dimanche 7 avril 2019

De la reformation de la crainte



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :


Craignez le Seigneur, Saint Vincent Ferrier



De la reformation de la crainte



Qu'est-ce que la crainte ?

C'est un mouvement de l'âme, par lequel elle fuit un mal encore éloigné ; mais dont elle est menacée, et qui est considérable et difficile à éviter.


En quoi consiste la réformation de la crainte ?

À en régler si bien l'usage, qu'on craigne, lorsqu'il le faut, et qu'on ne craigne point lorsqu'il ne faut pas.


Quelle est la crainte qui convient à une âme chrétienne ?

C'est la crainte de Dieu, qui est appelée dans les saintes Écritures, le commencement de la Sagesse. Trois sortes de personnes ont grand besoin de cette crainte. Premièrement, celles qui passent leur vie dans la joie et dans les délices : elles ne devraient jamais oublier ces paroles de N. S. : Je vous montrerai qui vous devez craindre : craignez celui, qui après avoir ôté la vie, peut précipiter dans l'Enfer. Elles devraient rappeler sans cesse le souvenir des Jugements de Dieu, et dire avec le Prophète David : Pénétrez ma chair de votre crainte ; car vos jugements me remplissent de frayeur.
La crainte est encore très-nécessaire aux personnes, qui dans le chemin de la perfection ne se défient pas assez de leurs forces, et nourrissent dans leur âme une secrète ambition, qui les porte à s’élever aux états les plus sublimes de la vie spirituelle. Elles ont du mépris pour les voies communes, et pour les exercices de la vie purgative. Leur langage ordinaire est, que tout consiste dans l'intérieur, et qu'un retour à Dieu vaut mieux que tous les châtiments du corps, et que toutes les œuvres extérieures. II faudrait que ces personnes envisageassent souvent la vie des Antoines, des Hilarions, des Dominiques, des François, et de plusieurs autres, et qu'ils considérassent avec quelle humilité ces grands Saints marchaient dans les voies de Dieu, et avec quel zèle ils s'appliquaient aux exercices de la pénitence.
Il y a en troisième lieu, des personnes, qui ayant fait quelques progrès dans la vie spirituelle, et se sentant quelque goût pour Dieu, s'imaginent qu'elles peuvent se reposer, et qu'il est temps de bannir la crainte, pour donner tout à l'amour. Elles cessent en effet de combattre les inclinations de la nature ; elles se laissent aller à leurs sens, et prétendent autoriser cette conduite, du sentiment de S. Augustin, qui a dit en quelque endroit : Aimez, et faites ce que vous voudrez ; abusant ainsi des paroles de ce saint Docteur, qui n'a jamais prétendu exclure la vigilance et la crainte. Ce sont des aveugles, qui se mettent au nombre des enfants de Dieu, et qui ne savent pas que la sainte liberté que Dieu donne à ses enfants, ne les dispense pas de la crainte de lui déplaire, et qu'on ne doit jamais oublier ce que disait S. Paul : Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne devienne réprouvé moi-même. Si c'était sagesse à saint Paul de craindre, la confiance de ces faux spirituels ne saurait être que folie. Qu'ils aient donc recours à la défiance, pour retenir leur joie dans de justes bornes, et qu'ils soient persuadés qu'une crainte modérée, bien loin de diminuer leur amour, contribuera à l'augmenter.


Quelle est cette sorte de crainte, qu'il est nécessaire de combattre et d'étouffer dans le cœur ?

Toute autre crainte que celle de déplaire à Dieu, est indigne d'une âme chrétienne. Mais en particulier il y a trois sortes de craintes, qu'il faut soigneusement combattre. La première, qu'on appelle ordinairement peur, vient de la faiblesse de l'imagination. On n'ose pas demeurer seul pendant la nuit, ou en des lieux écartés : on se figure mille fantômes, et on croit être toujours sur le point de les voir paraître. Ces vaines terreurs viennent souvent faute de foi et de confiance en Dieu ; il faut les combattre, en s'y opposant directement. Les personnes qui aiment Dieu, et qui sont accoutumées à marcher en sa présence, se croient toujours en sûreté ; parce qu'elles sont persuadées que rien n'arrive que par l'ordre de la Providence, sur laquelle elles se reposent par une entière confiance.
Une autre crainte très-dangereuse, c'est la crainte des hommes, qu'on appelle respect humain : elle gène et embarrasse le cœur, en le tenant dans une inquiétude continuelle, au sujet des discours et des jugements des hommes. C'est à force de marcher en la présence de Dieu, qu'on s'affranchit de cette servitude. Une personne spirituelle doit s'appliquer ces paroles du Prophète : Qui êtes-vous, pour avoir peur d'un homme mortel ? N'êtes-vous pas enfant de Dieu ? Ne le connaissez-vous pas pour votre Juge ? Et pourquoi vous mettre en peine d'autre chose, que de lui plaire ? j'ai présenté mon visage comme une pierre très-dure, disait le même Prophète : c'est-à-dire, j'ai porté sans crainte toutes les paroles que Dieu m'a ordonné de porter. C'est la grâce qui inspire cette hardiesse aux serviteurs de Dieu, et qui leur dit, comme autrefois le Seigneur à Jérémie. N'appréhendez point de paraître devant eux, parce que je ferai que vous n'en aurez aucune crainte. Cette liberté évangélique a bien paru dans S. Jean Baptiste, lorsqu'il disait à Hérode, il ne vous est pas permis. Rien n'a jamais empêché les Apôtres, de dire ce qui convenait au service de leur Maître : ils n'ont point redouté la face des Grands, ni le pouvoir de l'impie. Ce que dit S. Paul aux serviteurs ; servez vos Maîtres selon la chair, avec crainte et avec respect, n'est point contraire à cette doctrine : puisque l'Apôtre n'entend parler que de la crainte de déplaire à Dieu, comme il est évident par les paroles qui suivent : regardez en eux le Seigneur, et non les hommes.
La troisième sorte de crainte, qu'on ne doit point souffrir en soi, c'est celle de Dieu, quand elle est excessive, et qu’elle va jusqu'à troubler et à tourmenter le cœur. Dieu s'en sert quelquefois pour éprouver et purifier les âmes qui sont à lui, et pour les disposer à recevoir ses plus grandes grâces. Cependant elles doivent travailler de leur côté à modérer cette crainte par la confiance et par l'exercice du parfait amour de Dieu, qui, comme dit saint Jean, chasse la crainte : c'est-à-dire la crainte propre des esclaves ; car celle qui convient à un serviteur fidèle à l'égard de son ami, à un fils à l'égard de son père ; elle est paisible, et se trouve dans les enfants de Dieu, n'étant autre chose qu'un effet de la charité, qui les rend vigilants et attentifs à ne pas déplaire à l'objet qu'ils aiment.




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