La coopératrice de St. François de Sales, dans l'établissement de l'ordre de la Visitation, fut la bienheureuse mère de Chantal. Sainte fille, sainte femme, sainte veuve, sainte religieuse et conséquemment modèle singulièrement fait pour les personnes de son sexe : puisqu'elle leur présente les plus parfaits exemples, dans toutes les conditions où elles peuvent se trouver.
Elle naquit à Dijon le 23 Janvier 1572. Elle était fille de Benigne Fremiot, président à Mortier au parlement de Bourgogne et de Marguerite de Berbisey, dont la postérité se trouve encore aujourd'hui alliée aux premières maisons de France.
On peut dire qu'elle anticipa les leçons de St. François de Sales, en établissant l'édifice de sa sanctification, précisément sur les principes de ce St. Évêque dont elle devait être un jour la fille chérie. Avec une solidité d'esprit et un jugement rare, on vit en elle, dès sa plus tendre jeunesse, l'attachement le plus parfait à tous les devoirs de son état, une innocence admirable et un zèle pour la Foi Catholique, qui dès l'enfance lui fit détester les hérétiques, et refuser ensuite absolument un mariage avantageux qu'on lui offrait avec un gentilhomme Calviniste.
Mariée au baron de Chantal, aîné de la maison de Rabutin, elle devint le modèle des épouses, comme elle l'avait été des filles de qualité. Elle régla sa maison de la manière la plus chrétienne, mérita et conserva toute la tendresse de son époux, par sa sagesse et sa complaisance ; devint la mère des pauvres, la ressource de tous les affligés, et le château de Bourbilli, où elle faisait sa résidence, présenta le modèle le plus parfait d'une maison chrétienne. Mais Dieu avait d'autres vues sur elle. Jaloux d'un pareil cœur, il n'y put souffrir de partage. Le baron de Chantal fut tué à la chasse par son meilleur ami, qui, trompé par la couleur de son habit, le prit pour une bête fauve. Il fut rapporté à son château blessé à mort, et son épouse qui, malgré sa vive douleur, lui servit de garde, de médecin et de directeur, eut la consolation de le voir mourir dans les sentiments les plus chrétiens.
Demeurée veuve à l'âge de 28 ans, elle tourna plus que jamais son cœur du côté de Dieu. Pour marquer le pardon sincère qu'elle accordait à celui qui avait tué son mari, elle consentit à présenter au Baptême un de ses enfants. Elle distribua tous ses habits aux pauvres, fit vœu de ne jamais porter que de la laine, et renonça pour jamais à tout autre époux que Jésus-Christ. Elle congédia une partie de ses domestiques, après les avoir récompensés ; se réduisit à un train modeste, et se livra toute entière à la prière, au travail, au soulagement des pauvres, à la visite des malades, même les plus dégoutants, mais surtout à l'éducation de ses enfants. C'est ainsi qu'elle exprima en elle l'idée de la sainte veuve telle que l'a tracée Saint Paul ; c'est ainsi qu'elle se préparait à l'exécution des desseins de Dieu sur elle, lorsque la Providence lui procura l'occasion d'entendre St. François de Sales qui vint en 1604 prêcher le carême à Dijon. Elle reconnut sur le champ que c'était là cet homme chéri du Ciel que Dieu lui avait montré quelque temps auparavant, dans une vision, et qui devait être son guide dans la vie spirituelle. Le serviteur de Dieu, de son côté, la remarqua, et se souvint d'une vision qu'il avait eue lui-même, et qui la lui fit reconnaître Madame de Chantal eut avec lui quelques entretiens ; et depuis cette époque, elle ne se conduisit plus que par ses avis quelque sainte qu'eut été sa vie jusqu'alors, il est incroyable quels nouveaux et rapides progrès elle fit sous un pareil guide. Ce ne fut néanmoins qu'au bout de deux ans que le Saint Évêque s'ouvrit à elle sur son grand projet de l'établissement de l'ordre de la Visitation. Il trouvait en elle une personne capable de tout, et disposée à tout ; mais il fallut encore quatre ans pour aplanir les innombrables difficultés qui s'opposaient d'ailleurs à ce dessein. Enfin, tout étant réglé, en 1610, elle s'arracha aux regrets de sa famille, et aux larmes des pauvres qui la réclamaient comme leur mère. Elle eut le courage de passer sur le corps de son fils qui, n'ayant pu l'arrêter par ses larmes, s'était couché au travers de la porte par où elle devait sortir, et elle se rendit à Annecy, où le 6 Juin elle reçut à la tête de quelques compagnes, l'habit de la Visitation que leur donna St. François de Sales. Elle répondit parfaitement à l'idée que le St. Prélat en avait conçue. Pleine de son esprit, elle joignit à une sainteté rare le talent plus rare encore de former des sujets et de les former rapidement. Sa réputation fit désirer partout le nouvel institut, et elle eut assez de courage pour le porter de tous côtés. 87 monastères furent le fruit de son zèle et de 30 ans de course que n'interrompirent jamais ses infirmités. Génie vaste, elle sut fournir à tout, sans se laisser accabler par la multitude des affaires. Son cœur fut supérieur à toutes les traverses ; et les événements les plus fâcheux ne furent jamais capables de la rebuter. Enfin on vit en elle une personne dont la vie fut, pour toutes ses filles, un modèle vivant de toute la perfection de leur état.
Après la mort de St. François de Sales, elle travailla avec tant d'ardeur à tout ce qui pouvait accélérer sa béatification, que c'est à elle qu'on en est principalement redevable. On lui doit aussi l'impression de plusieurs de ses ouvrages qu'elle recueillit avec un soin infini. Les 19 années qu'elle survécût au St. Prélat furent employées à cimenter, avec mille travaux, l'établissement de son ordre, et ce fut dans un de ces voyages que le zèle lui faisait entreprendre, que Dieu l'appela à lui, à Moulins en Bourbonnois. Elle y mourut comme elle devait mourir, c'est-à-dire, en Sainte. On vit en elle, dans ce moment décisif, ce qu'on y avait toujours vu et ce qui la caractérisait, toute la force d'une âme supérieure réunie à la plus tendre piété. Sa mort arriva le vendredi 13 Décembre 1641.
La princesse des Ursins, veuve de l'infortuné duc de Monmoranci, qui s'était retirée au monastère de la Visitation de Moulins dans le dessein de s'y consacrer à Dieu, fit conduire à Annecy le corps de la mère de Chantal pour le placer, comme il l'est encore, à côté de celui de St. François de Sales. La mort qui réunissait ces deux grandes âmes ne devait pas séparer leurs corps. Les religieuses de Moulins, soutenues du crédit de l'Évêque d'Autun, obtinrent seulement que le cœur de leur Ste. mère leur restât. La sainteté de sa vie et le nombre de ses miracles ont donné lieu à Benoît XIV de procéder l'an 1751 à sa béatification, et Clément XIII, l'an 1767, l'a solennellement canonisée.
(Extrait des Exercices spirituels selon l'Esprit de Saint François de Sales, Pour les Pensionnaires de son Ordre de la Visitation Sainte Marie)
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