démontrent la fausseté de l'assertion contraire. Pour cette raison, l'organisme total qu'est l'humanité n'a aucun droit de poser aux individus des exigences dans le domaine de l'être physique en vertu du droit de nature qu'a le « tout » de disposer des parties. L'extirpation d'un organe particulier serait un cas d'intervention directe, non seulement sur la sphère d'action de l'individu, mais aussi et principalement sur celle de son être, de la part d'un « tout » purement fonctionnel « humanité », « société », « État », auquel l'individu humain est incorporé comme membre fonctionnel et quant à l'agir seulement.

Dans un tout autre contexte, Nous avons déjà souligné auparavant le sens et l'importance de cette considération et rappelé la distinction nécessaire dont il faut soigneusement tenir compte, entre l'organisme physique et l'organisme moral. C'était dans Notre Encyclique du 29 juin 1943 sur le « Corps mystique du Christ ». Nous résumions alors ce que Nous venons de dire en quelques phrases, que des non théologiens ne pourraient peut-être pas saisir immédiatement à cause de leur forme concise, mais où ils trouveraient, après une lecture attentive, une meilleure compréhension de la différence que comportent les relations de tout à partie dans l'organisme physique et moral. Il fallait expliquer alors comment le simple croyant était partie du Corps mystique du Christ qu'est l'Église et la différence entre cette relation et celle qui existe dans un organisme physique. Nous disions alors :

Dum enim in nuturali corpore unitatis principium ita partes iungit, ut propria quam vocant, subsistentia singulae prorsus eareunt contra in mystico Corpore mutae coniunctionis vis, etiamsi intima, membra ita inter se copulat, ut singula omnino fruantur persona propria. Accedit quod, si tolius et singolorum membrorum mutuam inter se rationem ccnsideramus, in physico quolibet viventi corpore totius concretionis emolumento membra singula universa postremum unice destinantur, dum socialis quaelibet hominumi compages, si modo ultimum utilitatis finem inspicimus, ad omnium et unius cuiusque membri profectum, utpote personae sunt, pastremum ordinantur. (Acta Ap Sedis, a. 35. p. 221-222) (2)

LA PSYCHOLOGIE DE L'AVEUGLE

Nous revenons à Notre thème l'appréciation morale de la transplantation de la cornée d'un mort sur un vivant, afin d'améliorer l'état des aveugles ou de ceux qui le deviennent ; à leur service se mettent aujourd'hui la charité et la pitié de beaucoup d'hommes compatissants, de même que les progrès de la technique et de la chirurgie scientifiques, avec toutes leurs ressources inventives, leur audace et leur persévérance. La psychologie de l'aveugle nous permet de deviner son besoin d'une aide compatissante et comme il la reçoit avec reconnaissance.

L'Évangile de saint Luc contient une description vivante de la psychologie de l'aveugle qui est un chef-d'œuvre. L'aveugle de Jéricho, entendant passer la foule, demanda ce que cela signifiait. On lui répondit que Jésus de Nazareth passait par là. Alors il s'écria « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ». Les gens lui enjoignirent de se taire, mais lui continuait de plus belle « Fils de David, aie pitié de moi ! ». Jésus ordonna donc de le faire venir. « Que veux-tu que je te fasse ? — Seigneur, que je voie ! — Vois ! Ta foi t'a sauvé ». Et aussitôt il recouvra la vue et suivit Jésus en louant Dieu (Luc XVIII, 35-43). Ce cri, « Seigneur, faites que je voie ! », retentit aux oreilles et dans le cœur de tous, aussi voulez-vous y répondre tous, et prêter votre aide autant qu'il est en votre pouvoir. Vous Nous assurez que le transfert de la cornée constitue pour beaucoup de malades un moyen prometteur de guérison ou du moins d'adoucissement et d'amélioration. Eh bien ! Utilisez-la et aidez-les dans la mesure où c'est possible et licite, naturellement, en choisissant les cas avec beaucoup de discernement et de prudence.

LA CHIRURGIE DE L'ŒIL EXCLUT DES ESPOIRS CHIMÉRIQUES

La documentation que vous Nous avez fournie permet de se représenter en quelque sorte l'opération (que vous effectuez. On peut exécuter l'enlèvement de la cornée de deux façons, dites-vous, soit par des « kératoplasties lamellaires : cheratoplastiche lamellari », soit par des « kératoplasties perforantes : cheratoplastiche perforanti ». Si l'on observe soigneusement la technique requise, l'œil enlevé peut se conserver pendant quarante-huit à soixante heures. Si plusieurs cliniques ne sont pas trop éloignées les unes des autres, elles peuvent ainsi constituer une certaine réserve de matériel prêt à l'usage, et se prêter secours mutuellement selon les besoins des cas particuliers. Nous trouvons aussi dans votre documentation des renseignements sur les indications de la transplantation de la cornée en général et sur ses possibilités de réussite. La majorité des aveugles, ou de ceux qui le deviennent ne sont pas susceptibles d'en profiter : Vous mettez en garde contre les espoirs utopiques, en ce qui concerne le pronostic des cas opérables. Vous écrivez « E bene che Il pubblico sapia che non sono possibili trapianti di altri tessuti oculari e tan to meno dell'ochuio intero nell'uomo, ma è solo possibile sostituire, e solo parzialmente, la porzione più anteriore dell'apparato diottico oculare » (3).

Quant au succès de l'intervention, vous Nous apprenez que des 4 360 cas publiés entre 1948 et 1954, 45 à 65 pour 100 ont eu un résultat positif et que l'on rencontre un pourcentage semblable pour les cas non publiés vous ajoutez ; « Si è avuto un vantagio rispetto alle condizioni precedenti » (4), dans 20 pour 100 des cas seulement on aurait pu obtenir « una visione più o meno vicina alla normale » (5).

Vous signalez pour conclure que dans beaucoup de pays les lois et ordonnances de l'État ne permettent pas une utilisation plus large de la transplantation de la cornée et que, par conséquent, on ne peut pas aider un nombre plus grand d'aveugles ou de ceux qui perdent la vue. Voilà pour ce qui concerne le point de vue médical et technique de votre compétence.

UN PROBLÈME RELIGIEUX ET MORAL

Du point de vue moral et religieux, il n'y a rien à objecter à l'enlèvement de la cornée d'un cadavre, c'est-à-dire aux kératoplasties lamellaires aussi bien que perforantes, quand on les considère en elles-mêmes. Pour qui les reçoit c'est-à-dire le patient, elles représentent une restauration et la correction d'un défaut de naissance ou accidentel. À l'égard du défunt dont on enlève la cornée, on ne l'atteint dans aucun des biens auxquels il a droit ni dans son droit à ces biens. Le cadavre n'est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit, car il est privé de la personnalité qui, seule, peut être sujet de droit. L'extirpation n'est pas non plus l'enlèvement d'un bien : les organes visuels, en effet (leur présence, leur intégrité), n'ont plus dans le cadavre le caractère de biens, parce qu'ils ne lui servent plus et n'ont plus de relation à aucune fin. Cela ne signifie pas du tout qu'à l'égard du cadavre d'un homme il ne pourrait y avoir, ou il n'y ait pas en fait des obligations morales, des prescriptions ou des prohibitions ; cela ne signifie pas non plus que les tiers qui ont le soin du corps, de son intégrité et du traitement dont il sera l'objet, ne puissent céder, ou ne cèdent en fait des droits et des devoirs proprement dits. Bien au contraire. Les kératoplasties, qui ne soulèvent en elles-mêmes aucune objection morale, peuvent aussi par ailleurs ne pas être irréprochables et même être directement immorales.

UN CADAVRE D'HOMME N'EST PAS UNE CHOSE QUELCONQUE. QUELLES RÈGLES IMPOSE SON RESPECT ?

Il faut en premier lieu dénoncer un jugement moralement erroné qui se forme dans l'esprit de l'homme, mais influence d'habitude son comportement externe et consiste à mettre le cadavre humain sur le même plan que celui de l'animal ou qu'une simple chose., Le cadavre animal est utilisable .presque .dans toutes ses parties, on peut en dire autant du cadavre humain considéré de façon purement matérielle, c'est-à-dire dans les éléments dont il se compose.

Pour certains, cette manière de voir constitue le critère dernier de la pensée et le principe dernier de l'action. Une telle attitude comporte une erreur de jugement et une méconnaissance de la psychologie et du sens religieux et moral. Car le cadavre humain mérite qu'on le regarde tout autrement. Le corps était la demeure d'une âme spirituelle et immortelle, partie constitutive essentielle d'une personne humaine dont il partageait, la dignité ; quelque chose de cette dignité s'attache encore lui. On peut dire aussi, puisqu'il est une composante de l'homme, qu'il a été formé « à l'image et à la ressemblance » de Dieu, laquelle va bien au-delà des traces génériques de la ressemblance divine, qu'on retrouve également chez les animaux privés d'intelligence et jusque dans les créatures inanimées purement matérielles. Même au cadavre s'applique d' une manière le mot de l'Apôtre : « Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit qui habite en vous? » (1 Cor, VI, 19).

Enfin, le corps mort est destiné à la résurrection et à la vie éternelle. Tout cela ne vaut pas du corps animal et prouve qu'il ne suffit pas d'envisager des « fins thérapeutiques » pour juger et traiter convenablement le cadavre humain. D'autre part, il est vrai également que la science médicale et la formation des futurs médecins exigent une connaissance détaillée du corps humain et qu'on a besoin du cadavre comme objet d'étude. Les réflexions émises ci-dessus ne s'y opposent pas. On peut poursuivre cette fin légitime en acceptant pleinement ce que Nous venons de dire. De là vient aussi qu'un individu veuille disposer de son cadavre et le destiner à des fins utiles, moralement irréprochables et même élevées (entre autres pour secourir des hommes malades et souffrants). On peut prendre une telle décision au sujet de son propre corps avec la pleine conscience du respect qui lui revient, et en tenant compte des paroles que l'Apôtre adressait aux Corinthiens. Cette décision il ne faut pas la condamner, mais la justifier positivement.

Pensez par exemple au geste de Don Carlo Gnocchi. A moins que les circonstances n'imposent une obligation il faut respecter la liberté et la spontanéité des intéressés ; d'habitude, on ne présentera pas la chose comme un devoir ou un acte de charité obligatoire. Dans la propagande, il faut certainement observer une réserve intelligente pour éviter de sérieux conflits extérieurs et intérieurs. Faut-il, en outre, comme il arrive souvent, refuser en principe tout dédommagement? La question reste posée. Il est hors de doute que de graves abus peuvent s'introduire si l'on exige une rétribution ; mais ce serait aller trop loin que de juger immorale toute acceptation ou toute exigence d'un dédommagement. Le cas est analogue à celui de la transfusion sanguine : c'est un mérite pour le donneur de refuser un dédommagement ; ce n'est pas nécessairement un défaut de l'accepter.

RESPECT DU DROIT DES PERSONNES

L'enlèvement de la cornée, même parfaitement licite en soi, peut aussi devenir illicite s'il viole les droits et les sentiments des tiers à qui incombe le soin du cadavre, les proches parents d'abord ; mais ce pourraient être d'autres personnes en vertu de droits publics ou privés, il ne serait pas humain, pour servir les intérêts de la médecine ou des « buts thérapeutiques », d'ignorer de sentiments si profonds. En général, il ne devrait pas être permis aux médecins d'entreprendre des extirpations ou d'autres interventions sur un cadavre sans l'accord de ceux qui en sont chargés et peut-être même en dépit des objections formulées antérieurement par l'intéressé Il ne serait pas non plus équitable que les corps des patients pauvres, dans les cliniques publiques et les hôpitaux, soient destinés d'office aux services de médecine et de chirurgie, tandis que ceux des patients plus fortunés ne le seraient pas. L'argent et la situation ne devraient pas intervenir quand il s'agit de ménager des sentiments humains aussi délicats. D'autre part, il faut éduquer le public et lui expliquer avec intelligence et respect que consentir expressément à des atteintes sérieuses à l'intégrité du cadavre dans l'intérêt de ceux qui souffrent, n'offense pas la piété due au défunt lorsqu'on a pour cela des raisons valables. Ce consentement peut malgré tout comporter pour les proches parents une souffrance et un sacrifice. Mais ce sacrifice s'auréole de charité miséricordieuse envers des frères souffrants.

CE QUE PEUVENT LES POUVOIRS PUBLICS ET CE QU'ILS NE PEUVENT PAS

Les pouvoirs publics et les lois qui concernent les interventions sur les cadavres doivent en général respecter les mêmes considérations morales et humaines, puisqu'elles s'appuient sur la nature humaine elle-même, laquelle précède la société dans l'ordre de la causalité et de la dignité. En particulier, les pouvoirs publics ont le devoir de veiller à leur mise en pratique, et d'abord de prendre des mesures pour qu'un « cadavre » ne soit pas considéré et traité comme tel avant que la mort n'ait été dûment constatée. Par contre, les pouvoirs publics sont compétents pour veiller aux intérêts légitimes de la médecine et de la formation médicale si l'on soupçonne que la mort est due à une cause criminelle ou s'il y a danger pour la santé publique, il faut que le corps soit livré aux autorités.

Tout cela peut et doit se faire, sans manquer au respect dû au cadavre humain et aux droits des proches parents. Les pouvoirs publics peuvent enfin contribuer efficacement à faire entrer dans l'opinion la conviction de la nécessité et de la licéité morale de certaines dispositions au sujet des cadavres et ainsi prévenir ou écarter l'occasion, de conflits intérieurs et extérieurs dans l'Individu, la famille et la société.

II y a presque deux ans, le 30 septembre 1954, Nous avons déjà exprimé les mêmes idées dans une allocution au VIIIe congrès de l'association médicale internationale et Nous voudrions maintenant répéter et confirmer ce que Nous disions alors dans un bref paragraphe :

« En ce qui concerne l'enlèvement de parties du corps d'un défunt à des fins thérapeutiques, on ne peut pas permettre au médecin de traiter le cadavre comme il le veut. II revient à l'autorité publique d'établir des règles convenables. Mais elle non plus ne peut procéder arbitrairement. Il y a des textes de loi contre lesquels on peut élever de sérieuses objections. Une norme comme celle qui permet au médecin, dans un sanatorium, de prélever des parties du corps à des fins thérapeutiques, tout esprit de lucre étant exclu, n'est pas admissible déjà en raison de la possibilité de l'interpréter trop librement. Il faut aussi prendre en considération les droits et les devoirs de ceux à qui incombe la charge du corps du défunt. Finalement, il faut respecter les exigences de la morale naturelle qui défend de considérer et de traiter le cadavre de l'homme simplement comme une chose ou comme celui d'un animal. » (Discorsi e Radiomessaggi , vol. XVI, p. 176)

Avec l'espoir de vous avoir ainsi donné une orientation plus précise et facilité une compréhension plus profonde des aspects religieux et moraux de ce sujet. Nous vous accordons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.

PIUS PP. XII



Notes

(1) C'est improprement qu'on a appelé greffe l'emploi de tissus fixés (morts et conservés) alors qu'il serait plus exact de parler d'implantation ou d'inclusion d'un tissus mort dans un tissus vivant.
(2) Car, tandis que dans un corps naturel, le principe d'unité unit les parties de telle sorte que chacun manque entièrement de ce qu'on appelle substance propre dans le Corps mystique, au contraire la force de leur conjonction mutuelle, bien qu'intime, relie les membres entre eux de manière à laisser chacun jouir absolument de sa propre personnalité. En outre, si nous regardons le rapport mutuel entre le tout et chacun des membres, dans n'importe quel corps physique vivant, chacun des membres en définitive est uniquement destiné au bien de tout l'organisme : toute société humaine, au contraire pour peu qu'on fasse attention à la fin dernière de son utilité est ordonnée en définitive au profit de tous et de chacun des membres, car ils sont des personnes.
(3) Il est bon que le public sache que les transplantations d'autres tissus de l'œil et encore moins de l'œil entier de l'homme, sont impossibles ; mais qu’il est seulement possible de substituer et en partie seulement, la portion la plus antérieure de l'appareil dioptrique de l'œil.
(4) On a obtenu un avantage par rapport aux conditions précédentes.
(5) Une vision plus ou moins voisine de la normale.





DISCOURS SUR L'ACCOUCHEMENT SANS DOULEUR


8 janvier 1956 (1)



Le dimanche 8 janvier, le Saint-Père a adressé le discours suivant à un grand nombre de médecins spécialistes, pour la plupart professeurs de gynécologie et d'obstétrique dans différentes universités, directeurs d'écoles et de maternités, provenant de diverses provinces d'Italie, ainsi que d'Allemagne, Autriche, Belgique, Colombie, Égypte, Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Hollande, Irlande, Suisse, Tanger, Uruguay. Ils s'étaient rassemblés à l'invitation du Secrétariat international des Médecins catholiques, de l'Association des Médecins catholiques italiens et de l'Institut de Génétique « G. Mendel » de Rome.
Nous avons reçu des informations sur une acquisition nouvelle de la gynécologie et l'on Nous a prié de prendre position à cet égard au point de vue moral et religieux. Il s'agit de l'accouchement naturel, sans douleur, dans lequel on n'utilise aucun moyen artificiel, mais où l'on met uniquement en œuvre les forces naturelles de la mère.

Rappel de déclarations antérieures

Dans Notre allocution aux membres du quatrième congrès international des médecins catholiques, le 29 septembre 1949 (2), Nous disions que le médecin se propose au moins d'adoucir les maux et les souffrances qui affligent les hommes. Nous évoquions alors le chirurgien, qui s'efforce dans les interventions nécessaires d'éviter au maximum la douleur ; le gynécologue, qui tente de diminuer les souffrances de la naissance, sans mettre en danger la mère ni l'enfant et sans nuire aux liens d'affection maternelle qui — affirme-t-on — se nouent d'habitude à ce moment. Cette dernière remarque se référait à un procédé utilisé à l'époque dans la maternité d'une grande ville moderne : pour lui éviter de souffrir, on avait plongé la mère dans une hypnose profonde, mais on constata que ce procédé entraînait une indifférence affective à l'égard de l'enfant. D'aucuns cependant estiment pouvoir expliquer autrement ce fait.
Instruit par cette expérience, on eut soin par la suite d'éveiller la mère plusieurs fois pour quelques moments au cours du travail ; on réussit de la sorte à éviter ce que l'on craignait. Une constatation analogue put être faite lors d'une narcose prolongée.
La nouvelle méthode, dont Nous voulons parler à présent, ne connaît pas ce danger ; elle laisse à la parturiente sa pleine conscience, du début à la fin, et le plein usage de ses forces psychiques (intelligence, volonté, affectivité) ; elle ne supprime, ou, selon d'autres, ne diminue que la douleur.
Quelle position faut-il adopter à son égard au point de vue moral et religieux ?


I. ESQUISSE DE LA NOUVELLE MÉTHODE

1. SES RAPPORTS AVEC L'EXPÉRIENCE DU PASSÉ

D'abord l'accouchement indolore considéré comme fait courant tranche nettement sur l'expérience humaine commune, celle d'aujourd'hui, mais aussi celle du passé et des temps les plus reculés.
Les recherches les plus récentes indiquent que quelques mères mettent au monde sans ressentir aucune douleur, bien qu'on n'ait utilisé aucun analgésique ou anesthésique. Elles montrent aussi que le degré d'intensité des souffrances est moindre chez les peuples primitifs que chez les civilisés ; s'il est moyen en beaucoup de cas, il reste élevé pour la plupart des mères, et même il n'est pas rare qu'il soit insupportable.

Telles sont les observations actuelles


Il faut dire la même chose des âges passés, pour autant que les sources historiques permettent de contrôler le fait. Les douleurs des femmes en travail étaient proverbiales ; on s'y référait pour exprimer une souffrance très vive et angoissante, et la littérature profane aussi bien que religieuse en fournit les preuves. Cette façon de parler est courante, en effet, même dans les textes bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, surtout dans les écrits des prophètes. Nous en citerons ici quelques exemples : Isaïe compare son peuple avec la femme qui, au moment de la naissance, souffre et crie (Is 26, 17) ; Jérémie qui regarde en face l'approche du jugement de Dieu, dit : « J'entends des cris comme ceux d'une femme en travail ; des cris d'angoisse, comme ceux d'une femme qui enfante pour la première fois » (Jr 4, 31). Le soir qui précède sa mort, le Seigneur compare la situation de ses Apôtres à celle de la naissance : « Une mère qui enfante est dans les douleurs, parce que son heure est venue. Mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de sa tribulation, parce qu'elle se réjouit qu'un homme soit venu au monde » (Jn 16, 21).
Tout ceci permet d'affirmer, comme un fait reçu parmi les hommes de jadis et d'aujourd'hui, que la mère enfante dans la douleur. C'est à quoi s'oppose la nouvelle méthode.


2. LA NOUVELLE MÉTHODE CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME

a) Considérations générales préliminaires faites par ses tenants

Deux considérations générales, faites par ses tenants, guident et orientent celui qui veut esquisser ses traits principaux ; la première concerne la différence entre l'activité indolore et l'activité douloureuse des organes et des membres ; l'autre, l'origine de la douleur et son lien avec la fonction organique.
Les fonctions de l'organisme, affirme-t-on, lorsqu'elles sont normales et accomplies comme il faut, ne s'accompagnent pas de sensations douloureuses ; celles-ci dénotent la présence de quelque complication ; sinon la nature se contredirait elle-même, car elle associe la douleur à tel processus de défense et de protection contre ce qui lui serait nuisible. La naissance normale est une fonction naturelle et devrait par conséquent se passer sans douleurs. D'où celle-ci provient-elle donc ?
La sensation de douleur, répond-on, est déclenchée et réglée par l'écorce cérébrale, où parviennent les excitations et les signaux de tout l'organisme. L'organe central réagit sur eux de manières très différentes ; certaines de ces réactions (ou réflexes) reçoivent de la nature un caractère précis et sont associées par elle à des processus déterminés (réflexes absolus) ; pour d'autres, par contre, là nature n'a fixé ni leur caractère ni leurs connexions, mais elles sont déterminées par ailleurs (réflexes conditionnés).
Les sensations de douleur sont au nombre des réflexes (absolus ou conditionnés) provenant de l'écorce cérébrale. L'expérience a prouvé qu'il est possible, grâce à des associations établies arbitrairement, de provoquer des sensations de douleur, même quand l'excitation qui les déclenche en est par elle-même totalement incapable.
Dans les relations humaines, ces réflexes conditionnés ont comme agent des plus efficaces et des plus fréquents, le langage, la parole prononcée ou écrite, ou si l'on veut, l'opinion qui règne dans un milieu et que tout le monde partage et exprime par le langage.

b) Éléments de la nouvelle méthode

On comprend par là l'origine des sensations douloureuses vives ressenties à la naissance : elles sont considérées par certains auteurs comme dues à des réflexes conditionnés contrariants déclenchés par des complexes idéologiques et affectifs erronés.
Les disciples du Russe Pavlov (physiologistes, psychologues, gynécologues), mettant à profit les recherches de leur maître sur les réflexes conditionnés, présentent en substance la question comme suit :

Son fondement

L'accouchement n'a pas toujours été douloureux, mais il l'est devenu au cours des temps à cause des « réflexes conditionnés ». Ceux-ci ont pu avoir leur origine dans un premier accouchement douloureux ; peut-être l'hérédité y joue-t-elle aussi un rôle, mais ce ne sont là que des facteurs secondaires. Le motif principal en est le langage et l'opinion du milieu qu'il manifeste : la naissance, dit-on, est « l'heure difficile de la mère », elle est une torture imposée par la nature, qui livre la mère sans défense à des souffrances insupportables. Cette association, créée par le milieu, provoque la crainte de la naissance et la crainte des douleurs terribles qui l'accompagnent. Ainsi, quand les contractions musculaires de l'utérus se font sentir au début de l'accouchement, surgit la réaction de défense de la douleur ; cette douleur provoque une crampe musculaire et celle-ci, à son tour, un accroissement des douleurs. Les douleurs sont donc réelles, mais elles découlent d'une cause faussement interprétée. À la naissance ce qui est un fait, ce sont les contractions normales de l'utérus et les sensations organiques qui l'accompagnent ; mais ces sensations ne sont pas interprétées par les organes centraux pour ce qu'elles sont : de simples fonctions naturelles ; en vertu des réflexes conditionnés, et en particulier de la « crainte » extrême, elles dérivent vers le domaine des sensations douloureuses.

Son but

Telle serait la genèse des douleurs puerpérales.
On voit par là quels seront le but et la tâche de l'obstétrique indolore. Appliquant les connaissances scientifiques acquises, elle doit d'abord dissocier les sensations normales des contractions de l'utérus et les réactions de douleur de l'écorce cérébrale. De cette manière on supprime les réflexes négatifs.

Son application pratique

Quant à l'application pratique, elle consiste à donner d'abord aux mères (longtemps avant l'époque de la naissance) un enseignement approfondi, adapté à leurs capacités intellectuelles, sur les processus naturels qui se déroulent en elles pendant la grossesse, et en particulier pendant l'accouchement. Ces processus naturels, elles les connaissaient déjà en quelque sorte, mais le plus souvent sans en percevoir clairement l'enchaînement. Aussi beaucoup de choses restaient-elles encore enveloppées d'une obscurité mystérieuse et prêtaient même à de fausses interprétations. Les réflexes conditionnés caractéristiques acquéraient aussi une force d'action considérable, tandis que l'angoisse et la crainte y trouvaient un aliment constant. Tous ces éléments négatifs seraient éliminés par l'enseignement susdit.
En même temps on adresse à la volonté et au sentiment de la mère un appel répété pour ne pas laisser surgir des sentiments de crainte non-fondés et qu'on leur a montrés tels ; il faut aussi rejeter une impression de douleur, qui tendrait peut-être à se manifester, mais qui, en tout cas, n'est pas justifiée et ne repose, comme on le leur a enseigné, que sur une fausse interprétation des sensations organiques naturelles de l'utérus qui se contracte. Les mères sont surtout amenées à estimer la grandeur naturelle et la dignité de ce qu'elles accomplissent à l'heure de la parturition. On leur donne aussi des explications techniques détaillées sur ce qu'il importe de faire pour assurer le bon déroulement de la naissance ; on leur apprend par exemple comment actionner exactement la musculature, comment bien respirer. Cet enseignement prend surtout la forme d'exercices pratiques pour que la technique leur soit devenue familière au moment de la naissance. Il s'agit donc de guider les mères et de les mettre en état de ne pas subir l'accouchement de façon purement passive comme un processus fatal, mais d'adopter une attitude active, de l'influencer par l'intelligence, la volonté, l'affectivité, de la mener à terme dans le sens voulu par la nature et avec elle.
Pendant la durée du travail, la mère n'est pas laissée à elle-même ; elle profite de l'assistance et du contrôle permanent d'un personnel formé selon les nouvelles techniques et qui lui rappelle ce qu'elle a appris, lui indique au moment voulu ce qu'elle doit faire, éviter, modifier et qui, éventuellement, redresse tout de suite ses erreurs, et l'aide à corriger les anomalies qui se présenteraient.
Telle est pour l'essentiel, selon les chercheurs russes, la théorie et la pratique de l'accouchement sans douleur.
De son côté, l'Anglais Grantly Dick Read a mis au point une théorie et une technique analogue sur un certain nombre de points ; dans ses présupposés philosophiques et métaphysiques toutefois, il s'en écarte substantiellement, car il ne s'appuie pas comme eux sur la conception matérialiste.

Extension et succès

En ce qui concerne l'extension et le succès de la nouvelle méthode (appelée méthode psycho-prophylactique), on prétend qu'en Russie et en Chine elle a déjà été utilisée pour des centaines de milliers de cas. Elle s'est implantée aussi en divers pays de l'Occident ; plusieurs maternités municipales auraient mis à sa disposition des sections particulières. Les maternités organisées exclusivement selon ces principes seraient jusqu'à présent peu nombreuses en Occident ; la France, entre autres, en a une (communiste) à Paris ; en France également deux institutions catholiques, à Jallieu et Cambrai, ont adopté complètement la méthode dans leurs services, sans sacrifier ce qui avait fait ses preuves antérieurement.
Quant au succès, on affirme qu'il est très important : 85% à 90% des naissances survenues de la sorte auraient été réellement indolores.


II. APPRÉCIATION DE LA NOUVELLE MÉTHODE

1. APPRÉCIATION SCIENTIFIQUE

Après avoir ainsi tracé l'esquisse de cette méthode, Nous passons à son appréciation. Dans la documentation qui Nous a été remise, on trouve cette note caractéristique : « Pour le personnel, la première exigence indispensable, c'est la foi inconditionnée à la méthode. » Peut-on sur la base de résultats scientifiques assurés exiger une foi absolue de ce genre ?
La méthode contient sans doute des éléments, qu'il faut considérer comme scientifiquement établis ; d'autres n'ont qu'une haute probabilité ; d'autres restent encore (au moins pour le moment) de nature problématique.
Il est établi scientifiquement qu'il existe des réflexes conditionnés en général ; que des représentations déterminées ou des états affectifs peuvent être associés à certains événements, et que le cas peut se vérifier aussi pour les sensations de douleur. Mais qu'il soit déjà prouvé (ou du moins, qu'il puisse être prouvé par là) que les douleurs de la délivrance sont dues uniquement à cette cause, ce n'est pas évident pour tous à l'heure actuelle. Des juges sérieux formulent aussi des réserves au sujet de l'axiome affirmé quasi a priori ; « tous les actes physiologiques normaux, et donc aussi la naissance normale, doivent se passer sans douleur, sinon la nature se contredirait elle-même ». Ils n'admettent pas qu'il soit universellement valable sans exception, ni que la nature se contredirait, si elle avait fait de la parturition un acte intensément douloureux.
En effet, disent-ils, il serait parfaitement compréhensible, physiologiquement et psychologiquement, que la nature, soucieuse de la mère qui engendre et de l'enfant engendré, fasse par là prendre conscience d'une manière inéluctable de l'importance de cet acte et veuille forcer à prendre les mesures requises pour la mère et pour l'enfant.
La vérification scientifique de ces deux axiomes, que les uns prétendent certains et les autres discutables, laissons-la aux spécialistes compétents ; mais il faut, pour décider du vrai et du faux, retenir le critère objectif décisif : « Le caractère scientifique et la valeur d'une découverte doivent s'apprécier exclusivement d'après son accord avec la réalité objective. » Il importe de ne pas négliger ici la distinction entre « vérité » et « affirmation » (« interprétation », « subsomption », « systématisation ») de la vérité. Si la nature a rendu l'accouchement indolore dans la réalité des faits, s'il est devenu douloureux par la suite à cause des réflexes conditionnés, s'il peut redevenir indolore, si tout cela n'est pas seulement affirmé, interprété, construit systématiquement, mais démontré réel, il s'ensuit que les résultats scientifiques sont vrais. S'il n'est pas, ou du moins pas encore possible d'obtenir à cet égard une certitude entière, il faut s'abstenir de toute affirmation absolue et considérer les conclusions obtenues comme des « hypothèses » scientifiques.
Mais, renonçant pour l'instant à porter un jugement définitif sur le degré de certitude scientifique de la méthode psychoprophylactique, Nous allons l'examiner au point de vue moral.

2. APPRÉCIATION ÉTHIQUE

Cette méthode est-elle moralement irréprochable ? La réponse, qui doit en considérer l'objet, le but et le motif, s'énonce brièvement : « Prise en soi, elle ne contient rien de critiquable au point de vue moral. »
L'enseignement donné sur le travail de la nature dans l'accouchement ; la correction de l'interprétation fausse des sensations organiques et l'invitation à la corriger ; l'influence exercée pour écarter l'angoisse et la crainte non fondées ; l'aide accordée pour que la parturiente collabore opportunément avec la nature, garde son calme et sa maîtrise ; une conscience accrue de la grandeur de la maternité en général, et en particulier de l'heure où la mère met l'enfant au monde ; tout cela ce sont des valeurs positives, auxquelles il n'y a rien à reprocher, des bienfaits pour la parturiente, et ils sont pleinement conformes à la volonté du Créateur. Ainsi vue et comprise, la méthode est une ascèse naturelle, qui garde la mère de la superficialité et de la légèreté ; elle influence positivement sa personnalité pour qu'à l'heure si importante de l'enfantement, elle manifeste la fermeté et la solidité de son caractère. Sous d'autres aspects encore, la méthode peut conduire à des succès moraux positifs. Si on réussit à éliminer les douleurs et la crainte de la naissance, on diminue souvent par là-même une incitation à commettre des actions immorales dans l'utilisation des droits du mariage.
En ce qui concerne les motifs et le but des secours accordés à la parturiente, l'action matérielle, comme telle, ne comporte aucune justification morale, ni positive ni négative ; elle est l'affaire de celui qui prête son aide.
Elle peut et doit s'accomplir pour des motifs et en vue d'un but irréprochable, tel que l'intérêt présenté par un fait purement scientifique ; le sentiment naturel et noble qui fait estimer et aimer dans la mère la personne humaine, qui veut lui faire du bien et l'assister ; une disposition profondément religieuse et chrétienne, qui s'inspire des idéaux du christianisme vivant. Mais il peut arriver que l'assistance recherche un but et obéisse à des motifs immoraux ; en ce cas, c'est l'activité personnelle de celui qui prête son aide qui en subit le préjudice ; le motif immoral ne transforme pas l'assistance bonne en une chose mauvaise, du moins en ce qui concerne sa structure objective et, inversement, une assistance bonne en soi ne peut pas justifier un motif mauvais ou fournir la preuve de sa bonté.

3. APPRÉCIATION THÉOLOGIQUE

Il reste à dire un mot d'appréciation théologique et religieuse, pour autant qu'on la distingue de la valeur morale au sens strict. La nouvelle méthode est souvent présentée dans le contexte d'une philosophie et d'une culture matérialistes et en opposition avec l'Écriture Sainte et le christianisme.
L'idéologie d'un chercheur et d'un savant n'est pas en soi une preuve de la vérité et de la valeur de ce qu'il a trouvé et exposé. Le théorème de Pythagore ou (pour rester dans le domaine de la médecine), les observations d'Hippocrate qu'on a reconnues exactes, les découvertes de Pasteur, les lois de l'hérédité de Mendel, ne doivent pas la vérité de leur contenu aux idées morales et religieuses de leurs auteurs. Elles ne sont ni « païennes », parce que Pythagore et Hippocrate étaient païens, ni chrétiennes, parce que Pasteur et Mendel étaient chrétiens. Ces acquisitions scientifiques sont vraies, parce que et dans la mesure où elles répondent à la réalité objective.
Même un chercheur matérialiste peut faire une découverte scientifique réelle et valable ; mais cet apport ne constitue en aucune manière un argument pour ses idées matérialistes.
Le même raisonnement vaut pour la culture à laquelle un savant appartient. Ses découvertes ne sont pas vraies ou fausses selon qu'il est issu de telle ou telle culture, dont il a reçu l'inspiration et qui l'a marqué profondément.
Les lois, la théorie et la technique de l'accouchement naturel, sans douleur, sont valables sans doute, mais furent élaborées par des savants qui, en bonne partie, professent une idéologie, appartiennent à une culture matérialiste ; celles-ci ne sont pas vraies, parce que les résultats scientifiques précités le sont. Il est encore beaucoup moins exact que les résultats scientifiques sont vrais et démontrés tels, parce que leurs auteurs et les cultures d'où ils proviennent ont une orientation matérialiste. Les critères de la vérité sont ailleurs.
Le chrétien convaincu ne trouve rien dans ses idées philosophiques et sa culture qui l'empêche de s'occuper sérieusement, en théorie et en pratique, de la méthode psycho-prophylactique ; il sait en règle générale que la réalité et la vérité ne sont pas identiques à leur interprétation, subsomption ou systématisation et que, par conséquent, il peut en même temps accepter entièrement l'un et rejeter entièrement l'autre.

4. LA NOUVELLE MÉTHODE ET L'ÉCRITURE SAINTE

Une critique de la nouvelle méthode au point de vue théologique doit en particulier rendre compte de l'Écriture Sainte, car la propagande matérialiste prétend trouver une contradiction éclatante entre la vérité de la science et celle de l'Écriture. Dans la Genèse (Gen. III, 16) on lit : In dolores paries filios (« Tu enfanteras dans la douleur »). Pour bien comprendre cette parole, il faut considérer la condamnation portée par Dieu dans l'ensemble de son contexte. En infligeant cette punition aux premiers parents et à leur descendance, Dieu ne voulait pas défendre et n'a pas défendu aux hommes de rechercher et d'utiliser toutes les richesses de la création ; de faire avancer pas à pas la culture ; de rendre la vie de ce monde plus supportable et plus belle ; d'alléger le travail et la fatigue, la douleur, la maladie et la mort, bref de se soumettre la terre (Gen. I, 28).
De même, en punissant Ève, Dieu n'a pas voulu défendre et n'a pas défendu aux mères d'utiliser les moyens qui rendent l'accouchement plus facile et moins douloureux. Aux paroles de l'Écriture, il ne faut pas chercher d'échappatoire : elles restent vraies dans le sens entendu et exprimé par le Créateur : la maternité donnera beaucoup à supporter à la mère. De quelle manière précise Dieu a-t-il conçu ce châtiment et comment l'exécutera-t-il ? L'Écriture ne le dit pas. Certains prétendent que l'enfantement fut, aux origines, entièrement indolore et ne devint douloureux que plus tard (peut-être à la suite d'une interprétation erronée du jugement de Dieu), par le jeu de l'auto et de l'hétérosuggestion, des associations arbitraires, des réflexes conditionnés et à cause des comportements fautifs des parturientes ; jusqu'ici, toutefois, ces affirmations dans leur ensemble n'ont pas été prouvées. D'autre part, il peut être vrai qu'un comportement incorrect, psychique ou physique, des parturientes, soit susceptible d'accroître fortement les difficultés de la naissance et les ait accrues en réalité.

Considérations finales sur l'obstétrique chrétienne

En guise de conclusion, ajoutons quelques remarques sur l'obstétrique chrétienne.

La charité chrétienne s'est depuis toujours occupée des mères à l'heure de l'accouchement ; elle s'est efforcée et s'efforce aujourd'hui encore de leur procurer une assistance efficace, psychique et physique, selon l'état d'avancement de la science et de la technique. Ce peut être le cas à présent pour les nouvelles acquisitions de la méthode psycho-prophylactique dans la mesure où elles rencontrent l'approbation des savants sérieux.

L'obstétrique chrétienne peut ici intégrer dans ses principes et ses méthodes tout ce qui est correct et justifié.
Toutefois, qu'elle ne s'en contente pas pour les personnes susceptibles de recevoir davantage, et qu'elle n'abandonne rien des valeurs religieuses qu'elle mettait à profit jusqu'à présent. Dans Notre allocution au Congrès de l'Association italienne des sages-femmes catholiques, le 29 octobre 1951 (3), Nous avons parlé en détail de l'apostolat, dont les sages-femmes catholiques sont capables et qu'elles sont appelées à pratiquer dans leur profession ; entre autres, Nous mentionnions l'apostolat personnel, c'est-à-dire celui qu'elles exercent par le moyen de leur science et de leur art et par la solidité de leur foi chrétienne ; puis l'apostolat de la maternité en s'efforçant de rappeler aux mères sa dignité, son sérieux et sa grandeur. Ici s'applique ce que Nous avons dit aujourd'hui, puisqu'elles assistent la mère à l'heure de la naissance. La mère chrétienne puise dans sa foi et sa vie de grâce la lumière et la force pour mettre en Dieu une pleine confiance, se sentir sous la protection de la Providence et aussi pour accepter volontiers ce que Dieu lui donne à supporter ; il serait donc dommage que l'obstétrique chrétienne se borne à lui rendre des services d'ordre purement naturel, psycho-prophylactiques.

Deux points méritent d'être soulignés : le christianisme n'interprète pas la souffrance et la croix de façon purement négative. Si la nouvelle technique lui épargne les souffrances de l'accouchement ou les adoucit, la mère peut l'accepter sans aucun scrupule de conscience ; mais elle n'y est pas obligée. En cas d'un succès partiel ou d'échec, elle sait que la souffrance peut devenir une source de bien, si on la supporte avec Dieu et par obéissance à sa volonté. La vie et la souffrance du Seigneur, les douleurs que tant de grands hommes ont supportées et même cherchées, grâce auxquelles ils ont mûri, grandi jusqu'aux sommets de l'héroïsme chrétien, les exemples quotidiens d'acceptation résignée de la croix, que Nous avons sous les yeux, tout cela révèle la signification de la souffrance, de l'acceptation patiente de la douleur dans l'économie actuelle du salut, pendant le temps de cette vie terrestre.

Une deuxième remarque. La pensée et la vie chrétiennes, et donc l'obstétrique chrétienne, n'attribuent pas une valeur absolue aux progrès de la science et aux raffinements de la technique. Par contre une pensée et une conception de vie d'inspiration matérialiste trouvent cette position naturelle : elle leur sert de religion ou de succédané de la religion. Bien qu'il applaudisse aux nouvelles découvertes scientifiques et les utilise, le chrétien rejette toute apothéose matérialiste de la science et de la culture.
Il sait que celles-ci occupent une place sur l'échelle objective des valeurs, mais que sans être la dernière, ce n'est pas non plus la première. Même à leur égard, il répète aujourd'hui, comme jadis et comme toujours :
« Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Matth. VI, 33). La plus haute, l'ultime valeur de l'homme, elle se trouve, non dans sa science et ses capacités techniques, mais dans l'amour de Dieu et le dévouement à son service. Pour ces raisons, mis en face de la découverte scientifique de l'accouchement sans douleur, le chrétien se garde de l'admirer sans retenue et de l'utiliser avec un empressement exagéré ; il la juge d'une façon positive et réfléchie, à la lumière de la saine raison naturelle, et à celle, plus vive, de la foi et de l'amour, qui émane de Dieu et de la croix du Christ.



Notes

(1) D'après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 82.
(2) Discorsi e Radiomessaggi, vol. XI, pp. 221-234 ; Documents Pontificaux 194g, p. 407.
(3) Discorsi e Radiomessaggi, vol. XIII, pp. 333-353 ; Documents Pontificaux 1951, p. 470.






DISCOURS EN RÉPONSE À TROIS QUESTIONS

DE MORALE MÉDICALE SUR LA RÉANIMATION


(24 novembre 1957)




Le Docteur Bruno Haid, chef de la section d'anesthésie à la clinique chirurgicale universitaire d'Innsbruck, Nous a soumis trois questions de morale médicale au sujet de ce qu'on appelle « la réanimation ». Il Nous est agréable, Messieurs, de répondre à ce désir, qui manifeste la haute conscience que vous avez de vos devoirs professionnels et la volonté de résoudre les problèmes délicats, qui se posent à vous à la lumière des principes de l'Évangile.

D'après l'exposé du Dr Haid, l'anesthésiologie moderne s'occupe non seulement des problèmes d'analgésie et d'anesthésie - proprement dite, mais aussi de la « réanimation ». On désigne ainsi en médecine, et particulièrement en anesthésiologie, la technique susceptible de remédier à certains incidents menaçant gravement la vie humaine, en particulier les asphyxies qui, auparavant, lorsqu'on ne disposait pas de l'équipement anesthésiologique moderne, conduisaient en quelques minutes à l'arrêt du cœur et à la mort. La tâche de l'anesthésiologue s'étend ainsi aux difficultés respiratoires aiguës, provoquées par la strangulation ou conditionnées par des blessures thoraco-pulmonaires ouvertes ; il intervient pour empêcher l'asphyxie due à l'obstruction interne des voies respiratoires par le contenu stomacal ou par noyade, pour remédier à la paralysie respiratoire totale ou partielle en cas de tétanos grave, de paralysie infantile, d'empoisonnement par le gaz, les hypnotiques ou l'ivresse, ou même en cas de paralysie respiratoire centrale provoquée par des traumatismes crâniens graves.

Lorsqu'on pratique la réanimation et le traitement de ces blessés du crâne, et parfois des opérés au cerveau, ou de ceux qui ont subi des traumatismes cervicaux par anoxie et restent plongés dans une profonde inconscience, surgissent des questions, qui intéressent la morale médicale et mettent en jeu les principes de la philosophie de la nature plus encore que celles de l'analgésie. Ainsi il arrive que l'anesthésiologue puisse, comme dans les accidents et maladies indiqués plus haut, et dont le traitement offre des chances suffisantes de succès, améliorer l'état général de patients souffrant de lésion grave du cerveau et dont le cas, dès le début, apparaissait désespéré : il rétablit la respiration, soit par intervention manuelle, soit à l'aide d'appareils spéciaux, libère les voies respiratoires et pourvoit à l'alimentation artificielle du patient. Grâce à cette thérapeutique, en particulier par l'administration d'oxygène au moyen de la respiration artificielle, la circulation défaillante reprend et l'aspect du patient s'améliore, souvent très vite, au point que l'anesthésiologue lui-même, ou tout autre médecin qui, se fiant à son expérience, aurait abandonné la partie, continue à caresser un léger espoir de voir se rétablir la respiration spontanée. La famille considère d'habitude cette amélioration comme un résultat étonnant, dont elle sait gré au médecin.

Si la lésion du cerveau est tellement grave, qu'il est très probable, et même pratiquement certain, que le patient ne survivra pas, l'anesthésiologue en vient à se poser la question angoissante de la valeur et du sens des manœuvres de réanimation. Pour gagner du temps et prendre avec plus de sûreté les décisions ultérieures, il appliquera immédiatement la respiration artificielle avec intubation et nettoyage des voies respiratoires. Mais il peut alors se trouver dans une situation délicate, si la famille considère ces efforts comme inconvenants et vient à s'y opposer. La plupart du temps, cela se produit non au début des tentatives de réanimation, mais lorsque l'état du patient, après une légère amélioration, ne progresse plus, et quand il est clair que seule la respiration artificielle automatique le maintient en vie. On se demande alors, si l'on doit, ou si l'on peut, poursuivre la tentative de réanimation, bien que l'âme ait peut-être déjà quitté le corps.

La solution de ce problème, déjà difficile en soi, le devient encore plus, lorsque la famille — catholique elle-même peut-être — contraint le médecin traitant, et particulièrement l'anesthésiologue, à enlever l'appareil de respiration artificielle, afin de permettre au patient, déjà virtuellement mort, de s'en aller en paix. De là découle une question fondamentale au point de vue religieux et pour la philosophie de la nature : selon la foi chrétienne, quand la mort est-elle survenue chez les patients, pour lesquels on a utilisé les procédés modernes de réanimation ? L'Extrême-onction est-elle valide, du moins aussi longtemps que l'on peut constater une action cardiaque, même si les fonctions vitales proprement dites ont disparu déjà, et si la vie ne dépend plus que du fonctionnement d'un appareil respiratoire ?

Les problèmes qui se posent dans la pratique moderne de la réanimation peuvent donc se formuler en trois questions : d'abord a-t-on le droit, ou même l'obligation, d'utiliser les appareils modernes de respiration artificielle dans tous les cas, même dans ceux qui, au jugement du médecin, sont considérés comme complètement désespérés ? En second lieu, a-ton le droit ou l'obligation d'enlever l'appareil respiratoire, quand, après plusieurs jours, l'état d'inconscience profonde ne s'améliore pas, tandis que, si on l'enlève, la circulation s'arrêtera en quelques minutes ? Que faut-il faire, dans ce cas, si la famille du patient, qui a reçu les derniers sacrements, pousse le médecin à enlever l'appareil ? L'Extrême-onction est-elle encore valide à ce moment ? — Troisièmement, un patient plongé dans l'inconscience par paralysie centrale, mais dont la vie — c'est-à-dire la circulation sanguine — se maintient grâce à la respiration artificielle, et chez lequel aucune amélioration n'intervient après plusieurs jours, doit-il être considéré comme mort « de facto », ou même « de jure » ? Ne faut-il pas attendre, pour le considérer comme mort, que la circulation sanguine s'arrête en dépit de la respiration artificielle ?

Nous répondrons bien volontiers à ces trois questions, mais, avant de les examiner, Nous voudrions exposer les principes, qui permettront de formuler la réponse.

La raison naturelle et la morale chrétienne disent que l'homme (et quiconque est chargé de prendre soin de son semblable) a le droit et le devoir, en cas de maladie grave, de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé. Ce devoir, qu'il a envers lui-même, envers Dieu, envers la communauté humaine, et le plus souvent envers certaines personnes déterminées, découle de la charité bien ordonnée, de la soumission au Créateur, de la justice sociale et même de la justice stricte, ainsi que de la piété envers sa famille. Mais il n'oblige habituellement qu'à l'emploi des moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d'époques, de culture), c'est-à-dire des moyens qui n'imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. Une obligation plus sévère serait trop lourde pour la plupart des hommes, et rendrait trop difficile l'acquisition de biens supérieurs plus importants. La vie, la santé, toute l'activité temporelle, sont en effet subordonnées à des fins spirituelles. Par ailleurs, il n'est pas interdit de faire plus que le strict nécessaire pour conserver la vie et la santé, à condition de ne pas manquer à des devoirs plus graves.

Quant au fait d'administrer les sacrements à un homme plongé dans l'inconscience, la réponse découle de la doctrine et de la pratique de l'Église, qui, pour sa part, suit comme règle d'action la volonté du Seigneur. Les sacrements sont destinés, en vertu de l'institution divine, aux hommes de ce monde, pendant la durée de leur vie terrestre et, à l'exception du baptême lui-même, présupposent le baptême chez celui qui les reçoit. Celui, qui n'est pas un homme, qui ne l'est pas encore, ou ne l'est plus, ne peut recevoir les sacrements. Par ailleurs, si quelqu'un manifeste son refus, on ne peut les lui administrer contre son gré. Dieu ne force personne à accepter la grâce sacramentelle. Quand on ignore, si quelqu'un remplit les conditions requises pour recevoir validement le sacrement, il faut tâcher de résoudre le doute. En cas d'échec, on conférera le sacrement sous condition, au moins tacite (avec la clause, « Si capax es », qui est la plus large). Les sacrements sont institués par le Christ pour les hommes, afin de sauver leur âme ; aussi, en cas d'extrême nécessité, l'Église tente les solutions extrêmes pour communiquer à un homme la grâce et les secours sacramentels.

La question du fait de la mort, et celle de la constatation, soit du fait lui-même (« de facto »), soit de son authenticité juridique (« de jure »), ont par leurs conséquences, même sur le terrain de la morale et de la religion, une portée encore plus large. Ce que Nous venons de dire sur les présupposés essentiels de la réception valide d'un sacrement, l'a montré ; mais l'importance de la chose s'étend aussi aux effets en matière d'héritage, aux affaires de mariage et aux procès matrimoniaux, aux questions de bénéfices (vacance d'un bénéfice) et à beaucoup d'autres questions de la vie privée et sociale.

Il appartient au médecin, et particulièrement à l'anesthésiologue, de donner une définition claire et précise de la « mort » et du « moment de la mort » d'un patient, qui décède en état d'inconscience. Pour cela, on peut reprendre le concept usuel de séparation complète et définitive de l'âme et du corps ; mais en pratique on tiendra compte de l'imprécision des termes de « corps » et de « séparation ». On peut négliger la possibilité qu'un homme soit enterré vivant, puisque l'enlèvement de l'appareil respiratoire doit après quelques minutes provoquer l'arrêt de la circulation et donc la mort.

En cas de doute insoluble, on peut aussi recourir aux présomptions de droit et de fait. En général, on s'arrêtera à celle de la permanence de la vie, parce qu'il s'agit d'un droit fondamental reçu du Créateur et dont il faut prouver avec certitude qu'il est perdu.

Nous passons maintenant à la solution des questions particulières.

1. L'anesthésiologue a-t-il le droit, ou même est-il obligé dans tous les cas d'inconscience profonde, même dans ceux qui sont complètement désespérés au jugement d'un médecin compétent, d'utiliser les appareils modernes de respiration artificielle, même contre la volonté de la famille ?

Dans les cas ordinaires, on concédera que l'anesthésiologue a le droit d'agir ainsi, mais il n'en a pas l'obligation, à moins que ce soit l'unique moyen de satisfaire à un autre devoir moral certain. Les droits et les devoirs du médecin sont corrélatifs à ceux du patient. Le médecin, en effet, n'a pas à l'égard du patient, de droit séparé ou indépendant ; en général, il ne peut agir, que si le patient l'y autorise explicitement ou implicitement (directement ou indirectement). La technique de réanimation, dont il s'agit ici, ne contient en soi rien d'immoral ; aussi le patient — s'il était capable de décision personnelle — pourrait-il l'utiliser licitement et, par conséquent, en donner l'autorisation au médecin. Par ailleurs, comme ces formes de traitement dépassent les moyens ordinaires, auxquels on est obligé de recourir, on ne peut soutenir qu'il soit obligatoire de les employer et, par conséquent, d'y autoriser le médecin.

Les droits et les devoirs de la famille, en général, dépendent de la volonté présumée du patient inconscient, s'il est majeur et « sui juris ». Quant au devoir propre et indépendant de la famille, il n'oblige habituellement qu'à l'emploi des moyens ordinaires. Par conséquent, s'il apparaît que la tentative de réanimation constitue en réalité pour la famille une telle charge qu'on ne puisse pas en conscience la lui imposer, elle peut licitement insister pour que le médecin interrompe ses tentatives, et le médecin peut licitement lui obtempérer. Il n'y a en ce cas aucune disposition directe de la vie du patient, ni euthanasie, ce qui ne serait jamais licite ; même quand elle entraîne la cessation de la circulation sanguine, l'interruption des tentatives de réanimation n'est jamais qu'indirectement cause de la cessation de la vie, et il faut appliquer dans ce cas le principe du double effet et celui du « voluntarium in causa ».

2. Ainsi avons-Nous déjà répondu pour l'essentiel à la deuxième question : « Le médecin peut-il enlever l'appareil respiratoire avant que ne se produise l'arrêt définitif de la circulation ? — Le peut-il du moins lorsque le patient a déjà reçu l'Extrême-onction ? — Celle-ci est-elle valide, quand on l'administre au moment où la circulation s'arrête, ou même après ? ».

Il faut répondre affirmativement à la première partie de cette question, comme Nous l'avons déjà expliqué. Si l'on n'a pas encore administré l'Extrême-onction, que l'on tâche de prolonger encore la respiration jusqu'à ce que ce soit fait. Quant à savoir si l'Extrême-onction est valide au moment de l'arrêt définitif de la circulation, ou même après celui-ci, il est impossible de répondre par « oui » ou « non ». Si cet arrêt définitif signifiait, de l'avis des médecins, la séparation certaine de l'âme et du corps, même si certains organes particuliers continuaient à fonctionner, l'Extrême-onction serait certainement invalide, car celui qui la reçoit ne serait certainement plus un homme. Or c'est là une condition indispensable à la réception des sacrements. Si par contre les médecins estiment que la séparation du corps et de l'âme est douteuse et que ce doute est insoluble, la validité de l'Extrême-onction est douteuse elle aussi. Mais appliquant ses règles habituelles : « Les sacrements sont pour les hommes » et « En cas d'extrême nécessité, on tente les mesures extrêmes », l'Église permet d'administrer le sacrement, sous condition toutefois, par respect pour le signe sacramentel.

3. « Quand la circulation sanguine et la vie d'un patient profondément inconscient à cause d'une paralysie centrale ne sont maintenues que par la respiration artificielle, sans qu'aucune amélioration se manifeste après quelques jours, à quel moment l'Église catholique considère-t-elle ce patient comme « mort » ou doit-on, selon les lois naturelles, le déclarer « mort » (question « de facto » et « de jure ») ? ».

(La mort est-elle déjà intervenue après le traumatisme crânien grave, qui a provoqué l'inconscience profonde et la paralysie respiratoire centrale, dont les conséquences immédiatement mortelles ont pu toutefois être retardées par le moyen de la respiration artificielle ? — ou se produit-elle, selon l'opinion actuelle des médecins, seulement lors de l'arrêt définitif de la circulation, en dépit de la respiration artificielle prolongée ?).

En ce qui concerne la constatation du fait dans les cas particuliers, la réponse ne peut se déduire d'aucun principe religieux et moral et, sous cet aspect, n'appartient pas à la compétence de l'Église. En attendant, elle restera donc ouverte. Mais des considérations d'ordre général permettent de croire que la vie humaine continue aussi longtemps que ses fonctions vitales — à la différence de la simple vie des organes — se manifestent spontanément ou même à l'aide de procédés artificiels. Un bon nombre de ces cas font l'objet d'un doute insoluble, et doivent être traités d'après les présomptions de droit et de fait, dont Nous avons parlé.

Puissent ces explications vous guider et vous éclairer, lorsque vous tenterez de résoudre les questions délicates qui se posent dans la pratique de votre profession. En gage des faveurs divines que Nous appelons sur vous-mêmes, et sur tous ceux qui vous sont chers, Nous vous accordons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.


PIE XII, Pape.






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