samedi 20 mars 2021

Qu'il faut se mortifier surtout dans le vice, ou dans la passion dominante, sans toutefois négliger les petites mortifications



On voit des personnes qui mettent tout leur soin, et qui font consister toute leur sainteté à composer leur extérieur, à avoir un air modeste et édifiant, à faire paraître une grande retenue en toutes choses ; mais qui, à l'égard de la mortification intérieure, qui est la plus essentielle, se mettent peu en peine de la pratiquer : ces hommes sont ordinairement plus attachés que les autres à leur propre volonté, et opiniâtres dans leurs sentiments ; ils sont plus avides de louanges que les autres, et plus jaloux d'acquérir l'estime des hommes.
On pourrait appliquer aux hommes de cette espèce, ce que Jésus-Christ disait aux Scribes et aux Pharisiens : Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qui cependant êtes plein de rapine et d'impureté au-dedans ! Pharisiens aveugles, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors soit également net. Nettoyez donc, et mortifiez premièrement votre intérieur, si vous voulez que l'extérieur soit pur et exempt de souillures. Car si cette modestie extérieure ne vient de la paix et de la tranquillité du cœur, tout cela n'est que feinte et qu'hypocrisie. Vous êtes, dit le Sauveur, comme des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au-dehors aux yeux des hommes mais au-dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute sorte de pourriture. Ce qu'il dit un peu auparavant dans le même Chapitre, revient encore plus à notre sujet : « Malheur a à vous, Scribes et Pharisiens, qui payez la dîme de la mente, de l'anet et du cumin, et qui avez négligé ce qu'il y a de plus important dans la loi, et qui est la justice, la miséricorde et la foi ! » Il est aisé de faire ici l'application de ces paroles. Car il y a en effet des hommes qui prennent beaucoup de soin à se mortifier sur des choses de peu de conséquence, et qui ne coûtent rien à la nature ; mais à l'égard de celles qui les blessent et qui les touchent au vif, ils ne peuvent s'y résoudre. C'est par-là néanmoins qu'il faudrait commencer : cette passion, ce vice, cette inclination, cette mauvaise habitude qui nous domine, qui nous entraîne, qui nous met dans de plus grands dangers, qui nous fait tomber dans de plus grandes fautes ; voilà ce qu'il faut principalement mortifier en nous. Et comme l'expérience nous apprend qu'il n'y a presque personne qui n'ait à combattre quelque ennemi domestique qui lui fait plus dangereusement la guerre que tous les autres, et qui s'oppose davantage à son avancement ; c'est à cet ennemi, c'est à cette passion qu'il faut que chacun s'attache particulièrement pour essayer d'en arracher jusqu'à la racine, par le secours de la mortification : c'est sur quoi il faut tourner principalement toute attention dans l'examen particulier, et sur quoi il faut insister le plus dans l'Oraison, parce que c'est en effet ce que chacun a le plus de besoin de réformer en soi même. Mais il faut tellement travailler à la destruction de nos vices, que nous ne passions pas légèrement sur les moindres défauts : cet avertissement regarde particulièrement ceux qui négligent les mortifications légères, et qui en font peu d'état, les regardant comme des bagatelles et des pratiques peu utiles à l'avancement et à la perfection : cette erreur est aussi commune qu'elle est dangereuse. On le comprendra aisément, si on considère que ce qu'il y a de plus essentiel dans la mortification, ce n'est pas d'affaiblir la chair par des pénitences et des austérités excessives, mais de se dépouiller de sa propre volonté, car c'est-là proprement en quoi consiste la véritable mortification, et le véritable renoncement de nous-mêmes que Jésus-Christ nous recommande si fort dans l'Évangile. Or, on peut renoncer à sa propre volonté dans les petites choses comme dans les grandes ; et même l'on y acquiert quelquefois d'autant plus de mérite qu'elles sont plus contraires à notre inclination. Aussi éprouvons-nous tous les jours que des choses très légères d'elles-mêmes nous coûtent beaucoup plus à pratiquer que ne feraient des choses plus considérables ; parce qu'en effet, comme nous l'avons dit, la mortification ne consiste pas tant dans les choses que dans la répugnance de la volonté. De sorte que quand nous nous mortifions en quelque chose que ce soit, c'est un sacrifice que nous faisons à Dieu de notre propre volonté, en la combattant et en la surmontant pour l'amour de lui ; et comme en cela nous lui offrons ce que nous avons de plus précieux et de plus cher, qui est notre volonté, nous pouvons dire qu'en la lui sacrifiant, nous lui sacrifions tout.

(Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne)


Reportez-vous à Avis importants sur la pratique de la Mortification, Exercices de Mortification, Qu'il en coûte beaucoup moins à se mortifier, qu'à ne se mortifier pas, Ce n'est pas mener la vie d'un Chrétien, ni même d'un homme, que de ne se point mortifier, De deux sortes de Mortifications, Que de la pratique de la mortification dépend absolument notre avancement, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, De la haine de soi-même, et de l'Esprit de Mortification qui en est inséparable, Un des plus grands châtiments que Dieu puisse exercer contre l'homme, c'est de l'abandonner à ses passions, et aux désirs déréglés de son cœur, De la nécessité de la Mortification : En quoi elle consiste, De l'union étroite qui doit être entre la Mortification et l'Oraison, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la nourriture du corps, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Méditation sur le combat de la chair contre l'esprit, Moyens pour persévérer dans la sobriété et dans l'abstinence, De l'anéantissement, Méditation sur le Carême : Jésus ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ensuite, Instruction sur le Carême, Méditation sur le véritable jeûne, Méditation sur la Loi du jeûne, Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, par le R.P. Jean-Joseph Surin, Prière pour demander la victoire sur ses passions, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Sur la vaine curiosité.