jeudi 27 août 2020

De la jalousie de Dieu

 

Sainte Thérèse d'Avila


Dieu se nomme en plusieurs endroits des Écritures, un Dieu jaloux, il va jusqu'à dire que ce titre de jaloux est son nom, pour marquer combien il lui est essentiel, et qu'il ne peut pas plus s'en dépouiller que de son être.
Mais de quoi est-il jaloux ? D'une seule chose : de l'hommage de notre esprit et de notre cœur ; non d'un hommage stérile et de simple spéculation, mais d'un hommage qui influe sur tous nos sentiments et toute notre conduite.
Et en quoi consiste l'hommage de l'esprit ? À reconnaître que Dieu est tout, principe de tout, fin de tout, et que hors de lui tout n'est rien. Il consiste en particulier à humilier notre esprit devant lui, à lui soumettre toutes nos lumières ; ou plutôt à être bien persuadé qu'il est lui-même notre lumière, soit dans l'ordre naturel, soit dans l'ordre surnaturel ; que nous ne voyons bien, que nous ne jugeons bien qu'autant que nous voyons comme il voit, et que nous jugeons comme il juge : ce qui emporte pour notre esprit une dépendance absolue du sien ; une mort continuelle à notre propre esprit pour ne consulter que le sien ; une fidélité constante à ne point agir selon notre propre esprit, mais selon le sien. Voilà l'hommage qu'il exige, et qu'il a droit d'exiger de notre esprit, et dont il est infiniment jaloux. Le lui refuser, c'est aller contre ses droits les plus essentiels ; c'est s'arroger l'indépendance en un point qui est la plus belle qualité de l'homme, savoir : l'intelligence et la raison ; c'est prétendre, ou qu'on ne tient pas de Dieu cette intelligence, ou qu'on peut en faire un bon usage sans la régler sur l'intelligence divine : prétention folle, injurieuse à Dieu, et source de tous les égarements de la créature. Lui rendre cet hommage, c'est nous acquitter de notre premier devoir envers l'intelligence suprême ; c'est mettre sa gloire à dépendre de lui dans toutes nos connaissances, dans tous nos jugements ; c'est pour nous un principe de sagesse et de bonne conduite, une assurance de ne jamais nous égarer. Tous les écarts de l'esprit humain en matière de foi et de morale, ne viennent que de n'avoir pas consulté la lumière primitive, la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il faut donc en toutes choses, mais surtout dans les choses surnaturelles, d'où dépendent notre salut et notre perfection, tenir notre esprit anéanti, pour ainsi dire, sous l'esprit de Dieu.
Et l'hommage du cœur en quoi consiste-t-il ? À l'établir le centre de toutes nos affections, à l'aimer pour lui-même de toutes nos forces ; à nous aimer en lui et par rapport à lui ; à n'aimer aucune créature que d'une manière subordonnée, et soumise à l'amour principal que nous lui devons. Cela n'est-il pas juste ; si Dieu est infiniment aimable, si nous tenons de lui la faculté d'aimer, et s'il est évident qu'il ne peut pas permettre que nos affections se concentrent en nous-mêmes, ou dans quelque créature que ce soit ? La plus simple lueur de raison ne nous apprend-elle pas que cet hommage du cœur est dû à Dieu, qu'il n'est dû qu'à lui, qu'il lui est dû dans toute sa plénitude, qu'il lui est dû à tous les instants de notre existence ; qu'un cœur qui n'aime pas Dieu, qui ne l'aime pas souverainement, qui n'aime pas tout le reste et lui-même par rapport à lui, est un cœur dépravé, un monstre dans l'ordre moral ? Quand nous réfléchissons un moment sur ce qu'est Dieu, et sur ce que nous sommes, pouvons-nous douter que toutes nos affections ne lui appartiennent, qu'il en exige l'hommage, qu'il en est essentiellement jaloux, et qu'il ne peut souffrir le désordre contraire sans le réprouver et le punir ? Au reste, cet hommage si juste et si naturel est le principe de notre fidélité. Portons notre amour où nous voudrons, jamais nous ne serons heureux ici-bas, si nous ne le fixons en Dieu. C'est une chose d'expérience. Tout amour qui n'est pas dans l'ordre, est le tourment de celui qui aime, réunit-il d'ailleurs en lui tous les biens de la terre. Au contraire, tout amour bien réglé, dont Dieu est le premier objet, est pour le cœur une source de paix et de joie, que tous les maux du monde ne sauraient altérer.
Mais jusqu'à quel point Dieu est-il jaloux ? Il l'est sans mesure et à l'infini. Celui à qui tout est dû, qui mérite tout, qui exige tout, est nécessairement jaloux de tout, et ne peut se relâcher sur rien. Ô mon Dieu ! faites-moi concevoir, autant que j'en suis capable, jusqu'où va votre jalousie, afin qu'il ne m'arrive jamais de la blesser en rien. S'il est vrai que je ne dois aimer que vous seul pour vous-même, et que tout autre amour doit vous être rapporté ; s'il est vrai encore que tout amour qui n'est pas votre amour est amour-propre, votre jalousie à l'égard de cet amour-propre est donc infinie ; elle va donc au point de n'en pouvoir souffrir le moindre vestige dans un cœur, et de le poursuivre jusqu'à son entière destruction. Oui, mon Dieu, je le crois ainsi ; ma foi et ma raison me le disent.
Mais si cela est, comment puis-je détruire cet amour-propre si enraciné en moi, qui a commencé avec mon être, qui infecte et qui souille toutes mes affections ? Hélas ! je ne le connais pas dans toute son étendue, et, quand je le connaîtrais, comment puis-je le combattre ? Cet amour, c'est moi-même, et ce qu'il y a de plus intime en moi. Quelle force puis-je trouver en moi contre moi-même ?
Il est vrai, nul homme ne peut par ses propres forces combattre l'amour-propre. Mais il peut se livrer à Dieu ; il peut laisser agir contre cet amour la jalousie de Dieu ; aidé de la grâce, il peut seconder cette jalousie ; et, lorsqu'il s'agit de porter le dernier coup au malheureux moi humain, il peut consentir à souffrir ce coup, et à ne pas remuer sous la main qui l'immole. Il faut bien des combats et des épreuves pour en venir là. Mais une âme fidèle et généreuse, qui se délaisse entre les mains de Dieu, et qui ne se reprend jamais, de quelque manière qu'il la traite, en viendra là infailliblement. La jalousie de Dieu est trop intéressée à ne pas laisser son ouvrage imparfait. Cet ouvrage est commencé du moment que Dieu s'empare de l'âme, et qu'il y établit son règne. Si cette âme ne se retire pas du domaine de Dieu, elle peut compter que Dieu ne se désistera pas qu'il n'ait achevé son œuvre, selon l'étendue de ses desseins. Or, cette œuvre consiste à la purger entièrement d'amour-propre, à ne pas y en laisser la moindre fibre, à détruire le moi humain ; en sorte que l'âme n'aime rien, ne désire rien. Alors Dieu ne trouve plus d'affection propre, d'intérêt propre dans cette âme, et sa jalousie est satisfaite. Il est tellement essentiel que cette jalousie de Dieu à l'égard de l'amour-propre soit pleinement satisfaite, que, si elle ne l'est pas en ce monde, elle le sera en l'autre. Il est de foi que l'amour-propre, fruit du péché originel, n'a point de place dans le ciel, et que le seul amour qui y soit admis, est l'amour pur de Dieu. Si donc une âme, quelque sainte d'ailleurs qu'elle soit, sort de ce monde avec quelque reste d'amour-propre, il faut que le feu du purgatoire l'en purifie : ce feu, comme l'on sait, est le même que le feu de l'enfer, et le purgatoire ne diffère de l'enfer que par la peine du dam et des suites, et en ce qu'il n'est pas éternel.
Mais pourquoi Dieu est-il jaloux de la sorte ? Parce qu'il est Dieu, infiniment saint, infiniment amateur de l'ordre ; parce que son amour, tel qu'il le communique aux bienheureux, est incompatible avec l'amour-propre. Si un élu dans le ciel pouvait jeter un seul regard de complaisance sur lui-même, s'il pouvait un moment aimer sa félicité pour lui-même, s'il pouvait voir dans cette félicité autre chose que la bonté de Dieu, la gloire de Dieu, le bon plaisir de Dieu, à cet instant même il tomberait du ciel, et ne pourrait y rentrer qu'après avoir expié cet acte d'amour-propre.
Ô mon Dieu ! exercez sur moi dès ici-bas toute votre jalousie. Anéantissez mon esprit, purifiez mon cœur, et faites-vous rendre par l'un et par l'autre l'hommage qui vous est dû dans toute sa plénitude. Ainsi soit-il.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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